Volume 2 – numéro 1 – 2022 : Législation pénale et rapports sociaux en Afrique

La protection internationale du patrimoine culturel : les leçons tirées du procès de Tombouctou devant la Cour pénale internationale et son rayonnement en droit pénal camerounais

Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU et Valéry Blériot DJOMO TAMEN

 

Introduction

L’intérêt porté à la protection du patrimoine culturel n’est plus à démontrer. Les législateurs et législatrices sur le plan national et international, les juridictions sur ce double aspect également, ainsi que la doctrine ont fait usage de leur plume pour mettre en exergue l’importance du patrimoine culturel; notion qui mérite d’amples clarifications afin de mieux appréhender ses contours et sa protection. En doctrine, le patrimoine culturel consiste en tous les éléments et traditions qui expriment le mode de vie et de pensée d’une société particulière et qui révèlent ses accomplissements intellectuels et spirituels (Prott, 1990, p. 224). En outre, le patrimoine culturel peut être décrit par trois catégories de biens. D’abord, le patrimoine culturel immeuble comprend les monuments et sites naturels qui montrent l’évolution des modes de vie. Ensuite, les objets culturels qui incluent les objets d’importance archéologique, préhistorique, historique et biologique. Enfin, le patrimoine culturel immatériel à l’instar des connaissances, les techniques, aptitudes, découvertes, traditions, cérémonies, rituels et transmissions orales. (Panayotopoulos, 2015, p.19). Par ailleurs, d’après Keugong, le patrimoine culturel sert à imposer une protection légale des biens matériels et immatériels considérés comme une ressource essentielle au développement économique, social et culturel d’une nation donnée ou de toute l’humanité. (Keugong, 2020, p. 272). À la différence de la première approche définitionnelle, l’autrice clarifie le patrimoine par son but. En droit international, en se référant à la convention[1] concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, sont considérés comme patrimoine culturel : les monuments[2], les ensembles[3] et les sites[4]. La protection du patrimoine culturel qui découle de l’approche doctrinale et législative est renforcée par la jurisprudence de la Cour pénale internationale dans l’affaire Procureur contre Al Mahdi. Dans le cadre d’un conflit armé non international sur le territoire du Mali et l’occupation ultérieure de Tombouctou par les groupes armés al-Qaïda au Maghreb islamique et Ansar dine, les attaques ont été dirigées intentionnellement par M. Al Mahdi contre dix sites du patrimoine culturel les plus importants à Tombouctou entre le 30 juin et le 11 juillet 2012. À titre illustratif, on peut citer les mausolées des saints et les mosquées de Tombouctou. (Cour pénale Internationale, 2016, n°ICC-01/12-01/15). Comme au Mali, le patrimoine culturel fait face à de nombreuses atteintes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun depuis 2016. Selon Human Rigth Watch, le 24 septembre 2019, des militaires du Bataillon d’intervention rapide (BIR) ont attaqué et pillé la chefferie de Bafut, dans la région du Nord-Ouest; palais inscrit sur la liste indicative de sites du patrimoine mondial (Human Right Watch, 2019) depuis 2006 par l’UNESCO,. À l’observation, le défi de la protection du patrimoine culturel malgré sa consécration par la législation est d’actualité au Cameroun. Pour renforcer ses motivations dans l’affaire Al Madhi dans l’opération de qualification en crime de guerre des attaques contre les mausolées et mosquées de Tombouctou, la chambre de première instance de la Cour pénale internationale met en évidence l’argument suivant :

Le statut que leur a accordé l’UNESCO met en évidence l’importance particulière que ces bâtiments revêtent pour le patrimoine culturel international, sachant que « la dignité de l’homme exigeant la diffusion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance (Affaire Al Mahdi 2016, § 46).

Eu égard à ces analyses préliminaires, on peut poser la question suivante : le procès de Tombouctou est-il le socle du renforcement de la protection internationale du patrimoine culturel? À l’observation, la destruction des biens appartenant au patrimoine culturel peut être érigée en crime de guerre et sanctionnée par les juridictions internationales compétentes (Nicolas, 2016, p.1). De même, sur le plan interne des États, l’existence d’un arsenal de répressions concourt à cette protection internationale. La législation camerounaise n’est pas restée insensible à l’effet de ce procès. À travers la loi de juillet 2016 portant code pénal, il a érigé en infraction l’atteinte au patrimoine culturel. Afin de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse dans cette étude, il convient de dire que le recours à la méthode juridique a permis de parcourir les instruments juridiques relatifs à la protection internationale et nationale du patrimoine culturel afin d’en faire une analyse et d’apprécier l’application desdites normes par la juridiction pénale internationale qu’est la Cour pénale internationale. De même, l’association de la méthode socioanthropologique permet de mettre en évidence la répercussion d’une telle protection sur le plan social. À cet effet, si la qualification de la destruction du patrimoine culturel en crime de guerre et sa répression par la Cour pénale internationale est un atout dans le renforcement de sa protection, il faut dire que cette audace a produit des effets sur l’autorité législatrice au Cameroun.

La répression de la destruction du patrimoine culturel sous la qualification de crime de guerre, un élément supplémentaire de sa protection

Il convient de mettre l’accent, d’une part, sur la qualification des faits en crime de guerre comme condition de mise en jeu de la responsabilité pénale des responsables et, d’autre part, sur les spécificités des critères de fixation de la peine.

La qualification des faits en crime de guerre, une condition de mise en jeu de la responsabilité pénale des responsables

La notion de « crime de guerre » fait l’objet de plusieurs assertions eu égard à la panoplie des instruments juridiques qui en donnent une définition ou déterminent son contenu. De manière générale, la lecture des instruments ci-après permet de mettre en évidence les différentes clarifications du crime de guerre. Il s’agit notamment des Conventions de Genève du 12 août 1949, de leurs Protocoles additionnels I et II de 1977, des Conventions de la Haye de 1899 et 1907, ainsi que du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) de 1998, précisément en son article 8. De prime abord, les Conventions de Genève relèvent plusieurs catégories d’infractions constitutives de crimes de guerre. À titre illustratif, on peut citer :

L’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter une atteinte grave à l’intégrité physique ou à la santé, la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire (Conventions de Genève, 1949, citée par Oumba, 2007, p. 7).

Oumba fait ressortir les éléments constitutifs de l’infraction de crimes de guerre suivants :

  • l’élément légal qui signifie qu’aucun acte ne peut être pénalement réprimé s’il ne constituait pas une infraction à la loi pénale au moment où il a été commis;
  • l’élément de contexte qui implique que les crimes de guerre doivent être commis dans un contexte tout particulier en dehors duquel les mêmes actes ne peuvent être qualifiés de crimes de guerre;
  • l’élément moral ou psychologique qui existe lorsque la personne responsable a agi avec « intention et connaissance » ou avec l’une ou l’autre;
  • l’élément matériel qui suppose la commission d’un acte, c’est-à-dire un comportement humain ou une conduite humaine volontaire.

En réalité, à la différence des éléments constitutifs classiques d’une infraction en droit pénal, le crime de guerre a la particularité de se voir adjoindre un élément de contexte. Par ailleurs, pour qualifier l’infraction de crime de guerre dans le cadre du procès de Tombouctou, la CPI tire sa définition de l’article 8 de son statut qui classe les crimes en catégorie. Il s’agit notamment des cas suivants : les infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949 qui recouvrent des actes dirigés contre les personnes ou les biens protégés par les dispositions des conventions de Genève; les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux; les violations graves de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 en cas de conflits armés ne présentant pas un caractère international; les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international. La jurisprudence issue de l’affaire Al Madhi définit le crime de guerre comme étant

Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades et des blessés sont rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne soient pas des objectifs militaires (Procureur c.Al Madhi, 2006, §11).

De ce qui précède, on retient que les éléments intentionnels, matériels et contextuels ci-après constituent la composante de qualification des faits en crime de guerre par la CPI. Il s’agit de l’existence d’un conflit armé non international, la destruction de monuments culturels et religieux à Tombouctou, selon différents modes de participation, la connaissance de l’existence du conflit par la personne responsable, le lancement de l’attaque par cette personne, contre un ou plusieurs bâtiments consacrés à la religion, et qui ne sont pas des objectifs militaires (Nicolas, 2016, p. 5-7). La mise en œuvre de la responsabilité pénale de l’auteur ou l’autrice de l’infraction sur la base des preuves avérées, dans ce cas d’espèce, est renforcée par l’aveu spontané de cette personne. Deux concepts méritent des clarifications supplémentaires dans le cadre de cette analyse. Celui de « conflit armé non international », synonyme de « guerre civile », se caractérise par l’affrontement opposant les forces armées d’un État à des forces armées dissidentes ou rebelles (Verri, 1988, p. 37). En l’occurrence, il s’est agi d’al-Qaïda dont le chef était Al Madhi au moment des faits. S’agissant de l’aveu, il convient de dire que ce sont les « déclarations par lesquelles l’intéressé reconnaît, en totalité ou en partie, le bien-fondé des accusations portées contre lui » (Merle et Vitu, 2001, p. 234). En outre, les éléments suivants déterminent la culpabilité de celui-ci. Tout d’abord, il a supervisé l’exécution des opérations, utilisant ses soldats de la Hesbah et supervisant les autres attaquants venus participer aux opérations.; il a rassemblé, acheté et distribué les outils/moyens nécessaires pour mener l’attaque. Ensuite, il était présent sur tous les sites attaqués, donnant des instructions et apportant un soutien moral. Il a personnellement participé à l’attaque qui a conduit à la destruction d’au moins cinq monuments : a) le mausolée Alpha Moya; b) le mausolée Cheick Sidi Ahmed Ben Amar Arragadi; c) la porte de la mosquée Sidi Yahia; d) le mausolée Ahmed Fulane, et e) le mausolée Bahaber Babadié. Enfin, il était chargé — sur désignation d’Al Chinguetti — de communiquer avec les journalistes afin de leur expliquer l’attaque et de la justifier (Procureur c. Al Madhi, 2006, §40). Ces éléments déterminants dans la mise en œuvre de la responsabilité pénale des responsables de l’infraction constituent, entre autres, des critères d’appréciation de la fixation de la peine.

Des spécificités des critères de fixation de la peine

Le procès de Tombouctou se singularise aussi par les critères de fixation de la peine. Au-delà de la gravité du crime et la situation de la personne à l’origine de l’infraction, des facteurs se rattachant aux biens culturels détruits sont pris en compte. Notamment, l’inscription au patrimoine commun de l’humanité, le caractère religieux, l’intérêt général et les fonctions de la peine. D’emblée, la peine renvoie à un « châtiment édicté par la loi à l’effet de prévenir et, s’il y a lieu, de réprimer l’atteinte à l’ordre social qualifiée d’infraction; châtiment infligé en matière pénale par le juge répressif » (Groulez, 2007, p. 1). Elle a plusieurs fonctions : préventive, c’est-à-dire qu’elle permet de freiner, voire d’empêcher l’accomplissement de comportements jugés indésirables; réparatrice, rétributive et sociopédagogique. (van de Kerchove, 2005, p. 25-30). Sa fixation dans un procès par la CPI prend en compte les considérations telles que la gravité du crime et la situation personnelle de la personne condamnée. D’ailleurs, c’est que fait la Cour aux termes de l’article 78 alinéa 1 du Statut de la CPI, lorsqu’elle fixe la peine. La destruction de biens culturels est devenue un instrument de terreur pour les groupes tels que l’État islamique. (Nicolas, 2016, p. 2). Par ailleurs, l’inscription par l’UNESCO de neuf des monuments attaqués au patrimoine mondial de l’humanité renforce la gravité du crime commis, car leur destruction affecte non seulement les victimes directes des crimes, notamment les fidèles et habitant·e·s de Tombouctou, mais aussi toute la population du Mali et la communauté internationale. (Procureur c. Al Madhi, 2006, §80) Il faut rappeler que le patrimoine commun de l’humanité entraîne « des obligations qui non seulement engagent les États et les organisations internationales, mais interdisent également aux individus ou aux particuliers, ainsi qu’à tout autre sujet de droit international, de s’en approprier à des fins exclusives » (Panayotopoulos, 2015, p. 35). Toutefois, cette répression a un fondement juridique antérieur au statut de la CPI. La Convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de 1954 met en place le « registre international des biens culturels sous protection spéciale » dans lequel peuvent être inscrits « certains refuges, centres monumentaux ou autres biens culturels immeubles » (Convention de la Haye, 1954, article 1 alinéa 1) situés sur le territoire de l’État demandeur, éléments qui, dès leur inscription, jouissent d’une immunité devant être respectée par toutes les parties. Aussi cette Convention institutionnalise-t-elle l’existence d’un responsable de la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé. (Panayotopoulos, 2015, p. 117). En outre, le motif religieux discriminatoire est pris également en compte pour évaluer la gravité du crime et, par conséquent, la peine. De plus, les circonstances atténuantes suivantes ont été considérées pour infliger la peine de neuf ans à l’encontre du responsable de l’infraction: l’aveu de culpabilité d’Ahmad Al Mahdi, sa coopération avec l’accusation, les remords et l’empathie qu’il a exprimés à l’égard des victimes, sa réticence initiale à l’idée de commettre le crime et les mesures qu’il a prises pour limiter les dommages causés et même si elle revêt une importance limitée, sa bonne conduite en détention malgré la situation de sa famille. (Procureur c. Al Madhi, 2006, §109). Le procès de Tombouctou devant la CPI renforce le régime de protection du patrimoine culturel. Son effet est par conséquent perceptible en ce sens que les législations internes des États, comme le Cameroun, garantissent la sauvegarde du patrimoine culturel.

L’influence relative du procès de Tombouctou en droit pénal camerounais

La relativité se justifie par l’internalisation implicite de la convention de l’UNESCO du 16 novembre 1972 dans le Code pénal camerounais et la correctionnalisation de l’atteinte au patrimoine culturel en droit pénal camerounais.

L’internalisation implicite de la convention de l’UNESCO du 16 novembre 1972 dans le Code pénal camerounais

L’autorité législatrice en droit pénal camerounais, à travers l’article 187 alinéa 1, marque son adhésion au principe de sauvegarde du patrimoine culturel contre toutes atteintes. La conséquence immédiate est la possibilité de mettre en mouvement l’action publique pour assurer la répression en cas d’atteinte justifiée. Mais il convient de noter que la législation en cette matière est imprécise sur la définition de patrimoine culturel et naturel dans le Code pénal. Peut-être, il se réfère au droit international en la matière (UNESCO, 1972) comme il le précise dans l’exposé de motif de ce code à propos de l’internalisation des conventions internationales. Les biens protégés par la législation pénale camerounaise concernent le patrimoine culturel et naturel national. Ce dernier comprend :

  • Les monuments naturels constitués par des formations physiques et biologiques ou par des groupes de telles formations qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue esthétique ou scientifique,
  • Les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitées constituant l’habitat d’espèces animale et végétale menacées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation,
  • Les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauté naturelle (UNESCO, 1982, article 2)

Par contre, la convention de l’UNESCO définit de manière détaillée le patrimoine culturel en ces termes :

  • […] sont considérés comme “patrimoine culturel” :
  • Les monuments : œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science,
  • Les ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science,
  • Les sites : œuvres de l’homme ou œuvres conjuguées de l’homme et de la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique (UNESCO, 1972, article 1).

Le texte camerounais manifeste un laconisme dans sa définition du patrimoine culturel et l’affirmation de son attachement à la convention de l’UNESCO qui est implicitement une considération de la définition du patrimoine culturel par l’UNESCO, reprise par la jurisprudence Procureur contre Al Madhi de la CPI. On peut en déduire que la préoccupation de la protection spéciale, dans législation camerounaise, est avéré. Il conviendra d’en apprécier dans les modalités de répression des atteintes à ces biens.

La correctionnalisation de l’atteinte au patrimoine culturel en droit pénal camerounais

Le Code pénal est un texte essentiellement répressif. Il prévoit des infractions et leurs répressions. Pour y parvenir, il faut définir l’élément matériel et intentionnel de l’infraction dans le processus de qualification. À la lecture de l’article 187 du Code pénal camerounais, le texte met essentiellement l’accent sur les éléments matériels, constitutifs de l’infraction d’atteintes au patrimoine culturel et naturel national. Cette énumération se présente de la manière suivante :

  • l’exploitation et l’exportation illicite des biens culturels et naturels de l’État ou encore toute forme de dévalorisation de ce patrimoine;
  • le refus d’inscrire à l’inventaire ou d’enregistrer les biens meubles et immeubles appartenant à l’État, aux collectivités territoriales décentralisées, aux personnes physiques ou morales, et présentant du point de vue de l’histoire de l’art ou de la pensée, de la science, de la technique et du tourisme et présentant un intérêt suffisant pour rendre nécessaire leur préservation;
  • le refus de classer ou de déclasser un bien culturel et naturel de l’État;
  • apposer des affiches ou des dispositifs de publicités sur les monuments classés, etc.

Fort heureusement, une jurisprudence camerounaise ancienne mise en évidence par la doctrine relève l’existence de l’élément intentionnel. Keugong relève que les juges camerounais, dans l’application de l’article 316 relatif à la destruction des biens, ont toujours exigé l’existence d’un élément intentionnel qui consiste en la volonté de nuire à autrui en le privant entièrement ou partiellement de son bien[5] (Keugong, 2020, p. 280). Le texte sanctionne ces agissements des peines allant de 06 mois à 02 ans d’emprisonnement ferme et une amende allant de 100 000 F CFA à 3 000 000 F CFA. On peut se rendre compte qu’à la différence du droit international pénal en la matière, la loi camerounaise classe cette infraction dans la catégorie des délits. Cette correctionnalisation de l’atteinte au patrimoine culturel adoucit-elle la protection particulière inaugurée par le procès de Tombouctou? Cette question mérite d’être analysée en considération de la multiplication de foyers de guerre dans les régions septentrionales et anglophones du Cameroun; pays qui regorge des sites inscrits au patrimoine commun de l’humanité. Il abrite deux patrimoines naturels classés par l’UNESCO : la réserve de faune du Dja et le Trinational de la Sangha. La question qui se pose est de savoir si les autorités judiciaires du Cameroun seront compétentes pour qualifier de crimes de guerre l’atteinte à ces patrimoines en cas de survenance, étant donné qu’elles ne l’ont pas comme le prévoyait la législation internationale. N’étant pas signataire du statut de Rome sur la CPI, la juridiction pénale camerounaise ne peut pas offrir le même traitement aux responsables de l’infraction en vertu de la règle « pas d’infraction sans texte », « pas de sanction sans texte ».

Conclusion

À travers le procès historique de Tombouctou, la Cour pénale internationale réaffirme toute sa détermination dans la protection internationale du patrimoine culturel et naturel de l’État malien, par ailleurs patrimoine de l’humanité. Les effets de ce procès sont multidimensionnels. Sur le plan international, toute atteinte au patrimoine culturel est désormais qualifiée de crime de guerre en temps de guerre. Sur le plan interne du Cameroun par exemple, la réforme pénale de 2016 s’en inspire et apporte une innovation importante : la protection pénale des biens culturels. Même si à ce niveau, la destruction de ces biens est un délit, la notion de patrimoine culturel et naturel reste textuellement à repréciser. La multiplication des foyers de crises au Cameroun n’est-elle pas l’occasion de criminaliser les atteintes potentielles au patrimoine culturel?

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  1. Article 1 de la convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel adoptée par la Conférence générale à sa dix-septième session à Paris, le 16 novembre 1972.
  2. Exemples : œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science.
  3. Exemples : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science.
  4. Exemples : œuvres humaine ou œuvres conjuguées de l’humain et de la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique.
  5. C. S., Arrêt n° 107 du 17 janvier 1961, B.A.C.S., n° 3, p. 66

Pour citer cet article

Mboumegne Dzesseu, Serges Frédéric et Djomo Tamen, Valéry Blériot. 2022. La protection internationale du patrimoine culturel : les leçons tirées du procès de Tombouctou devant la Cour pénale internationale et son rayonnement en droit pénal camerounais. ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/adilaaku.2022.2.1.8

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La revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

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https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2022.2.1.8