Volume 2 – numéro 1 – 2022 : Législation pénale et rapports sociaux en Afrique

Présentation. La législation pénale et les rapports sociaux en Afrique

Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU

 

Cet autre numéro d’Adilaaku sur la thématique de la « législation pénale et les rapports sociaux en Afrique » est un maillage d’analyses théoriques et pratiques du droit pénal conçu et vécu en Afrique. Elles sont actuelles dans la mesure où elles traitent de nouveaux défis culturels, socio-économiques, mondiaux à l’instar de l’internet sans oublier la justice internationale pénale africaine.

La législation pénale africaine à l’épreuve de la mondialisation

Selon Portalis, « l’office de la loi est de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière » (Portalis, 1801, p. 17). La loi a plusieurs rôles : « Elle permet ou elle défend; elle ordonne, elle établit, elle corrige, elle punit ou elle récompense. Elle oblige indistinctement tous ceux [et toutes celles] qui vivent sous son empire… » (ibid., p. 26). Dans l’espace, elle « oblige indistinctement tous ceux [et toutes celles] qui vivent sous son empire », car vivre sur un « territoire, c’est se soumettre à la souveraineté » (Portalis, ibid.). Portalis visait principalement la situation des étrangers et étrangères. Il allait de soi que l’application de la loi devait être identique pour tou·te·s les citoyen·ne·s sur l’ensemble du territoire français. Tel était l’objectif premier de la Révolution, son grand dessein et sa plus éclatante réussite : l’unification du droit et l’abolition corrélative des diverses sources jusqu’alors en vigueur. La loi peut être utilisée comme instrument de rupture ou d’évolution de l’ordre établi. La visée politique de la loi ne sera pas sans influence sur la portée de la règle, tant du point de vue de la force des droits et des obligations qu’elle crée que du point de vue de sa généralité. « Les lois sont faites pour les hommes [et les femmes] et non les hommes [et les femmes] pour les lois » (Portalis, ibid., p. 14). Les lois sont « des commandements », « des actes de souveraineté » (Couderc, 2005, p. 24). La loi pénale apparaît comme ayant pour premier objectif la répression. On ne peut pas mettre en doute cette fonction.

En effet, la loi pénale vise à garantir la protection de la société, et ce par le biais d’une peine applicable au délinquant ou à la délinquante. Mais en réalité, la fonction répressive n’intervient que lorsque la loi a été enfreinte, c’est-à-dire lorsque la fonction pédagogique de la loi pénale n’a pas suffi à éviter le non-respect de l’interdit. Par ailleurs, le développement de la justice pénale internationale, comme branche incidente des processus de maintien de la paix, ne laisse pas indifférent·e·s les Africain·e·s, particulièrement concerné·e·s par les violations graves du droit international humanitaire occasionnées par les conflits armés. L’Union africaine, dont l’acte constitutif fait du rejet de l’impunité un principe fondamental, plaide, depuis les divergences politiques qui ont entravé la collaboration de ses membres avec la Cour pénale internationale, pour une régionalisation accélérée de la répression pénale internationale. Il convient de dire que dans la perspective de la régulation des rapports sociaux, les législations en Afrique prennent en compte les facteurs temps, espace ainsi que les dimensions culturelles, sociales économiques et les NTIC.

De nombreuses questions foisonnent autour de la question principale suivante : quelle est la particularité de la législation pénale en Afrique? C’est à cette question que les contributeurs et contributrices issu·e·s des disciplines des sciences humaines et sociales ont répondu dans un style diversifié.          

Le droit pénal face à l’Afrique et ses traditions

L’oralité juridique est un trait caractéristique de l’Afrique avant la période coloniale. Essentiellement coutumier, le droit africain était le fruit d’un ensemble des pratiques et usages répétés pendant longtemps et devenus obligatoires. Les sociétés africaines sont encore régies par un droit propre, coutumier qui a amené la législation en Afrique, influencée par la colonisation, à circonscrire le champ d’application de la coutume. Le droit pénal n’a pas résisté à ce phénomène de codification. Il ne s’est pas agi, d’encadrer simplement la coutume, mais le législateur africain a étendu son activité en prenant en compte les nouveaux défis de la pénalisation des comportements en tenant compte du contexte africain face au développement du droit international pénal. Les auteurs et autrices de ce numéro se proposent de montrer cette évolution et la résistance du législateur africain contraint d’observer une résilience juridique. La société dahoméenne est une illustration de la résistance. Elle connait son système de production de normes juridiques qui demeurent l’apanage du roi, parfois en collaboration, des notables et donc la société en assure la mise en œuvre en cas de transgression, selon Thikandé SERO.

Toutefois, dans une perspective de modernisation du droit oral, Guy Blaise DZEUKOU montre à travers sa contribution que l’œuvre législative, dont l’aboutissement est le code pénal de 2016, consacre de manière épurée le droit coutumier camerounais, directement ou moins directement. Cela est rendu possible par l’évocation de notions ou d’allusions relatives au droit coutumier ainsi que d’institutions spécifiquement coutumières. Et de manière moins directe, par des références conceptuelles pénalisant des faits en rapport évident avec certaines pratiques coutumières, néanmoins assainie. Dans cette mouvance et de manière spécifique, Valéry Blériot DJOMO TAMEN relève une insuffisance législative dans la protection d’une institution coutumière très importante en Afrique et au Cameroun, à savoir la dot. La protection pénale réservée à la dot souffre d’une faiblesse. Il ressort que la codification ne suffit pas; encore faudrait-il garantir l’efficacité. De même, face à l’enjeu sanitaire actuel dominé par la crise sanitaire née de l’émergence de la COVID-19, Éric GUIDASSA met en évidence ce que peut gagner le Cameroun au plan sanitaire en trouvant aux lois pénales relatives à la tradipratique des contenus qui tiennent compte de la conception camerounaise de l’humain, de la santé et de la maladie. On se rendra compte que la législation pénale en Afrique, pour s’arrimer au développement de certains comportements et en réaction à la justice pénale internationale sous l’égide des institutions et juridictions pénales internationales, a opté pour une régionalisation africaine de la justice pénale internationale.

Mais selon Serges Roméo FOTSING TAKAM, le principe de la légalité criminelle, qui est attaché à cette justice, n’est pas suffisamment intégré pour assurer l’efficacité de la répression régionale africaine des crimes internationaux commis sur le continent noir. Même si, comme le remarque Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU, des prémisses vers une future Cour africaine de justice, des droits de l’humain et des peuples comportant une section du droit international pénal dont le but est d’asseoir la compétence pénale de la juridiction régionale dans un dynamisme structurel avec l’apparition d’un Procureur ou d’une Procureure sont perceptibles. On se trouve donc face à une résilience qui mérite d’être saluée sans se détourner de la nécessité de réformer le système pénal pour une protection des biens culturels depuis le procès de Tombouctou devant la Cour pénale internationale. La législation pénale camerounaise s’y est partiellement penchée dans le code pénal du 12 juillet 2016. Il a fait le choix de correctionnaliser l’atteinte au patrimoine culturel. À la différence de la Cour pénale internationale dans l’affaire Procureur c. Al Mahdi, le quantum de la peine prévue est doux, précisent Serges Frédéric MBOUMEGNE DZESSEU et Valéry Blériot DJOMO TAMEN. Est-ce cette relative insuffisance qui justifie l’intervention de l’exécutif dans le champ pénal?

L’exécutif et le législateur en droit pénal

En droit pénal, le législateur principal est le parlement investi du pouvoir de légiférer. L’intervention de l’exécutif se fait dans les domaines réservés et par détermination de la loi. On peut se poser la question de savoir si cette intervention s’étend tant dans la définition des infractions que des sanctions. Il s’avère qu’il y a une confusion réelle dans cette fonction de législateur pénal. Stella CHAKOUNTÉ NJAMEN y apporte une précision en relevant que la délégalisation à l’exécutif est limitée au régime d’incrimination des contraventions, le régime des sanctions étant attribué au parlement qui est libre de le déléguer. Analysant la nouveauté consacrée par le Code pénal camerounais, Djorbélé BAMBE montre que les peines alternatives permettent une réalisation efficace du droit pénal et, a maxima, elles constituent une clé évidente de rationalisation du droit pénal.

Les personnes morales et les NTIC en droit pénal

La responsabilité pénale des personnes morales a fait couler beaucoup d’encre en doctrine et chez le législateur camerounais. Le droit pénal étant régi par le principe de la responsabilité individuelle, il devenait difficile d’engager la responsabilité pénale des personnes morales. S’installait donc le régime de l’irresponsabilité pénale des personnes morales. Plusieurs arguments sont alors mis en avant pour défendre cette position. D’abord, l’impossibilité pratique d’imputer une quelconque infraction à un être collectif. Ensuite, pour la doctrine, l’admission de cette responsabilité constituerait un détournement d’une technique à finalité répressive (la responsabilité des personnes physiques), au profit d’un système de versement pécuniaire soit à titre rétributif au profit du trésor, soit à titre indemnitaire au profit de la victime (la responsabilité pénale des personnes morales). La rupture avec ce principe a permis, dans de nombreuses législations pénales, de consacrer définitivement la responsabilité pénale des personnes morales. C’est dans ce sens que Noel Gautier GUEAZANG NGUEPI, Hervé MVONDO MVONDO et Carole Valérie NOUAZI KEMKENG montrent que le nouveau Code pénal marque une rupture avec l’impossibilité pratique d’imputer une responsabilité pénale à un être collectif. Les chercheurs et la chercheuse estiment que le législateur a ainsi aménagé un régime propre de l’incrimination et de répression des infractions commises par les personnes morales.

Par ailleurs, la révolution des TIC a fait d’Internet un moyen de communication universel, mais avec des conséquences négatives eu égard à la floraison des actes de cybercriminalité. La saisie des faits sur Internet et leur criminalisation vise à encadrer cette sphère transnationale d’échanges. Alain Hugues OBAME note ainsi une tendance du législateur camerounais à retenir des peines plus lourdes pour les infractions commises par voie d’Internet. Il estime que la réaction sociale dissonante pousse à constater l’impuissance ou l’inadaptation de la loi pénale camerounaise sévère sur le cyberespace; c’est ce qui justifie son analyse sur la capacité des mécanismes de coopération judiciaire transnationale et de la vulgarisation du dispositif normatif à renforcer l’efficacité, l’équité et la légitimité du droit pénal de l’Internet.

Le droit pénal et le temps

La relation entre le droit pénal et le temps est inextricable. Théoriquement soumis au temps, le droit pénal semble s’en affranchir. Le temps offre au droit pénal son application. Le temps est une limite à l’application de la loi en restreignant la poursuite des infractions par la prescription. Il permet aussi de garantir la sécurité juridique par le principe de non-rétroactivité notamment. Néanmoins, le temps n’est plus véritablement conçu comme une limite à l’exercice de l’action publique, mais comme une condition de la constitution des infractions et de l’aménagement des peines. Il impose aussi des réformes du droit pénal pour tenir compte des réalités sociales et l’interprétation sociologique de la réforme du Code pénal camerounais dépend des techniques d’analyse (hybride) découlant d’une série d’« actes interprétatifs » (Watier, 2007, p. 83-102) relatifs et pluriels, selon Martin Raymond Willy MBOG IBOCK. La réforme doit tenir compte du temps et combler les insuffisances de la législation pénale. Malheureusement Pierre-Claver KAMGAING, dans son article, relève que le Code pénal de 2016 du Cameroun semble briller par des oublis criards qui peuvent remettre en question sa nature réformiste au sens strict du terme. Ces oublis peuvent être appréhendés selon une double trajectoire : d’une part, l’oubli de toiletter des infractions anachroniques ou mal libellées; d’autre part, l’oubli d’incriminer certains agissements sociaux pouvant être considérés comme de véritables infractions. C’est la raison pour laquelle l’auteur conclut que quoi qu’il en soit, la norme pénale de forme suivant toujours la loi de fond, l’irruption de nouvelles incriminations appelle inéluctablement à une réadaptation du Code de procédure pénale.

Références

Couderc, Michel. 2005. Les fonctions de la loi sous le regard du commandeur. Pouvoirs114 (3), 21-37.

Portalis, Jean-Étienne-Marie. 1801. Discours préliminaire sur le projet du Code civil. Chitoumi : Les Classiques des sciences sociales (http://classiques.uqac.ca/). Édition réalisée à partir de la version de 2004 publiée par les éditions Confluences à Bordeaux.

Watier, Patrick. 2007. Les ressources de l’interprétation sociologique. L’Année sociologique, 57, 83-102. https://doi.org/10.3917/anso.071.0083


Pour citer cet article

Mboumegne Dzesseu, Serges Frédéric. 2022. Présentation. La législation pénale et les rapports sociaux en Afrique. ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/adilaaku.2022.2.1.1

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La revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2022.2.1.1