Volume 1, numéro 1 – 2019 : La responsabilité sociale des organisations et entreprises en Afrique francophone

La responsabilité sociale des entreprises dans le cadre de l’activité d’exploitation forestière dans la réserve de faune du Dja et du Parc national de Campo Ma’an

Alfred Homère NGANDAM MFONDOUM, Roy Théophile MFONDOUM, Frédéric Chamberlin LOUNANG TCHATCHOUANG, et Yves Bertrand TCHAKAM MBOUWE

 

L’idée qu’une part des responsabilités sociales incombe à l’entreprise n’est pas nouvelle. Son origine remonte aux premiers âges du capitalisme industriel (Gendron et al., 2004, p. 75) et son ampleur s’est accrue avec l’avènement de la mondialisation; un phénomène qui relie dans le monde entier les entreprises aux communautés locales, avec toutes ses implications sociales (Panwar et Hansen, 2007, en ligne). L’expression « Responsabilité sociétale des entreprises et des organisations », en abrégé RSE/RSO, est communément utilisée et plusieurs définitions lui ont été données. Celle qui a été retenue pour cette étude a été empruntée à la Norme ISO 26 000, en raison de son approche diversifiée et englobante.

En effet, dans ses lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, l’article 2.18 (p. 4), la Norme ISO 26 000 définit la RSE/RSO comme:

[La] responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique qui:

  • contribue au développement durable y compris à la santé et au bien-être de la société;

  • prend en compte les attentes des parties prenantes;

  • respecte les lois en vigueur et est compatible avec les normes internationales;

  • est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations.

Quelquefois assimilée à une traduction managériale du développement durable, la RSE/RSO envisage les trois sphères de la durabilité. Il s’agit, sur le plan social de l’insertion et de l’exclusion des salariés; sur le plan économique, l’optimisation des capacités de production; et sur le plan environnemental, la gestion participative des ressources environnementales. Ainsi, une entreprise ou organisation doit se comporter de façon responsable et contribuer au développement humain, voire humanitaire compensatoire de la société dans laquelle elle évolue.

En près de 70 ans, soit de 1950 à nos jours, une évolution aussi rapide que marquante de la RSE/RSO et des pratiques des entreprises a été observée. Il s’agit de nos jours d’un courant dominant auquel les organisations peuvent de moins en moins se soustraire. Pourtant, les contextes socioéconomiques et les contraintes légales peuvent créer une dynamique de pratiques de la RSE/RSO qui va à l’opposé de ses fondements conceptuels.

Le présent article interroge les pratiques de la responsabilité sociale dans l’activité d’exploitation forestière au Cameroun au regard du concept de RSE/RSO et ses principes les plus essentiels. En effet, quel est le degré de maturité de la RSE au Cameroun? Précisément, l’entreprise forestière joue-t-elle pleinement son rôle humanitaire et paternaliste défini comme fondement de la RSE?

En mettant l’accent sur les principes socio-éthiques chers à la RSE, cet article vise à analyser la corrélation entre les pratiques des entreprises d’exploitation forestière et les principes fondamentaux de la RSE, pour comprendre les avancées ou les lacunes en la matière. Le postulat de départ est que les actions compensatrices des entreprises forestières sont suffisamment lacunaires pour remettre en question l’existence de la RSE dans le cadre de cette activité. L’étude s’est déroulée au sein des aires protégées que la Réserve du Dja et le Parc nationale de Campo Ma’an. Celles-ci bénéficient d’un double statut de protection et d’exploitation.

Forêt, aires protégées et exploitation forestière

L’évolution et l’organisation de l’espace forestier

Les forêts couvrent actuellement 22 millions d’hectares, soit 46.25 % du territoire national camerounais. Le Cameroun est classé parmi les cinq plus grands exportateurs mondiaux de grumes et vingt-cinq entreprises y assurent officiellement l’exploitation de la strate forestière arborée. Les enjeux économiques étant de grande envergure, ces entreprises se livrent à une coupe sauvage d’essences ligneuses précieuses; ce qui justifie la croissance du taux annuel de déforestation, estimé en 2008 à environ 0.6 % (Duterne et al., 2008). La principale solution envisagée par l’État est un encadrement juridique via la loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche, ainsi que le décret n° 94/436/PM du 23 août 1994 fixant les modalités d’application du régime des forêts.

En appui, un important réseau national d’aires protégées a été constitué et s’étend sur environ 81 443.21 km2, soit 17.13 % des 475 442 km2 du territoire national (figure 1). Pour des besoins d’usages multiples et sans conflits, les aires protégées sont organisées en zones d’exploitation désignées Unités forestières d’aménagements (UFA). Il s’agit des « zones de production forestière contiguës au noyau de protection » (MINFOF, 2005). Cette organisation vise une production forestière durable par l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’aménagement, la conduite des études d’impacts environnementaux et l’application des mesures d’atténuation de ces impacts, autant que le réinvestissement local d’une partie des retombées. À l’observation, ces principes ne sont toujours pas respectés dans les réserves forestières étudiées: celle du Dja qui s’étale sur 526000 hectares et celle de Campo Ma’an, couvrant 264 064 hectares. Ces espaces naturels multispécifiques qui sont situés dans le Sud-Cameroun (figure 1) connaissent de nombreux problèmes dus à une exploitation forestière faite au détriment du climat, de l’environnement, de la biodiversité et par ricochet des populations locales.

La Réserve de faune du Dja (A) et le Parc national de Campo Ma’an (B) dans le réseau national des aires protégées du Cameroun.

Traits caractéristiques de l’exploitation forestière au sein de la RFD et du PNCM

Ils peuvent être développés dans les quelques points abordés ci-dessous.

Plan de zonage, « prédation spatiale » et dépossession: l’État mis en cause et des entreprises forestières « scrupuleusement respectueuses » des processus lacunaires

La Réserve de faune du Dja (RFD) et le Parc national de Campo Ma’an (PNCM) appartiennent au Domaine Forestier Privé (DFP). Pourtant, leur délimitation et le découpage en UFA n’a que très faiblement tenu compte des utilisations conjointes traditionnelles et industrielles. Une enquête réalisée conjointement par AVISÉE et ABES en 2015 auprès de soixante personnes au sein des localités environnantes révèle ce qui suit:

  • 94 % (56/60) des répondants insistent sur l’empiètement des limites de l’aire protégée sur les terroirs villageois;

  • 6 % (4/60) des répondants restent indécis.

  • 100 % des répondants accusent la « désacralisation » de certains arbres qui, utilisés autrefois dans les rites traditionnels et la pharmacopée mystique, ont disparu aujourd’hui.

Dans le PNCM et sa zone périphérique (ZP), les terroirs villageois tels que délimités par 94 % (56/60) des répondants s’étendent jusqu’à l’intérieur du parc, en particulier dans la limite nord-est où les jachères touchent le parc (villages Messama et Minkan Mengale). De même, les terroirs sont réduits par la présence de l’UFA 09-021 (note explicative de la codification) qui est intercalée entre le parc et les villages (MINFOF, 2005).

Pour le cas de la RFD, les autochtones se plaignent d’avoir été dépossédés de « leur forêt » lors de la délimitation, en raison des interdictions d’accès à certaines zones importantes pour des prélèvements de besoins vitaux quotidiens (cueillette, chasse, brulis agricoles, etc.) autant que pour des rituelles ancestraux (Ngandam, 2014).

Ainsi, un découpage géométrique et une spécialisation de l’espace mettent à mal les territoires communautaires. Pourtant tout système normatif de gestion des ressources naturelles doit se construire sur la base d’une vision, d’une « représentation » de l’espace propre au groupe social qui l’a établi. Dans les cas des deux aires protégées étudiées, un découpage géométrique entraine plutôt une fragmentation des espaces et sous-espaces de valeurs intrinsèques différentes, empêchant notamment aux Bantous et Pygmées de garder une relation harmonieuse avec leur milieu. Cependant, la Résolution 1.53 du congrès mondial de la nature rappelle ce qui suit:

Il ne devrait pas exister de conflit intrinsèque entre les objectifs des aires protégées et l’existence, à l’intérieur de leurs frontières, de peuples autochtones et traditionnels. En outre, ces peuples doivent être reconnus comme des partenaires légitimes et égaux dans le développement et la mise en œuvre de stratégies de conservation qui touchent leurs terres, territoires, eaux, mers côtières et autres ressources, et en particulier lors de la création et de la gestion d’aires protégées (Congrès mondial de la nature, 1996, p. 5).

De plus, il se pose un problème de matérialisation des limites. Dans la RFD comme dans le PNCM, quelques rares concessions sont délimitées par une ligne de fils barbelés, des cordes élastomères, des plaques ou de la peinture. Mais dans la plupart des cas, les concessionnaires optent pour l’immatriculation des essences limitrophes de leurs parcelles à la peinture, des couleurs différentes étant utilisées entre deux parcelles limitrophes. La conséquence immédiate est que les exploitants connaissent leurs limites naturelles, mais généralement, certains habitants lointains ayant pris l’habitude d’y venir effectuer des prélèvements ne les connaissent pas et sont menacées ou mis aux arrêts (AVISÉE et ABES, 2015).

Sélection des espèces de bois et respect de la réglementation

Lors des exploitations, les entreprises procèdent à une sélection des espèces les plus demandées et donc les plus rentables, laissant sur pied une partie importante des volumes autorisés dans les espaces alloués pour aller au-delà des limites fixées (Ngandam, 2014; AVISÉE et ABES, 2015). L’on distingue quatre types d’exportations, notamment les grumes, les sciages, les contreplaqués et les placages. Pour chacun, six espèces tout au plus représentent plus du tiers des volumes d’exportations (figure 2). Dans le cas plus récurrent des grumes, les volumes exportés ont drastiquement baissé d’un million huit cent mille mètres cubes (1 800 000 m3) en 1998 à cent quatre-vingt-dix mille mètres cubes (190000 m3) en 2001, avant de croitre progressivement à huit-cent trente mille mètres cubes (83000 m3) en 2015.

Volumes en mètres cubes cumulés des six premières essences de bois exportées par le secteur formel en 2015.
Source: COMCAM, 2015

Le réinvestissement local, entre utopie et tromperie

L’article 14 de la Convention Provisoire Coupe portant participation à la réalisation des infrastructures socioéconomiques indique ce qui suit: « le concessionnaire est réputé participer financièrement à la réalisation d’infrastructures socioéconomiques par le pourcentage de la redevance forestière qui est fixé annuellement par la loi des finances et qui doit être reversé au profit des communautés » (Ministère de l’environnement et de la protection de la nature, annexe de la Convention Provisoire de Coupe, article 14, 1992, p. 8). D’une part, ces investissements peuvent être directs au sein des communautés riveraines. D’autre part, il peut s’agir des quotas des activités à reverser auprès de l’État, suivant la loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche, en son article 12, alinéa (2).

Les retombées économiques ou financières résultant de leur utilisation donnent lieu au paiement à l’État des royalties dont le taux et les modalités de perception sont fixés, au prorata de leur valeur, par arrêté du Ministre chargé des finances sur proposition des Ministres compétents (Loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche, titre II, article 12, alinéa 2).

Pourtant dans la pratique, l’investissement local est quasi-inexistant, car rien ou presque ne change. On constate en effet que les pistes forestières, qui servent à la desserte des parcelles d’exploitation, sont multipliées mais non entretenues. Au contraire, l’ouverture des pistes forestières pour le débardage du bois a été identifiée comme un moteur de perte de forêt autour de la RFD et le PNCM, et facilite en même temps l’évacuation des produits issus du braconnage (Fondation camerounaise terre vivante, 2012, en ligne). Plus encore, les projets de proximités éducatives ou de comblements de besoins quotidiens comme les salles de classes et les pompes à eau potable ne sont pas réalisés, ou alors ils le sont avec des matériaux peu durables. Les entreprises forestières font donc des promesses qu’elles ne tiennent pas. Et les mouvements d’humeurs des autochtones sont étouffés par des menaces et autres intimidations (AVISÉE et ABES, 2015).

À propos de l’indemnisation des populations

La deuxième partie de l’article 14 de la CPE stipule que

Tous les autres engagements du concessionnaire devront être négociés avec les populations intéressées lors des réunions de concertation préalables au classement de la concession et seront consignés dans le cahier des charges de la Convention Définitive d’Exploitation. (Ministère de l’environnement et de la protection de la nature, 2003, p. 8).

Parmi ces engagementsfigurent généralement des clauses d’indemnités liées aux déplacements des habitations ou des plantations des autochtones installés dans les environs de la concession. Qu’il s’agisse de la RFD ou du PNCM, les plaintes affluent de toutes parts concernant des indemnités non payées, partiellement payées (au meilleur des cas) ou frauduleusement fixées. Au sujet des indemnisations, sur 60 autochtones interrogés dans les environs de chacune des deux aires protégées, il apparaît que les résultats ci-après.

  • 21 personnes sur 60 (35 %) sont satisfaites des clauses indemnitaires signées;

  • 17 personnes sur 60 (28 %) ont reçu les indemnités totalement et dans les délais fixés, c’est-à-dire avant tout marquage et le début de l’exploitation;

  • 28 personnes sur 60 (47 %) ont reçu les indemnités avec beaucoup de retard (minimum un an d’attente) et après des plaintes et mouvements d’humeurs

  • 15 personnes sur 60 (25 %) n’ont jamais reçu d’indemnités.

  • 11 personnes sur 60 (18 %) ont déjà été aux arrêts au moins une fois pour des causes de mouvements d’humeurs relatifs aux réclamations d’indemnités.

 

Appréciation des clauses indemnitaires signées avec les concessionnaires sur un échantillon mixte de 60 autochtones enquêtés (AVISÉE et ABES, 2015)

 

Genre et gestion équitable des ressources forestières

Le principal défi auquel les femmes font face en Afrique est la non reconnaissance de leurs droits fonciers et forestiers. Elles sont le plus souvent usufruitières sur les terres généralement détenues par les hommes (UICN-REFAAD, 2012, p. 4).

Dans le cas précis des aires protégées camerounaises, les femmes sont les principales exploitantes des produits forestiers non-ligneux ou PFNL (kola, Bitter kola, lianes, feuilles d’emballages et de cuissons, champignons, fruits divers, insectes comestibles comme les termites, chenilles, escargots, etc.). Malheureusement, leur rôle en amont des cessions et découpages de parcelles se limite le plus à la concertation. Au pire des cas, les femmes récoltant ces produits à l’intérieur de la zone de conservation sont victimes d’abus de la part des concessionnaires, avec le soutien des agents étatiques conservateurs, qui saisissent (pour leur propre consommation) ou détruisent (en guise de punition) les produits collectées (UICN-REFAAD, 2012, p. 4). Cette situation crée un sérieux manque à gagner, car la forêt n’est plus une source directe et indirecte d’alimentation et de soins de la famille par la femme, encore moins une source de revenus supplémentaires issus de la vente. De même, se perdent pour celles-ci les loisirs à travers les lieux de promenades, de chants et danses propres aux femmes bantoues; des lieux où elles se retrouvaient pour se raconter librement, notamment les joies et peines de leurs couples, à l’abri des oreilles indiscrètes de leur maris.

Telle est la situation qui se dégage, de manière générale, du comportement des entreprises forestières dans les deux aires protégées du Cameroun que nous avons étudiées. Il s’ensuit une multitude de conséquences humaines et environnementales, qui suscitent des interrogations au regard de la RSE.

Impact direct et indirect d’une exploitation forestière inégalitaire: une remise en question de la RSE?

Focus sur les avantages et les inconvénients

Les situations décrites ci-dessus affectent tous les aspects de la vie socioéconomique locale et nationale. Cependant, il faut reconnaître que les zones contiguës aux aires protégées du Dja et de Campo Ma’an bénéficient de quelques avantages. En effet, l’on peut relever des répercussions autant sur le plan humain que sur le plan environnemental.

Tout d’abord, on observe l’émergence des conflits latents (passifs) qui se sont mués en conflits ouverts (actifs) entre les autochtones, les concessionnaires et l’administration. Les incursions des populations dans les zones d’exploitation pour des prélèvements ou pour des rites provoquent des réactions variées pouvant aboutir tantôt sur des négociations, tantôt sur des actes d’intimidations des exploitants forestiers, avec l’appui coercitif de certaines autorités. De même, les populations autochtones éprouvent, de manière permanente, de la méfiance à l’égard des exploitants à la suite de promesses non tenues. Et pour ce qui concerne la gente féminine, il a été noté une accentuation des frustrations, ainsi que des tensions conjugales.

Par ailleurs, on peut remarquer, sur le plan environnemental, la multiplication des clairières en dehors des concessions attribuées. Cette prolifération vise à coloniser des espaces nouveaux riches d’espèces plus commercialisées. La situation entraîne, de manière subséquente, une fragmentation-diminution des biotopes, la disparition de la faune, la destruction des champs et les agressions des populations par les animaux du fait de la déviation de leurs couloirs migratoires (Ngnadam et al., 2014). Face à ces conséquences néfastes, peut-on opportunément parler d’une responsabilité sociale des exploitants forestiers?

La relation causale avec les fondamentaux de la RSE

L’exploitation forestière et son impact autour des aires protégées du Dja et Campo Ma’an pose des problèmes quant aux principes énoncés pour la RSE. Les lignes essentielles de ces principes sont entre autres:

  • un engagement volontaire et continu, soit une connotation de flexibilité personnelle de l’entrepreneur sur le long terme, sans aucune intervention législative;

  • un comportement éthique, c’est-à-dire des principes moraux, une prise de conscience par l’entrepreneur d’un traitement humain équitable et d’un soutien vis-à-vis des employés et autres acteurs;

  • l’intégration des préoccupations durables;

  • le fonctionnement en partenariat selon l’approche de parties prenantes;

  • la mesure antérieure de l’impact des activités;

  • la transparence dans l’éthique;

  • le respect des principes juridiques nationaux et des normes internationales.

La démarche est éthique, philanthropique et paternaliste. Elle suit une auto-législation, un autocontrôle de l’entrepreneur et vise à assurer une meilleure qualité de vie à ses travailleurs et travailleuses, à ses client-e-s selon le cas. Une évaluation comparée de ces qualités et exigences, avec les attitudes des entreprises d’exploitation forestières autour des aires protégées, montre exactement le contraire. Au moins cinq principes soulèvent manifestement des difficultés.

La défiance vis-à-vis de la législation forestière nationale en vigueur: ni la loi forestière de 1994, ni la convention provisoire d’exploitation ne sont rigoureusement, et de manière volontaire, respectées par les exploitants qui, quelquefois, recourent à la corruption de certaines administrations.

Le non-respect des normes environnementales internationales. Il s’agit, d’une part, des Principes et lignes directrices sur les peuples autochtones et traditionnels et les aires protégées, dont le principe 1 insiste sur le fait que « les peuples autochtones et traditionnels maintiennent des liens de longue date avec la nature, dont ils ont une profonde compréhension » (Congrès mondial de la nature, 1996, p. 5). Il est soutenu sur le plan national par l’article premier de la convention provisoire d’exploitation, qui rappelle que « l’exploitation forestière ne doit apporter aucune entrave à l’exercice des droits d’usage des villageois » (Annexe de la convention provisoire de coupe, 1992, article 1er). Ces considérations ne sont que faiblement prises en compte dans la délimitation des UFA et des concessions forestières; d’où les frustrations des autochtones. C’est d’autre part l’exemple du volet environnemental du développement durable, censé « Préserver, améliorer et valoriser l’environnement et les ressources naturelles sur le long terme, en maintenant les grands équilibres écologiques, en réduisant les risques et en prévenant les impacts environnementaux » (Document 3.0, 2012, en ligne). Le suivi interne est assuré par la convention provisoire d’exploitation en son article 4: « Toutes les étapes d’exploitation forestière et d’aménagement doivent être réalisées en respectant les normes d’intervention en milieu forestier » (Annexe de la convention provisoire de coupe, 1992, article 4). La réduction des risques de clairières ouvertes et la préservation des jeunes pousses d’arbres aux environs des parcelles sont les impératifs relevés ici, mais ils n’entrent pas dans les habitudes des exploitants forestiers.

L’instauration et l’entretien volontaires d’un système d’exploitation de la naïveté des populations autochtones: les tromperies dans les contrats, la violation des parcelles non-attribuées, l’escroquerie ou encore les défauts de réalisations des infrastructures socioéconomiques promises sont autant d’exemples.

Les luttes d’influences, brimades et répressions vis-à-vis des droits territoriaux autochtones: force revient toujours à la justice, qui est rendue (quand l’on arrive à cette étape!) dans un cadre où la corruption est vectrice des échanges malsains entre entreprises forestières et quelques autorités, pour étouffer certaines violations et des abus. Il s’agit principalement des coupes non autorisées, des durées d’exploitation excessives signalées, des incursions inopinées en terrains conflictuels, des achats non soldés ou des promesses non tenues pour des investissements locaux.

Le sexisme: il commence par la non-application de la parité dans toutes les étapes de négociations. En plus, l’épanouissement des femmes de la forêt se heurte au respect de la réglementation. Ceci est vrai dans la mesure où elles ne parviennent pas à exercer leurs droits d’exploitation des produits forestiers à des fins commerciales, au niveau régional ou local, à cause du coût très élevé du processus d’obtention d’un permis de collecte et d’exploitation, d’un agrément ou d’un certificat d’origine (UICN-REFAAD, 2012, p. 4). Ainsi, ni le droit à la parole, ni droit à l’exploitation ne font l’objet d’un statut particulier pour la femme dans l’organisation et la pratique de l’exploitation forestière.

En bref, il semble difficile de parler d’une véritable RSE en matière d’exploitation forestière dans le RFD et le PNCM. Au contraire, il est plus aisé de constater l’inverse d’autant plus que les cas de violation de ses principes essentiels sont légion.

Conclusion

En définitive, les activités d’exploitation forestière dans la réserve du Dja et au parc de Campo M’an présentent un visage relativement en désaccord avec les normes en matière de responsabilité sociale. Les exemples de ces deux espaces montrent l’immaturité et les lacunes de la mise en application d’une dynamique humaniste et philanthropique des entreprises concernées pour compenser leurs activités de prélèvement. Ainsi, les violations de la législation, les intimidations, les déboisements sans reboisement, ou encore la non considération spécifique des perceptions et utilisations du territoire par la gente féminine sont autant d’éléments à mettre à contribution dans cette vision. Bien au-delà, les manquements volontaires qui sont soit spontanés (pour éviter des frais ou expédier des procédures de coupe), soit prémédités – accaparement des concessions ou duperie des populations sur les investissements – sont de nature non seulement à remettre complètement en question les principes fondamentaux de la RSE, mais à poser des questions sur ses origines et orientations conceptuelles. Peut-on dès lors parler d’Irresponsabilité sociétale des entreprises (ISE)? Une ébauche de réponse sera apportée dans le second article de cette série consacrée à l’exploitation forestière dans les aires protégées.

Références

ABES. 2015. Rapport des enquêtes environnementales. Novembre, 43 pages.

Annexe de la convention provisoire de coupe. 2012.

AVISÉE. 2015. Rapport – AProx 2015. Novembre, 54 pages.

Congrès mondial de la nature, 1996. Principes et lignes directrices sur les peuples autochtones et traditionnels et les aires protégées. Montréal: UICN, CMAP et WWF.

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Document 3.0. 2012. Qu’est-ce que le DD?. Consulté à l’adresse http://www.3-0.fr/doc-dd/qu-est-ce-que-le-dd/les-3-piliers-du-developpement-durable

Duterne, Bernard, Delcourt, Laurent, De Wilde, Yvon et Douxchamps, Christophe. 2008. Déforestation: causes, acteurs et enjeux. Paris:Syllepse/Alternatives Sud.

Fondation camerounaise de la terre vivante. 2018. Déforestation autour de la forêt du Dja: un risque pour son intégrité?. Consulté à l’adresse https://fctvcameroon.org/2018/05/29/deforestation-autour-de-la-reserve-de-faune-du-dja-un-risque-pour-son-integrite/

Gendron, Corinne, Lapointe, Alain et Turcotte, Marie-France B. 2004. Responsabilité sociale et régulation de l’entreprise mondialisée. Relations Industrielles, 59 (1), 73-100.

Loi n°94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche. Yaoundé, Cameroun.

MINFOP. 2005. Stratégie nationale des contrôles forestiers et fauniques au Cameroun. Yaoundé, Cameroun.

Ministère de l’environnement et de la protection de la nature. 2003. Convention provisoire d’exploitation.

Ngandam Mfondoum, Alfred Homère, 2014. Détection et intégration des pistes animalières dans le processus de délimitation des aires protégées: exemple du parc national de Campo Ma’an – Contribution de la télédétection et des SIG. Mémoire de Master professionnel, CRASTE-lf, Rabat.

Ngandam Mfondoum, Alfred Homère. Etouna, Joachim. Hakdaoui, Mustapha. 2014. Contribution of the Analytic Hierarchy Process (AHP) in Decision-Making to (Re)Define Protected Areas Boundaries – Case Study in the National Park of Campo Ma’an (South-Cameroon, Central Africa). International Journal of Science and Research, 3 (11), 1842-1849.

Panwar, Rajat et Hansen, Éric. 2007. Responsabilité sociale des entreprises dans le secteur forestier. Consulté à l’adresse http://www.fao.org/docrep/011/i0440f/i0440f09.htm

UICN-REFAAD. 2012. Prendre en compte les droits, les préoccupations stratégiques et les besoins spécifiques des femmes dans le processus de relecture de la loi forestière camerounaise. Rapport. Gland.


Pour citer cet article

Ngandam Mfondoum, Alfred Homère, Mfondoum, Roy Théophile, Lounang Tchatchouang, Frédéric Chamberlin et Tchakam Mbouwe, Yves Bertrand. 2019. La responsabilité sociale des entreprises dans le cadre de l’activité d’exploitation forestière dans la réserve de faune du Dja et du Parc national de Campo Ma’an. NGABAN DIBOLEL. Revue africaine de responsabilité sociale et management durable, Volume 1, numéro 1, 9-29. DOI : 10.46711/ngaban-dibolel.2019.1.1.2

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