Volume 2 – numéro 1 – 2022 : Législation pénale et rapports sociaux en Afrique

Le principe de la légalité criminelle dans l’africanisation de la justice pénale internationale

Serges Roméo FOTSING TAKAM

 

Introduction

L’Union africaine[1] fait de la lutte contre l’impunité l’un des principes de son fonctionnement[2]. C’est sans doute pour cette raison que l’Afrique a soutenu, dans sa grande majorité, la création de la Cour pénale internationale (Kader Bitié, 2017, p. 145; Manirabona, 2011, p. 282; Manirabona, 2010, p. 288-290; Manirakiza, 2009, p. 27-29). Pourtant, à l’image de certains États, l’Union n’a cessé de critiquer ces dernières années la politique répressive de ladite Cour pénale internationale[3]. Elle lui reproche notamment la focalisation sur l’Afrique dans les affaires que cette juridiction traite (Kader Bitié, 2017, p. 145-153; Nouazi Kemkeng, 2012, p. 106-108; Manirakiza, 2009, p. 31-37). Ainsi sont nés les désaccords entre l’UA et la CPI, désaccords qui ont contribué à l’africanisation, par l’organisation continentale, de la justice pénale internationale (Kader Bitié, 2017). Une telle africanisation de la justice pénale internationale serait certainement viciée si elle se faisait au mépris des principes fondamentaux de la matière pénale, dont le principe de la légalité criminelle.

En effet, la justice pénale internationale est née de l’ambition de la communauté internationale de protéger l’ordre international et l’humanité des horreurs de la barbarie humaine. Elle est constituée d’« un ensemble de règles prohibitives et prescriptives, qui visent à organiser la punition des individus responsables de violations de l’“ordre de l’humanité” », pour souscrire à l’expression d’Hannah Arendt (citée par Fernandez, 2008, p. 223). Mais malgré la cruauté des actes qu’elle entend combattre, la justice pénale se détache de la vengeance et de l’arbitraire en reconnaissant des droits à l’individu mis en cause, droits garantis notamment par le principe de la légalité criminelle. C’est donc l’équilibre entre la lutte contre l’impunité et la protection des droits de la défense, et incarné singulièrement par ce principe, qui doit être au centre de la construction de tout système de répression pénale comme celle opérée actuellement par l’UA.

Le principe de la légalité est un principe fondamental qui « innerve » le droit pénal. Exprimée par l’adage latin nullum crimen nulla poena sine lege, la légalité pénale signifie classiquement que « tout acte constituant un crime ou un délit doit être défini avec précision par la loi ainsi que les peines qui lui sont applicables » (Guillien et Vincent, 2001, p. 333). Selon la conception originelle de la légalité pénale, on la limite à la définition des incriminations et des sanctions par la législation, celle-ci étant prise dans son sens formel (restreint). Cette conception n’est plus pertinente pour deux raisons particulièrement. D’une part, « le principe de légalité ne joue pas seulement au profit des délits et des peines, mais aussi de la procédure pénale. Le droit pénal substantiel et la procédure pénale sont trop intimement liés pour que ce principe essentiel ne garantisse pas le droit criminel dans son ensemb le » (De Lamy, 2009a, en ligne). De ce fait, « il est donc préférable d’utiliser l’expression plus globale de “légalité criminelle” pour marquer son appréhension de l’ensemble de la matière » (De Lamy, 2009a, en ligne). D’autre part, le légicentrisme de la légalité s’est érodé pour donner lieu à une diversification des auteurs et autrices de la loi pénale (De Lamy, 2009b, p. 588-599). Ayant perdu de sa majesté, l’autorité législatrice doit désormais partager la compétence d’élaboration des normes pénales avec le pouvoir réglementaire, à l’interne, et les instances supranationales, à l’international (De Lamy, 2009b). Ainsi, national ou international,

Tout système juridique doit faire en sorte qu’avant la perpétration d’une infraction pénale un individu connaisse, doive pouvoir connaître, prévoir ou au minimum être mis en condition de savoir qu’une conduite donnée est contraire à la loi et, qu’en tant que telle, elle est passible de sanction pénale (Cataleta, 2016, p. 2).

C’est bien dans ce sillage que le principe de la légalité criminelle intéresse l’africanisation de la justice pénale internationale, ce d’autant plus que cette africanisation implique la prise en charge par l’Union africaine des crimes internationaux ayant un lien avec l’Afrique.

Comme le relève Kader Bitié, l’africanisation de la justice pénale internationale se réfère à « l’appropriation régionale de la répression pénale des crimes internationaux commis en Afrique » (2017, p. 156). Mais pour cet auteur, « l’africanisation ainsi évoquée et abordée traduit […] une tendance, et non un contexte juridique établi, incarnée par une volonté de sanctionner en Afrique et par des juridictions africaines les violations graves du droit international humanitaire (DIH) qui y sont perpétrées » (Kader Bitié, 2017, p. 157). S’inscrivant dans cette logique, on peut dire que l’africanisation est une construction actuellement en cours et qui consiste pour l’Union, à travers des instruments africains créateurs ou emprunteurs des normes internationales, à mettre en place un cadre idoine de lutte contre l’impunité des auteurs et autrices de crimes graves et de prévention de nouveaux crimes qui menacent la paix, la sécurité et le bien-être de l’Afrique. Il s’agit donc pour le continent noir de traiter les questions pénales qui la concernent en appliquant des solutions universelles, mais non sans tenir compte du contexte africain.

Ainsi, à l’image de certains travaux existants, la présente réflexion s’inscrit dans le champ du régionalisme ou de « la régionalisation du droit international »[4], notamment en ce qui concerne la discipline pénale (Kader Bitié, 2017; Kahombo, 2017; Mubiala, 2017; Soma, 2015; Nouazi Kemkeng, 2013, p. 186-192; Manirakiza, 2009, p. 40-52). Son intérêt réside, de prime abord, dans ce qu’elle veut lever un pan de voile sur un sujet aussi bien pertinent qu’actuel. En effet, l’UA est à un moment de son histoire où sa légitimité et sa crédibilité sont à l’épreuve (Fokou, 2012, p. 5). Dans sa quête d’un modèle de justice pénale régionale autonome (Mouangué Kobila, 2012, p. 38-41), l’Organisation continentale est attendue sur la question. L’un des enjeux présents pour elle est de construire un régionalisme pénal qui concilierait la lutte contre l’impunité avec la prémunition de la personne humaine de l’arbitraire des juges, ce à travers une meilleure prise en compte du principe de la légalité criminelle. L’idée est de rendre la règle de droit non seulement claire, mais surtout prévisible en matière pénale, pour des besoins de respect des droits humains et de sécurité juridique. Dans la mesure où l’on considère que la reconnaissance du principe de la légalité criminelle est « inhérente à l’établissement de tout système de droit pénal respectant les droits fondamentaux de la personne humaine » (Dupuy, 2000, p. 83), il apparaît opportun de voir si l’UA vient à bout de l’épreuve que constitue l’intégration réussie de ce principe. En d’autres termes, il est important de participer à l’examen de l’efficacité de la réception africaine d’un principe fondamental de la répression pénale.

À l’évidence, la présente contribution porte sur l’intégration du principe de la légalité criminelle dans le cadre de la régionalisation africaine de la justice pénale internationale. Elle entend analyser et apprécier une telle prise en compte à l’aune des textes africains relatifs à la discipline pénale. L’ambition est de répondre à la question suivante : de quelle manière le principe de la légalité criminelle est-il pris en considération dans la construction du cadre pénal africain de lutte contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux en Afrique?

À travers principalement la méthode juridique et, accessoirement, grâce à la démarche comparative, critique et dialectique, on met en lumière l’idée de la relativité. Une telle idée tient à ce que l’on assiste actuellement à une prise en compte aussi bien consistante qu’insuffisante du principe de la légalité criminelle dans la construction du cadre régional de la justice pénale internationale en Afrique.

Une prise en compte consistante du principe de la légalité criminelle dans l’africanisation de la justice pénale internationale

Comme la plupart des États et des systèmes internationaux de protection des droits de l’homme, l’UA consacre le principe de la légalité criminelle[5]. Par cette consécration, il est reconnu à ce principe une place fondamentale au sein du noyau dur des droits de l’homme. On comprend dès lors que l’UA ne peut prétendre construire une justice pénale régionale sans implémenter ledit principe. Elle le fait d’ailleurs avec consistance, car elle incrimine, ce densément, les comportements répréhensibles et confie logiquement la répression de ceux-ci à une instance juridictionnelle spécialement conçue à cet effet.

Une incrimination dense des comportements répréhensibles

L’incrimination est l’une des applications bien établie du principe de la légalité criminelle. Elle peut être conçue comme la détermination et la définition par l’Union africaine des crimes internationaux (Soma, 2015, p. 24), c’est-à-dire la description des conduites humaines interdites aux fins d’assurer la protection de certaines valeurs sociales ou de certains « biens juridiques » (Merle et Vitu, 1988, p. 262) sur le continent noir. À la lumière de cette précision, il faut remarquer que l’organisation panafricaine s’inspire et réceptionne à bien des égards les infractions classiquement prévues par les instruments universels. Mais faisant œuvre d’originalité, elle crée de nouvelles infractions, spécifiquement africaines, densifiant pour ce faire un existant déjà bien étoffé.

La réception des incriminations internationales pénales classiques au niveau continental

En matière d’incrimination, l’UA prévoit effectivement quatorze infractions[6]. Nombre de ces infractions ne sont rien d’autre que des crimes déjà couramment décrits par des instruments internationaux élaborés dans le cadre, ou sous les auspices, des Nations unies particulièrement. Il s’agit spécifiquement du crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, du crime d’agression, de la piraterie, du terrorisme, du mercenariat, de la corruption, du blanchiment d’argent, de la traite des personnes, du trafic illicite de stupéfiants. Concernant ces infractions, l’UA n’invente pas fondamentalement; elle fait siens la plupart des éléments qui sont universellement utilisés comme constitutifs de tel ou tel crime consacré. Qu’il nous soit permis de nous référer qu’à quelques-uns de ces crimes pour illustrer le propos, étant entendu que le dessein ici n’est pas une présentation au cas par cas des différentes incriminations reprises par l’UA. À cet effet, nous allons nous appesantir sur le génocide pour voir que le Statut annexé au Protocole de Malabo du 27 juin 2014 l’entend comme :

L’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial, ou religieux, tel que : a. meurtre des membres du groupe; b. atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe; c. soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d. mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e. transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe; f. viols ou autres formes de violence sexuelle (article 28B).

En vertu de ce texte, le génocide implique un élément moral et des éléments matériels. Ce crime est constitué moralement lorsqu’il y a « l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel » (Statut annexé, article 28B ; Shabas, 2012, p. 126). Sur ce point, la formulation est la même que celle adoptée par la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide[7] déjà reprise par d’autres textes internationaux; exemple pris des Statuts des tribunaux pénaux internationaux ad hoc[8] ou du Statut de Rome de la Cour pénale internationale[9] (CPI) du 17 juillet 1998 (article 6). Au regard de l’interprétation que la doctrine donne à cette intention avant même l’adoption du Protocole de Malabo, il s’agit d’une intention coupable très élevée appelée « dol spécial » (Bettati, 2012, p. 108; Shabas, 2012, p. 126). C’est donc cette même conception de l’intention coupable qui est adoptée dans le cadre africain. Toutefois, dans ledit cadre, le dol n’est considéré dans la détermination du génocide que si les actes incriminés ont été dirigés contre une masse critique de représentants du groupe ethnique considéré. En d’autres termes, des actes touchant isolément des membres du groupe sont exclus de la qualification du crime de génocide (Badugue, 2017, p. 4). Aussi, matériellement, en droit pénal régional en construction, le génocide suppose-t-il que l’un des actes ci-dessus ait été commis. Si le cadre africain reprend les actes contenus dans le Statut de Rome (article 6) qui lui-même reprend in extenso l’article 2 de la Convention susmentionnée sur le génocide, il faut néanmoins nuancer ces dispositions. Le Statut de Malabo intègre des éléments absents des précédents textes, à savoir les viols ou les autres formes de violence sexuelle. De ce fait, il rappelle la jurisprudence du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) dans l’affaire Akayesu, selon laquelle le viol et d’autres crimes sexuels peuvent être considérés comme des actes de génocide (Shabas, 2012, p. 129). L’entrée de ces crimes sexuels, tout comme celle de la dimension idéologique, dans la description du génocide les rapproche des crimes contre l’humanité (Bettati, 2012, p. 109).

Au regard du Statut annexé, le crime contre l’humanité s’entend comme un acte quelconque « commis dans le cadre d’une attaque ou d’une activité généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ou activité » (article 28C (a).   De tels actes incluent le meurtre, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, l’emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants ou la punition. Ils comprennent aussi le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, les grossesses forcées, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international. La liste est complétée par les disparitions forcées de personnes, le crime d’Apartheid et les autres actes inhumains de caractère analogue qui causent intentionnellement de grandes souffrances, des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

À la lecture, on se rend aisément compte de ce que, mise à part l’utilisation du terme « activité » à côté de celui « d’attaque », cette définition reprend le Statut de Rome (article 7, alinéa 1).  Précisément, à l’image du Statut de Rome (article 7, alinéa 1 (a-k), le texte de Malabo (article 28C, alinéa a (a-k) détermine, sur le plan matériel, les actes concernés.  De même, l’élément moral est consacré à travers la formule « en connaissance de cette attaque » (Bettati, 2012, p. 108). Ainsi, s’il est clair qui les actes sont incriminés doivent être inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux, nationaux, culturels, religieux et sexistes, ils ne peuvent s’inscrire dans la qualification du crime contre l’humanité qu’à partir du moment où on les a accomplis en connaissance de cause. En d’autres termes, comme en droit international pénal universel, en droit pénal régional africain, « l’auteur doit savoir que le comportement reproché faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ou entendait qu’il en fasse partie » (Bettati, 2012, p. 108-109).

L’adhésion du texte de Malabo (article 28D) à la façon dont le Statut de Rome (article 8) détermine les crimes internationaux est également observable en ce qui concerne le crime de guerre. Relativement au crime d’agression, c’est à la version révisée du Statut de Rome qu’il faudra se reporter pour la comparaison. La version originelle de ce dernier renvoyait à une disposition ultérieure (article 5, alinéa 2) qui a été finalement adoptée à la faveur de la Conférence de révision de Kampala de 2010 (Conférence de l’Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale de 2010 (REC/Res. 5 et REC/Res. 6; Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 18 juillet 1998).

En dehors du Statut de Rome, l’UA a repris d’autres textes internationaux pour ce qui est de l’incrimination de certaines des infractions internationales pénales classiquement connues. Par exemple, l’incrimination de la corruption telle qu’elle est opérée par l’article 4 de la Convention de Maputo du 1er juillet 2003 dédiée à la lutte contre les pratiques corruptrices est reprise par le texte de Malabo en son article 28I. En fait, comme à Maputo, à Malabo, on a décidé de considérer comme actes de corruption :

a) la sollicitation ou l’acceptation, de manière directe ou indirecte, par un Agent public, aux membres de sa famille, ou par toute autre personne, de bien ayant une valeur monétaire, ou de tout autre avantage, tel qu’un don, une faveur, une promesse ou un profit pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, en échange de l’accomplissement ou de l’omission d’un acte dans l’exercice de ses fonctions; b) l’offre ou l’octroi à un Agent public, les membres de sa famille, ou à toute autre personne, de manière directe ou indirecte, de tout bien ayant une valeur monétaire, ou de tout autre avantage tel qu’un don, une faveur, une promesse ou un profit pour lui-même ou pour toute autre personne ou entité, en échange de l’accomplissement ou de l’omission d’un acte dans l’exercice de ses fonctions; etc. (Statut annexé, article 28I, alinéa 1 (a et b, notamment). (Convention de Maputo, article 4, paragr. 1 a et b).

Cette incrimination rappelle également celle faite par la Convention des Nations unies du 13 octobre 2003 contre les mêmes pratiques (article 15).

De même, la définition de la traite des êtres humains comme infraction emprunte au Protocole additionnel à la Convention des Nations unies du 15 novembre 2000 contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Ainsi, comme ce texte, le Statut de Malabo dispose :

1. « Traite des personnes » signifie le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, au moyen de la menace ou l’emploi de la force ou d’autres formes de contraintes, par enlèvement, fraude, tromperie, abus de pouvoir ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre personne, pour des fins d’exploitation; 2. Exploitation comprend, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. 3. Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, tel qu’énoncé à l’alinéa (1) du présent article, est indifférent lorsque l’un des moyens énoncés à l’alinéa (1) a été utilisé. 4. Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation sont considérés comme « traite des personnes », même si cela n’implique pas un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa (1) du présent article (article 28J).

Il omet juste un détail contenu dans le protocole additionnel relativement à ce qu’on entend par « enfant ». Or, une telle précision existe déjà dans le champ régional africain, avec la Charte africaine des droits et du bien-être des enfants du 1er juillet 1990. Celle-ci ne se différencie d’ailleurs pas du Protocole additionnel (article 3-d) dans la mesure où elle entend par enfant « toute personne âgée de moins de 18 ans » (article 2).

Quoiqu’il en soit, on peut retenir que l’Union opère « un alignement normatif […] sur les aspects essentiels des incriminations en droit international pénal général » (Soma, 2015, p. 27). Cela montre que, dans la construction du régionalisme pénal en Afrique, l’UA n’entend pas remettre en cause le droit pénal universel (Soma, 2015, p. 21). Au contraire, elle tend à l’enrichir comme l’indique la création de nouvelles infractions internationales spécifiquement africaines.

La création panafricaine de nouvelles infractions internationales pénales

En plus de la réception des crimes internationaux dont la consécration est déjà éprouvée au plan international, l’UA crée de nouvelles infractions spécifiques au continent noir (Soma, 2015, p. 24-29; Mubiala, 2016, p. 3; Mubiala, 2017, A-01-03). Soma range ces infractions en deux catégories : les crimes de nature politique et les crimes de nature économique (2015, p. 27). Les premiers se réfèrent au crime de changement anticonstitutionnel de gouvernement. Cette infraction est décrite à l’article 28E du Statut annexé. Elle est constituée par un ensemble d’actes expressément listés qui en sont l’élément matériel. Ce sont :

a) un putsch ou un coup d’État militaire perpétré contre un gouvernement démocratiquement élu; b) toute intervention de mercenaires visant à renverser un gouvernement démocratiquement élu; c) toute intervention de dissidents armés ou de mouvements rebelles ou à travers l’assassinat politique destinée à renverser un gouvernement démocratiquement élu; d) tout refus d’un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat sorti vainqueur d’élections libres, justes et régulières; e) tout amendement ou révision de la Constitution ou des instruments juridiques, considéré comme une violation des principes du changement démocratique de gouvernement ou non conforme à la constitution; f) toute modification substantielle des lois électorales durant les six (6) mois précédant les élections sans le consentement de la majorité des acteurs politiques.

En présence de ces actes, on ne peut néanmoins parler de changement anticonstitutionnel de gouvernement que si l’élément moral est réalisé : l’intention d’accéder ou de se maintenir illégalement au pouvoir. Mais chacun desdits actes est indépendant. Autrement dit, ils ne sont pas cumulatifs. Ainsi, il suffit qu’un des actes susmentionnés soit commis ou ordonné en vue de prendre ou de perdurer au pouvoir pour que l’incrimination de l’article 28E soit pleinement réalisée.

Les seconds types d’infractions quant à elles se réfèrent précisément à l’exploitation illégale des ressources naturelles d’un État. Prévue à l’article 28B L (bis) du Statut annexé, l’incrimination de cette infraction se matérialise dans les actes comme suit :

a) la conclusion d’un contrat d’exploitation en violation du principe de souveraineté des peuples sur leurs ressources naturelles; b) la conclusion d’un contrat d’exploitation des ressources naturelles avec les autorités étatiques en violation des procédures légales et réglementaires de l’État concerné; c) la conclusion par corruption d’un contrat d’exploitation des ressources naturelles; d) la conclusion par fraude ou par tromperie d’un contrat d’exploitation des ressources naturelles; e) l’exploitation des ressources naturelles en dehors de tout contrat avec l’État concerné; f) l’exploitation des ressources naturelles sans respect des normes en matière de protection de l’environnement et la sécurité des populations et du personnel; et g) le non-respect des normes et standards fixés par le mécanisme de certification de la ressource naturelle concernée.

Une précision s’impose cependant. Aux termes de cet article, l’infraction est constituée uniquement lorsque l’un quelconque des actes précités est de nature grave affectant la stabilité d’un État, d’une Région ou de l’Union.

Aussi doit-on reconnaître, contrairement au texte suscité, que l’exploitation illégale des ressources naturelles ne porte pas seulement atteinte à la fortune de l’État qui les abrite; elle est aussi une atteinte environnementale, en ce qu’elle endommage des ressources qui font partie de « […] l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations futures »[10]. En considération de ce point de vue, c’est donc une infraction aussi bien économique qu’écologique.

Ainsi consacrées, les infractions spécifiquement africaines s’ajoutent aux crimes internationaux classiques pour former la trame matérielle de la compétence que le texte de Malabo confère, conformément au principe de la légalité criminelle, à la section de droit international pénal de la future Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CAJDH), instance répressive panafricaine.

Une attribution conforme à la légalité criminelle de la compétence de répression à une instance pénale africaine

À la suite des incriminations, l’UA a pris sur elle d’instituer une section de droit international pénal au sein de la CAJDH. Si des arguments peuvent être trouvés sur le plan politique pour expliquer cette création, sur le plan purement juridique, il s’avère que la détermination de l’Union à lutter contre l’impunité et ce, dans le respect du principe de la légalité, est une raison non négligeable. Ainsi, en conformité avec ce principe, il est logique qu’au minimum la section en question ait été créée et habilitée à réprimer effectivement les infractions consacrées, suivant une organisation clairement déterminée qui offre une certaine prévisibilité aux potentielles personnes poursuivies.

Une conformité tirée de l’habilitation textuelle de la section de droit international pénal de la CAJDH devant connaître des infractions consacrées

L’un des points de friction entre l’Afrique et les États occidentaux à propos de la justice pénale internationale a été sans conteste l’utilisation de la compétence universelle jugée abusive dans/par les milieux africains. Cette situation a donné lieu à l’adoption par l’Union d’une « décision sur la loi nationale type de l’Union africaine sur la compétence universelle en matière de crimes internationaux » (Union Africaine, Conseil Exécutif, 9 – 13 juillet 2012), décision destinée à aider et à encourager les États africains à réprimer efficacement les personnes suspectées d’avoir commis des infractions internationales (Union africaine, Conseil Exécutif, 9-13 juillet 2012). En plus, dans certains cas liés à l’apurement du passif infractionnel engendré par des conflits dans certains de ses États membres, l’Organisation panafricaine a créé et habilité des juridictions ad hoc (Tribunal spécial pour la Sierra Léone, Chambre africaine extraordinaire…). Ce recours à des dispositifs créés après la commission de l’infraction pour juger les personnes mises en cause peut susciter des inquiétudes quant à la question du respect de la non-rétroactivité. Ce faisant, en raison du fait que la non-rétroactivité soit le corollaire du principe de la légalité criminelle (Levasseur, 1964, en ligne; Dupuy, 2012, p. 83), des doutes peuvent aussi naître sur le respect de ce principe. Si ce type d’inquiétude a été soulevée déjà à l’époque, notamment dans le cadre du procès de Nuremberg (Ascensio, Decaux et Pellet, 2012, p. 98), en Afrique, elles ont occupé l’espace à l’occasion de l’affaire Hissène Habré, principalement dans l’épilogue devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Face cette institution, le Sieur Hissène Habre s’est en effet plaint du non-respect des principes majeurs du droit pénal, dont ceux susmentionnés[11] (Cour de justice de la CEDEAO, 2013, 5 novembre, p. 3-4.)

Toutefois, l’Union ne pourrait être confrontée à des reproches de cet acabit à l’avenir, puisqu’elle dispose désormais, sous réserve de l’entrée en vigueur du Protocole de Maputo, d’une instance permanente chargée de connaître des futures affaires criminelles liées au continent : la section de droit international pénal de la CAJDH.

Instituée le 27 juillet 2014 par le Protocole de Malabo, la section de droit international pénal de la CAJDH est chargée de juger les crimes identifiables susmentionnés. L’habilitation est induite par l’article 3 dudit Protocole, lequel dispose : « La Cour est investie d’une compétence originale et d’appel, y compris une compétence internationale pénale qu’elle exerce conformément aux dispositions du Statut annexé ». Précisément, le statut annexé clarifie cette habilitation dans les dispositions de son article 28A. Il donne à la section du droit international pénal de la Cour, sous réserve du droit de faire appel, la compétence pour juger les crimes prévus. Pour rappel, il s’agit du génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, du crime relatif au changement anticonstitutionnel de gouvernement, de la piraterie, du terrorisme, du mercenariat, de la corruption, du blanchiment d’argent, de la traite des personnes, du trafic illicite de stupéfiants, du trafic illicite de déchets dangereux, de l’exploitation illicite des ressources naturelles et du crime d’agression.

Ces dispositions s’inscrivent sans doute dans la prédétermination de la compétence, mieux, de l’instance judiciaire compétente qu’implique le principe de la légalité criminelle. En effet, si l’on a souvent entendu ce principe dans le seul sens de la légalité des incriminations et des peines, c’était à tort (Levasseur, 1964, en ligne). Cela est d’autant plus vrai que si la raison d’être de la légalité criminelle est la protection des droits et libertés contre l’arbitraire, la procédure pénale, en tant qu’elle constitue un lieu d’empiétement de ces droits et libertés, doit être encadrée préalablement par la norme pénale. D’ailleurs, à en croire Levasseur, « le principe de la légalité est indispensable pour donner à la répression le caractère objectif fondamental sans lequel on ne peut parler de justice » (1964, en ligne). Et qui dit répression, dit aussi règles relatives à la juridiction compétente, donc nécessairement création et habilitation de celle-ci. En effet,

Tout délinquant doit savoir devant quelle juridiction il sera appelé à comparaître, et cela dès le jour même où il commet son infraction. Tout honnête homme doit être assuré de la juridiction compétente […] pour le jour où on lui demanderait compte éventuellement de son comportement actuel. On justifie l’adoption du principe de la légalité par des considérations d’équité élémentaire et de politique criminelle; on fait valoir en effet que le délinquant a pu mesurer le risque qu’il prenait le jour où il a enfreint la loi pénale; il ne peut se plaindre d’une répression dont les modalités ont été établies à l’avance, de façon objective et sans considération de personne. Mais il n’en est ainsi qu’autant que l’accusé d’aujourd’hui a pu savoir hier quels seraient ses juges, qu’autant que l’autorité qui établit la juridiction ignore quels accusés elle lui déférera demain (Levasseur, 1964, en ligne).

Ainsi, la prévisibilité qui est aussi bien un élément de la sécurité juridique que celui de la légalité en tant que telle se trouve généralement au cœur de la création et de la désignation de telle ou telle juridiction pour connaître des comportements interdits par les normes juridiques. Dès lors, on ne peut exclure l’idée que c’est en vue de permettre aux potentiel·le·s prévenu·e·s de connaître à l’avance ou de prévoir la juridiction devant laquelle il devra comparaître en cas de commission de l’un des crimes de l’article 28A du Statut de Malabo que l’UA a institué et investi la section de droit international pénal de la CAJDH de la compétence répressive actuelle. On en veut d’ailleurs pour preuve le fait que la Cour n’ait compétence que pour les crimes relevant de son ressort, commis après l’entrée en vigueur de son statut de manière générale (article 46E). Pour l’État qui adhère après l’entrée en vigueur dudit statut en particulier, la compétence de la cour est valable pour les seuls crimes commis après cette entrée en vigueur de ce statut (ibid.). Cette compétence est matérielle, territoriale, mais également personnelle. Sur cette dernière, il y a, à côté de la classique responsabilité pénale des personnes physiques, la consécration de la compétence de la section pour juger les personnes morales soupçonnées d’avoir commis des infractions internationales déterminées par le Statut de Malabo, chose inédite en droit international pénal. En fait, cette possibilité avait été proposée lors des débats relatifs à l’adoption du Statut de Rome de la CPI, mais il avait essuyé le refus de la majorité des délégations (Manirabona, 2017, p. 295). Si cette extension n’avait été faite, la Section ne prendrait jamais sur elle de connaître des faits, fussent-ils considérés illicites, de ces personnes morales. Étant donné que sa compétence ne lui est due que du fait de la détermination textuelle, que la Section ne puisse agir que dans le cadre de ce que le Protocole de Malabo – y compris le Statut annexé – permet, il y a lieu de penser que ladite détermination s’inscrit bel et bien dans le principe de la légalité criminelle. Il ne serait pas aussi impertinent de concevoir que ce principe est reflété dans l’organisation de l’exercice de la compétence au sein de la section de droit pénal de la CAJDH.

Une conformité liée à la répartition de la compétence au sein de la section de droit international pénal de la CAJDH

Comme le Statut de la CPI, celui de la CAJDH organise le travail de répression entre trois chambres qu’elle institue (article 16 (2) : la chambre préliminaire, la chambre de première instance et la chambre d’appel. Cette organisation est le fait de l’article 19 bis du Statut de Malabo. Au regard de cet article, la Chambre préliminaire a reçu la compétence d’émettre, à la demande du procureur ou de la procureure, des ordres et des mandats selon les besoins de l’enquête et des poursuites, ou pour garantir la protection et le secret des témoins et des victimes, la présentation des preuves et la protection des personnes arrêtées. La Chambre de première instance, quant à elle, conduit les procès des personnes accusées conformément à son statut et son règlement intérieur. Elle reçoit et conduit les pourvois en appel de la Chambre préliminaire. Pour sa part, la Chambre d’appel reçoit et statue sur le pourvoi en appel des décisions rendues par la Chambre de première instance. Cette répartition clairement établie permet à tout potentiel et toute potentielle poursuivi·e d’être à même de savoir à l’avance l’agencement suivant lequel la compétence de la section de droit international pénal de la CAJDH va s’exercer à son encontre, avant même la commission par lui de l’infraction justiciable de la section. C’est en cela que le Protocole de Malabo, instrument de référence de l’établissement de la justice pénale africaine, est conforme au critère de prévisibilité qui structure, en partie, le principe de la légalité criminelle. Dès lors, ce principe se trouve respectée. En effet, il convient de rappeler qu’afin que le principe serve les fins de la protection accrue des droits de la personne humaine, il doit s’étendre au-delà du droit pénal substantiel pour prendre en considération le droit criminel dans son ensemble, y compris la procédure pénale (De Lamy, 2009a; Levasseur, 1964). Contrairement à ce qu’une partie de la doctrine peut penser, cela n’a rien de surprenant; ce d’autant plus que la procédure pénale en tant que telle est le siège même de la répression pénale.

Ainsi, « la répression met en péril la liberté individuelle dès le premier moment où elle s’exerce et jusqu’à l’achèvement de l’exécution de la peine, et cette liberté ne peut trouver de protection que dans la loi » (Levasseur, 1964, en ligne). Pour que les lois soient effectivement protectrices de cette liberté individuelle, on ne peut laisser aux juges exercer leur compétence répressive sur la personne poursuivie selon les règles ou les modalités définies par ces mêmes autorités. Au contraire, il importe que la loi prédéfinisse de telles modalités avant la commission des faits incriminés. On ne peut pas nier que cette exigence qui relève du principe de la légalité criminelle soit présente dans l’organisation de l’exercice de la compétence au sein de la section du droit international pénal de la CAJDH. Au regard de cette organisation, tout potentiel ou toute potentielle criminel·le sait, sous réserve de l’entrée en vigueur du Protocole de Malabo, quel cheminement suivra son dossier pénal jusqu’au dernier jugement ou arrêt. Cette personne sait alors à quoi s’attendre sur le plan procédural. Aussi, elle connaît par exemple quels droits lui sont garantis, compte tenu du double degré de juridiction qu’implique la prévision d’une Chambre d’appel au sein de la section.

Au demeurant, deux « points de force » (Cataleta, 2016) majeurs marquent l’intégration du principe de la légalité criminelle dans le cadre de l’africanisation de la justice pénale internationale : la détermination textuelle des infractions et la définition des règles relatives à la compétence de la CAJDH. Néanmoins, ces efforts ne masquent pas les insuffisances qui entachent cette incorporation.

Une prise en compte insuffisante du principe de la légalité criminelle dans l’africanisation de la justice pénale internationale

Aux origines du droit international pénal se trouve le respect des règles nullum crimen nulla poena sine lege (Dupuy, 2012, p. 83). Le droit pénal régional africain en construction ne déroge pas à ce postulat. En effet, l’analyse précédente montre que les motifs de satisfaction ne manquent pas, mais ce contentement n’est que partiel si l’on considère les nombreuses insuffisances qui affectent ce respect du principe. De ce fait, le ou la législateur·trice pénal·e africain·e devrait revoir sa politique légistique, en intégrant de manière optimale ledit principe dans la construction de la justice pénale régionale.

La teneur des insuffisances dans la prise en compte du principe de la légalité criminelle relativement à l’africanisation de la justice pénale internationale

Deux types d’insuffisances émaillent la prise en compte du principe de la légalité criminelle dans le cadre de l’africanisation de la justice internationale pénale. Il y a, d’une part, la détermination incomplète du régime des peines applicables; d’autre part, la définition imparfaite des actes de procédure nécessaires à la répression judiciaire des infractions.

Des insuffisances tirées de la détermination incomplète du régime des peines applicables

Le Statut annexé prévoit une disposition relative aux « peines et amendes infligées conformément à la compétence pénale internationale de la Cour ». En vertu de cette disposition :

1. Sans préjudice des dispositions de l’article 43, la Cour rend le jugement et prend à l’encontre des personnes reconnues coupables de crimes de portée internationale des peines et/ou amendes, autres que la peine de mort, conformément au présent Statut. 2. À cet effet, les peines prononcées par la Section du droit pénal international de la Division de première instance de la Cour doivent être limitées à l’emprisonnement et/ou à des amendes financières. 3. Les peines et/ou les amendes sont rendues en public et lorsque cela est possible, en présence de l’accusé. 4. En imposant la peine et/ou en fixant les amendes, la Cour doit tenir compte des facteurs tels que la gravité du délit et la situation personnelle de la personne déclarée coupable. 5. En plus de l’emprisonnement et/ou des amendes, la Cour peut ordonner la saisie des biens et ressources acquis illégalement ou par un comportement criminel, et leur restitution à leur propriétaire légitime ou à un État membre approprié (article 43A).

Ce passage rappelle les termes des articles 77 et 78 du Statut de la CPI sur plusieurs points. D’une part, comme l’article 77, l’article 43A du Statut annexé exclut l’application de la peine de mort, détermine la nature des peines applicables (soit les peines d’emprisonnement, d’amendes et la saisie des biens et ressources acquis illégalement), ainsi que les facteurs à prendre en considération dans la détermination de celles-ci, notamment la gravité de l’infraction et la situation personnelle de la personne déclarée coupable. D’autre part, l’article 43A, à l’instar de l’article 78 du Statut de Rome, fait défaut quant à la détermination de la manière dont il faut apprécier la gravité de l’infraction. Elle omet également de dire ce qu’il faut entendre par « situation personnelle de la personne déclarée coupable ». De ce fait, la tâche reviendrait aux juges qui auront la latitude des modalités à utiliser pour apporter les clarifications nécessaires. Dès lors, on peut s’autoriser à penser qu’« en droit international pénal, ce qui est désormais exigé pour la définition des crimes n’est pas encore vraiment exigé en ce qui concerne les peines, un domaine où une large liberté domine encore parmi les juges » (Cataleta, 2016, p. 2). Or, cette large marge de manœuvre laissée aux juges est source d’inquiétude au regard du principe de la légalité criminelle. En effet, ce principe est considéré comme un moyen de protection de l’individu contre l’arbitraire de ceux et celles qui sont chargé·e·s de rendre la justice. Selon la philosophie libérale qui sous-tend ce principe, il est admis, au plan national, que la loi en tant qu’expression de la volonté du peuple est à même de prémunir l’individu d’une intrusion démesurée de toute autre autorité. À l’échelon international, une telle philosophie protectrice prévaut, au regard des valeurs induites par les droits humains qui y sont défendues. D’ailleurs, les instruments internationaux et régionaux font de la légalité un des principes fondamentaux de protection des droits de la personne humaine, donc de la préservation de celle-ci d’atteintes ou d’abus. C’est dire que, comme au niveau national, à celui international la hantise de l’arbitraire est grande; la matière pénale étant celle dans laquelle elle s’exprime avec une acuité particulière. À ce propos, Di Marino rappelle une appréhension bien connue de la doctrine pénaliste :

La crainte de l’arbitraire conduit le pénaliste, plus que tout autre juriste, à être un fervent légaliste et à n’admettre qu’avec une extrême prudence tout ce qui pourrait le distraire de cette voie. Qu’on le veuille ou non, on garde à l’esprit l’affirmation de Portalis selon laquelle « en matière criminelle, il faut des lois[12] précises, point de jurisprudence » et celle de Beccaria selon laquelle « les juges ne peuvent interpréter la loi car ils ne sont pas législateurs » (Di Marino, 1991, p. 505).

Une telle crainte peut être nourrie en ce qui concerne le droit pénal africain en construction. Elle l’est d’autant plus lorsque l’on sait qu’en droit international pénal général l’exigence que pose le principe de la légalité des peines est, contrairement à celui de la légalité des incriminations, négligée. Sur le plan universel, la jurisprudence des tribunaux pénaux ad hoc est un exemple. Comme le relève Scalia à ce propos, « de nombreux auteurs ont démontré le respect du principe nullum crimen sine lege par les tribunaux ad hoc. Cependant nous constatons qu’il n’en est pas de même concernant le principe nulla poena sine lege » (2006, p. 187). On a pu faire valoir que les divergences d’appréciation de la gravité des crimes internationaux par des systèmes juridiques différents, ainsi que l’existence d’un ensemble trop varié de sanctions pénales rendaient difficile la prédétermination textuelle de la grille des peines applicables (Cataleta, 2016, p. 2). Si on devait suivre une telle logique dans le cadre régional, on dirait que l’analyse du principe de la légalité de la peine dans le milieu pénal international doit tenir compte de la particularité de ce système répressif, qui n’a pas de tradition judiciaire uniforme à cet égard (Cataleta, 2016).

Pourtant, en matière de précisions relatives à la peine, on peut se demander si de telles raisons peuvent suffire pour dédouaner l’autorité créatrice de la norme, en l’occurrence l’UA. La réponse négative s’impose, car même pour des éléments de la sanction pénale précisés à l’échelle universelle où la diversité des systèmes juridiques est beaucoup plus prononcée, l’Organisation continentale est muette. Il s’agit notamment de la fixation de la peine maximale comme le fait par exemple le Statut de la CPI (article 77, alinéa 1). Ainsi, au regard du Protocole de Malabo – le Statut annexé de la CAJDH –, on ne peut estimer quelle sera la marge de la peine à appliquer par la juridiction pénale africaine lorsque la CAJDH entrera en fonction. C’est dire que, dans le cadre panafricain, « si le versant relatif aux peines, correspondant à l’expression nulla poena sine lege, fait également l’objet d’une disposition [article 43A du statut annexé], force est d’admettre qu’en ce domaine les indications statutaires restent limitées » (Ascencio, Décaux et Pellet, 2012, p. 99-100).

On peut regretter que l’Afrique n’ait pu faire mieux que la précision de la nature de la peine, surtout lorsque l’on considère que la prévisibilité est l’un des caractères du principe de la légalité criminelle. Or, la détermination de la durée de la peine fait partie des éléments à prévoir, compte tenu de ce principe. En ne le faisant pas, l’UA laisse régner l’imprévisibilité en ce domaine. Aussi, en ce qui concerne la régulation des actes de procédure nécessaires à la répression par la CAJDH des infractions définies par le Statut annexé, l’Union connaît des défaillances qui relèvent du registre de cette imprévisibilité.

Des insuffisances liées à la régulation inachevée des actes de procédure à suivre en matière de répression

Si l’on s’accorde avec Levasseur sur le fait que « la répression met en péril la liberté individuelle dès le premier moment où elle s’exerce et jusqu’à l’achèvement de l’exécution de la peine, et [que] cette liberté ne peut trouver de protection que dans la loi » (1964, en ligne), force est d’admettre avec lui que le principe de la légalité criminelle intéresse, en plus du droit pénal substantiel, tout le droit pénal procédural. Ce dernier est alors entendu comme la matière du droit pénal « qui détermine entre autres la compétence des tribunaux répressifs, régit le procès, attribue les effets des jugements, les règles relatives à l’assistance et la coopération internationale en matière de répression pénale » (La Rosa, citée par Mahiou et Martin, 2012, p. 58). Grosso modo, ce droit intègre les règles relatives à la découverte des coupables, à leur poursuite, à leur jugement et à l’exécution de la sanction qui leur est infligée (Herzog-Evans, 1999, p. 1). Toutefois, il s’avère que tous les aspects de cette dernière matière ne soient pas encore légalement encadrés en droit pénal régional africain, comme l’aurait voulu le principe de la légalité criminelle. En l’espèce, on peut retenir le régime de la détention provisoire (encore appelée détention préventive) et de la computation de sa durée par rapport à la peine définitivement prononcée.

La détention provisoire peut être entendue comme une « mesure d’incarcération d’un inculpé pendant l’information judiciaire, ou d’un prévenu dans le cadre de la comparution immédiate » (Guillien et Vincent, 2001, p. 202). Mais en droit international pénal, les infractions considérées sont assez graves pour rendre la comparution immédiate inopérante. Ce sont des crimes qui, en plus d’être qualifiés de graves, requièrent, comme en droit interne et à la différence des affaires simples, l’information judiciaire (Phi, 2012, p. 3).

Quel que soit le sens que la détention provisoire recouvre, on justifie généralement celle-ci par la nécessité de la défense sociale (Simon, 2016, p. 223). En outre, en droit international en l’occurrence,

Les circonstances uniques en fonction desquelles ces tribunaux doivent opérer – en l’absence de force policière et de contrôle territorial – sont telles que les autres conditions légitimant la détention préventive au regard des textes internationaux, tels le risque de fuite ou la destruction d’éléments de preuve, sont remplies (La Rosa, 2003, p. 101).

De par sa définition, la détention provisoire intervient avant le jugement. Cette mesure prive incontestablement la personne détenue de sa liberté alors même qu’à ce moment-là elle est présumée innocente. Cette disposition est donc non seulement un acte d’instruction, mais aussi une mesure de sûreté et une peine par anticipation (Doucet, 1966, en ligne). En tant qu’institution attentatoire à la liberté de l’individu mis en cause, cette mesure doit être minutieusement encadrée au regard du principe de la légalité des peines.

Seulement, la nécessité de cet encadrement minutieux n’a pas été considérée par la législation pénale panafricaine. Ainsi, le Protocole de Malabo est resté muet sur la durée de la détention provisoire. De la même manière, à la différence du Statut de Rome (article 78, alinéa 2), il garde le silence sur la prise en compte du nombre de temps passé en détention dans la computation de la durée de la peine finale prononcée par les juges à l’issue du procès. On pourrait se demander si cet encadrement serait fait par un futur règlement de preuve et de procédure de la CAJDH, un peu à l’image des Règlements de procédure et de preuve (RPP) de la CPI ou des ex-tribunaux pénaux ad hoc[13]. Rien ne permet de le dire. D’une part, on ne peut prévoir l’adoption prochaine d’un RPP en droit pénal africain naissant. D’autre part, si l’on se réfère à ce qui est courant concernant les statuts des juridictions pénales internationales déjà existantes, on dirait que ce silence pourrait demeurer en ce qui concerne notamment la durée de la détention provisoire. À ce propos, prenant exemple sur les TPI, Anne-Marie La Rosa constate :

aucune disposition des statuts ou des règlements de procédure et de preuve ne prévoit de délai. Les chambres des TPI ont conclu que le délai après l’expiration duquel la détention cesse d’être justifiée dépend des circonstances individuelles de chaque affaire, mais ont ajouté que la détention ne pouvait dépasser un délai raisonnable (La Rosa, 2003, p. 104).

Or, le délai raisonnable lui-même fait partie de ces notions floues, à contenu fluctuant et imprécis. De ce fait, ce vocable ne résout pas clairement à l’avance la question de la précision du délai de la détention provisoire. Au contraire, il concourt à l’indétermination du délai, puisque sa précision est, somme toute, laissée à l’appréciation des juges qui devront décider au cas par cas. Cet état du droit n’est pas de nature à rassurer les personnes qui seraient mises en cause pour l’un des crimes prévus par le Statut de la CAJDH.

En tout état de cause, il y a tout lieu de s’inquiéter de la défaillance décrite ici, ce d’autant plus que la mise en détention provisoire a souvent été l’un des topiques de la dénonciation de l’arbitraire judiciaire (Lenoir, 1995, p. 361). La législation régionale africaine est ainsi interpellée à l’effet de prendre des mesures correctives nécessaires au respect accru du principe de la légalité criminelle en droit pénal africain qui est en construction.

Pour une prise en compte optimale du principe de la légalité criminelle dans l’africanisation de la justice pénale internationale

Afin de gagner en crédibilité, en légitimité et en efficacité dans la régulation des rapports sociaux en Afrique par le biais du droit pénal, l’Union africaine est appelée à améliorer sa législation pénale; ce en intégrant toutes les exigences qu’implique le principe de la légalité criminelle à cet ensemble législatif. Au regard des différentes insuffisances décelées plus haut, il serait particulièrement important pour l’organisation continentale de définir les peines applicables et de préciser le régime de tous les actes de procédure, en particulier ceux qui sont attentatoires aux libertés.

Une définition textuelle impérieuse des peines applicables        

En droit pénal substantiel[14], le principe de la légalité comprend deux volets : la légalité des incriminations et la légalité des peines. Si dans le cadre de l’africanisation de la justice pénale internationale, la composante nullum crimen sine lege est respectée, il n’en est pas le cas du poena sine lege. On a pu ainsi constater plus haut qu’en dehors des précisions relatives à la nature des peines, la législation pénale panafricaine présentait une imprécision en ce qui concerne le quantum desdites peines, toute chose qui en donnait aux juges de la juridiction pénale africaine une marge d’arbitraire plutôt large. Cette situation devrait être corrigée par la législation pénale africaine afin de respecter pleinement le principe de la légalité criminelle. Plusieurs voies peuvent être empruntées. À l’image du Statut de Rome de la CPI, il est possible pour l’UA de définir une marge maximale. En dehors de cette solution, elle peut choisir de prévoir une fourchette comprise entre une peine minimale et une marge maximale. En plus de cette dernière piste, elle pourrait être plus entreprenante en définissant le quantum des peines pour chacune des infractions consacrées. Cette solution est faisable et moins difficile que dans le cadre universel où on n’a pas pu le faire lors de l’élaboration du Statut de la CPI, car l’UA est un cadre régional avec des États moins importants en nombre; par conséquent, ils sont censés être plus proches et plus à même d’être solidaires. L’Acte constitutif de l’Union ne dit-il pas que l’un des objectifs de l’organisation est de « réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique » (article 3, a)? Ainsi, la législation africaine devrait, au nom de cette solidarité, déterminer avec plus de précision les peines applicables à chaque infraction pénale définie par le Statut annexé. Cela permettrait au principe de la légalité des peines de jouer son rôle et de réaliser sa raison d’être : éviter l’arbitraire lors du jugement. En Afrique, ces réformes répondraient à l’un des appels de la doctrine, laquelle pense que

Le juge n’est pas législateur. Il doit appliquer la loi, non la créer, ni même l’interpréter. D’où l’exigence que les lois soient écrites, claires et ordonnées, pour que le juge n’ait pas à se fonder sur « l’esprit de la loi » qui ouvre la porte à l’arbitraire judiciaire (Badinter, cité par Scalia, 2006, p. 186)

Ainsi, dans cette nouvelle légistique, la marge d’interprétation laissée aux juges doit être assez étroite. Celle-ci ne devrait se justifier que dans la mesure où elle lui permettrait d’appliquer la loi de manière juste et équitable, compte tenu des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines; ces principes étant au demeurant complémentaires à la légalité pénale. Au demeurant, les réformes à apporter au régime des peines applicables apparaissent nécessaires, car elles donneraient à la sanction pénale la certitude qui renforce son pouvoir d’intimidation tout en garantissant les libertés individuelles de l’arbitraire (Scalia, 2006, p. 187). En d’autres termes, le principe nulla poena sine lege devrait être pleinement respecté (Scalia, 2006, p. 208) dans l’adaptation africaine de la justice pénale internationale. L’Afrique en a tout intérêt si elle veut assumer pleinement le statut de « laboratoire d’expérimentation du droit international pénal » (Manirakiza, 2009, p. 30) qu’on lui attribue ou, plus particulièrement, être effectivement « à l’avant-garde de la lutte contre les principaux crimes internationaux ainsi que ceux d’ordre transnational qui lui ont particulièrement fait mal depuis plusieurs décennies » (Manirabona, 2017, p. 297). Mais l’expérimentation de cette nouvelle forme de justice internationale (Nguefeu, 2015, p. 128) pénale sur le plan régional africain, en ce que cette dernière est permanente et inédite, ne gagnerait davantage en crédibilité et en efficacité que si le régime des actes de procédure était suffisamment précisé.

Une précision suffisante du régime des actes de procédure pénale africaine

Dans la société actuelle où la soumission de tout le monde au droit et la réalisation de la justice dans le respect des droits de la personne humaine sont la règle, la prise des actes de procédure aux fins de la répression des infractions attentatoires aux libertés qu’on connaît ne devrait pas être laissée à l’appréciation totale des juges, que ce soit au niveau étatique, universel ou régional. Dans la construction actuelle d’un droit pénal régional en Afrique, l’adhésion à cette réalité n’est possible que si à tous les niveaux de la répression des crimes consacrés,

le fragile équilibre systémique [entre protection de l’individu et nécessité de lutter contre l’impunité] est maintenu par le respect de trois conditions […] fondamentales : le respect du caractère équitable de la procédure, la poursuite des finalités assignées à ces juridictions et leur adéquation à l’environnement dans lequel elles prennent place. C’est dans la mesure où les règles retenues respectent ces conditions que le système de répression pénale internationale est juste, efficace et légitime (La Rosa, 2003, p. 1).

Le respect de ces trois conditions intègre pleinement le principe de la bonne administration de la justice. Or, la bonne administration de la justice suppose l’application pleine et entière du principe de la légalité criminelle. En effet,

Le principe général de procédure de bonne administration de la justice nous paraît commander que l’ensemble des actes soient prévus par des textes clairs et précis, recouvrant un maximum de situations possibles. La bonne administration de la justice commande également que l’on tende, dans toute procédure, et spécialement en matière pénale, vers la vérité des faits. Or, seule une procédure strictement encadrée par des textes, ayant à la fois le souci de protéger le justiciable contre l’arbitraire et de frapper juste, est de nature à satisfaire cette exigence (Herzog-Evans, 1999, p. 3).

Il ne pourrait en être ainsi dans le cadre de l’africanisation de la justice pénale internationale si un acte grave et ultime comme la détention provisoire n’était pas encadré par l’autorité législatrice africaine. Ainsi, l’un des défis auxquels l’UA se trouve confronté est la détermination par voie normative des délais de ladite détention provisoire afin d’en limiter, au juste nécessaire, le recours par le corps judiciaire panafricain. Elle devrait également prévoir les modalités nécessaires pour que le nombre de temps passé en détention provisoire soit comptabilisé dans l’exécution de la peine finale à purger. Ces mesures sont d’autant plus souhaitables que, compte tenu du principe de la légalité criminelle, elles participent de l’équité.

Pour remplir adéquatement leur mandat, les juridictions pénales internationales doivent rendre justice en offrant toutes les garanties nécessaires afin d’assurer aux accusés une procédure équitable. En l’absence d’une justice publique, indépendante et fondée exclusivement sur le droit, il est illusoire d’espérer que ces juridictions participeront à la réconciliation sociale essentielle au maintien d’une paix durable (La Rosa, 2003, p. 100).

Cela ne saurait donc être le cas si en procédure, le principe de la légalité pénale n’avait pas la même dimension, les mêmes effets, qu’en droit pénal de fond. En procédure pénale, ce sens devrait ainsi comprendre l’équivalent du noyau dur du principe de légalité, soit les règles « pas d’infraction et pas de peine sans texte » (Herzog-Evans, 1999, p. 3). S’il est évidemment juste de laisser les praticiens et praticiennes adapter la réponse pénale aux nécessités concrètes de chaque affaire, cela doit se faire dans des limites clairement énoncées. En d’autres termes, il faut permettre aux magistrat·e·s de choisir parmi différents actes selon les besoins de l’instruction, et non pas d’inventer les actes en question (Herzog-Evans, 1999, p. 4). Ce d’autant plus que si l’équilibre répression/libertés individuelles a principalement pour fonction de protéger les honnêtes gens (Herzog-Evans, 1999, p. 4), il apparaît plus que nécessaire qu’une mesure attentatoire, comme la détention, soit strictement encadrée dans chacun de ses aspects en droit pénal panafricain naissant. En tout cas, il faut s’efforcer à faire de telle sorte que la longue détention des personnes présumées innocentes avec le long délai du procès ne puisse pas remettre en cause la capacité d’un tel système de répression à assurer l’équilibre social, tel que voulu par le Droit et créer par-là, une sorte d’insécurité juridique (Manzanga Kpanya, 2020, p. 17). Ainsi, le respect du principe de la légalité criminelle est l’une des voies qui permettraient à la CAJDH d’être un outil d’intégration et de construction de la sécurité juridique. Plus globalement, il devrait permettre à la Cour de jouer efficacement son rôle

dans le renforcement de l’engagement de l’Union africaine à promouvoir la paix durable, la sécurité et la stabilité sur le continent ainsi qu’à promouvoir la justice et les droits de l’homme et des peuples en tant qu’un aspect de leurs efforts pour promouvoir les objectifs de l’intégration politique et socioéconomique et du développement du continent en vue de réaliser l’objectif ultime des États unis d’Afrique » (Protocole de Malabo, 2014, préambule, paragr. 9).

Conclusion

À l’issue de cette réflexion, il apparaît que la prise en compte du principe de la légalité criminelle dans la construction du cadre régional africain de la justice pénale internationale est marquée par « des points de force et de faiblesse » (Cataleta, Maria Stefania. 2016). D’une part, on a pu remarquer que l’Union réceptionne les infractions internationales classiques et en créer de nouvelles spécifiques au contexte continental. De même, l’organisation continentale a créé une instance juridictionnelle pénale à qui elle a donné compétence pour connaître des infractions ainsi consacrées. D’autre part, on a noté des insuffisances sur un double plan. Premièrement, un peu à l’image du système pénal universel, l’UA omet de préciser le quantum des peines encourues, négligeant de ce fait le second versant du principe de la légalité criminelle, à savoir nullum poene sine lege. Secondement, il y a, de sa part, une absence de détermination de la durée de la détention. Or, cette omission peut être le temple même de l’arbitraire que le principe de la légalité pénale cherche justement à enrayer. Ainsi, l’union devrait réviser sa copie en insérant, dans le Statut de la CAJDH, la marge des peines encourues en cas de commission des infractions internationales incriminées, ainsi que les délais de la détention provisoire des personnes mises en cause. De tout cela dépend aussi l’efficacité de la répression par la juridiction régionale africaine des crimes internationaux commis sur le continent noir par la juridiction régionale africaine. C’est aussi, semble-t-il, l’un des enjeux de la régulation pénale contemporaine des rapports sociaux en Afrique.

Références

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  1. Ci-après : Union, UA, Organisation continentale ou Organisation panafricaine.
  2. Voir l’article 4, paragraphe o de l’acte constitutif de l’Union africaine du 07 novembre 2000. L’attestent également l’adoption du Protocole de Sharm El-Sheikh du 1er juillet 2008 portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, ainsi que de celle du Protocole de Malabo du 27 juin 2014 portant amendements au statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
  3. Ci-après : CPI.
  4. Pour plus de détails, lire notamment Stéphane Doumbé-Billé à qui nous empruntons la formule (2012, p. 9-17).
  5. Cf. l’article 7, paragr. 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 1er juin 1981.
  6. Statut annexé au Protocole portant amendements au protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme du 27 juin 2014 (article 28A, alinéa 1). Nous nommerons aussi ce statut le « Statut annexé », le « Statut de Malabo » ou le « texte de Malabo ». Quant au Protocole lui-même, il sera aussi appelé « Protocole de Malabo ».
  7. Se référer à l’article 2 de ladite convention dont l’adoption a été faite le 9 décembre 1948.
  8. Sans être exhaustif, on peut citer : le Statut du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie du 25 mai 1993 (article 4, paragraphe 2), le Statut du tribunal pénal international pour le Rwanda du 8 novembre 1994 (article 2, paragraphe 2), le Statut des chambres extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises du 22 août 2012 (article 5).
  9. Plus simplement, on l’appellera aussi Statut de Rome.
  10. Lire particulièrement : Cour internationale de justice (CIJ). 1996, 08 juillet. Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (ONU). CIJ, Recueil, 226, p. 241-242, paragr. 29. CIJ. 1997, 25 septembre. Projet Gabcicovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie). CIJ, Recueil, 7, p. 78, paragr. 140.
  11. En ce sens : Cour de justice de la CEDEAO. 2013. Hissène Habré c. République du Sénégal. Affaire n° ECW/CCJ/APP/11/13. Arrêt n° ECW/CCJ/RUL/05/13 du 5 novembre, p. 3-4. http://www.idc-afrique.org/sites/default/files/jurisprudence/HISSEIN HABRE CONTRE REPUBLIQUE DU SENEGAL 5 NOV 2013.pdf
  12. Dans le même sens que soulignent Ascensio, Hervé, Décaux, Emmanuel et Pellet, Alain (2012, p. 97-98), nous entendons loi au sens large, incluant non seulement les normes nationales, mais également les normes internationales.
  13. On fait allusion au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et au Tribunal pénal international pour le Rwanda.
  14. On doit cette appellation à La Rosa (2003), reprise par Mahiou, Ahmed et Martin, Jean-Christophe (2012, p. 58-59). Dans ce sens, on doit entendre par « droit pénal substantiel », l’ensemble des règles qui décrivent les infractions, identifient les responsables et fixent les peines encourues.

Pour citer cet article

Fotsing Takam, Serges Roméo. 2022. Le principe de la légalité criminelle dans l’africanisation de la justice pénale internationale. ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/adilaaku.2022.2.1.6

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https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2022.2.1.6