Présentation. Le transport artisanal dans les villes africaines : retour sur une pratique et un concept à connotation discriminatoire

Hassane MAHAMAT HEMCHI

 

Tout d’abord, nous rendons hommage, à travers ces lignes, à notre regrettée chère Professeure Florence Piron. Elle a cru en nous et voulu faire partie de cette aventure intellectuelle stimulante, mais le destin en a décidé autrement. Elle a toujours œuvré professionnellement et humainement par sa disponibilité, à l’écoute par son savoir-faire pour la valorisation de différents travaux de ces territoires lointains pour certain·e·s et oubliés par d’autres, aux côtés de tous ces jeunes gens qui ont cru faire carrière dans l’enseignement et la recherche.

L’urbanisation est un phénomène mondial de concentration croissante de la population et des activités d’un pays ou d’une région dans les villes. En 2030, la population urbaine atteindra 5 milliards et représentera 70 % de la population mondiale (Lall, Henderson et Venables, 2017). D’ici 2050, l’Afrique devrait connaître le taux de croissance urbaine le plus rapide au monde. À cet horizon, les villes africaines devraient abriter 950 millions d’habitant·e·s supplémentaires. Cette croissance s’opère en grande partie dans les petites et moyennes agglomérations. Il faut rappeler que, de 1950 à 1997, la population africaine a triplé et pendant cette même période la population urbaine a été multipliée par onze. À ce rythme de croissance urbaine effrénée, la demande en transport urbain et la demande en équipements et infrastructures vont de pair. Les besoins en déplacements croissent au même rythme que la ville. Une demande que les autorités en face ont du mal à satisfaire (Mahamat Hemchi, 2015). Ce qui a entraîné en grande partie la prolifération des transports artisanaux sous diverses formes adaptées à la demande locale de chaque territoire. La ville africaine favorise le processus d’individualisation qui est propice à l’émergence de nouveaux rapports sociaux qui peuvent se manifester par de nouveaux comportements économiques comme l’émergence du transport artisanal en général et le phénomène des mototaxis en particulier.

Le transport collectif en milieu urbain est important pour tout le monde. La mobilité est un droit au même titre que la liberté pour Tim Cresswell (2004); elle est au centre des choix de vie des personnes et des familles de toutes catégories sociales. C’est pourquoi la recherche de meilleures façons d’assurer à chacun·e son déplacement dans les villes africaines est une préoccupation partagée par tous les acteurs de la vie urbaine (l’État, la population, les syndicats, etc.).

Pour ce dossier thématique intitulé « transport artisanal dans les villes africaines », nous avons voulu appréhender la pratique et le concept à travers quatre axes de recherche pour orienter l’appel à textes. D’abord, le transport artisanal et l’urbanisation des villes africaines. Puis, les pratiques artisanales de mobilité et les politiques de gestion et, enfin, l’intégration du système de transport artisanal actuel à l’offre normative. L’appel a accueilli des travaux inédits et de haute qualité mettant en avant les connaissances et les expériences sur les transports artisanaux. Une ambition à la hauteur des exigences de la revue, des praticien·ne·s et chercheur·e·s du domaine, même si la pandémie du Covid-19 a entraîné une instabilité et un bouleversement du calendrier préétabli.

Ce numéro met en lumière les grandes tendances qui ressortent de l’expérience de certains pays africains. Il évoque les particularités des conditions de transport et de mobilités urbaines de ces derniers. Il présente également une analyse des problématiques du transport artisanal et les principaux enjeux entre acteurs et territoires, ainsi que des tendances les plus significatives dans l’évolution des pratiques et modes de transports utilisés. Ces textes abordent les grands domaines de la problématique du transport artisanal – la demande, l’offre, l’informalité, les facteurs endogènes et exogènes –, traitent et montrent le lien entre l’illégalité et la légitimité de la pratique qui est à la fois cause et conséquence de la périurbanisation des villes africaines.  Ousseny SIGUE et Aude NIKIEMA montrent concrètement le rythme d’évolution d’un type de mode de transport artisanal dans une capitale ouest-africaine. À Ouagadougou, les deux-roues motorisés demeurent les plus utilisés, mais les taxis urbains influencent les politiques, les pratiques de la population et activités locales. En outre, Simon Pierre PETNGA NYAMEN, Harry SADIO FOPA et Jacqueline MAÏPA ont essayé d’expliquer les limites entre l’illégalité et légitimité du transport artisanal qui est une activité supposée informelle. Enfin, la prise en compte du transport artisanal en Afrique à l’heure de la technologie digitale et de durabilité était la préoccupation d’Evariste Massamba FAYE.

Par ailleurs, l’univers des cas spécifiques du transport artisanal touchant de près ou de loin les différents modes et territoires est extrêmement vaste. Devant l’ampleur des éléments à considérer, des choix ont dû être effectués. Certains aspects sont abordés de façon sommaire; d’autres sont à peine évoqués, malgré le rôle non négligeable qu’ils peuvent jouer dans l’appréhension de ces pratiques urbaines. Il en est, par exemple, de l’intégration du transport artisanal qui s’impose par nécessité aux nouvelles politiques de gestion intégrées. Le but de l’exercice n’était pas d’atteindre l’exhaustivité de l’information sur les mobilités urbaines en Afrique. Mais de mettre en avant les connaissances et expériences de manière holistique dans une posture multi et transdisciplinaire. L’expérience de la ville de Yaoundé est notamment traitée par Yannick MENDOUGA, Marthe Aime ELONG NGANDO EPOSSY et Cyrille Gabriel NGUIDJOI. Le dossier dans son ensemble n’est pas une veille monographique même si cette perspective aurait été intéressante dans cette période de Covid-19. L’objectif premier étant analytique, l’accent a été porté délibérément sur les pratiques et les connaissances, le rapport qu’elles entretiennent avec le phénomène d’urbanisation aux contours complexes et l’inadaptation, voire l’insuffisance, des systèmes et politiques de gestion adaptée.

Il n’en demeure pas moins que le résultat obtenu est inédit et représente un effort remarquable réalisé sous cette forme dans notre contexte aux fins d’une réflexion approfondie sur le transport artisanal. L’exercice de comparer les approches et les expériences de différentes villes fait défaut dans ce numéro. Un exemple d’étude comparative peut certainement alimenter l’élaboration des politiques d’acceptation, de gestion et de suivi; on doit toutefois se garder de la tentation d’y trouver trop facilement des solutions toutes faites dans la gestion quotidienne des villes africaines, sachant très bien que les solutions d’urgence créent les problèmes de demain. C’est d’ailleurs ce que les différentes expériences ont montré et rappelé ici. Houd KANAZOÉ, Simon Pierre PETNGA NYAMEN, Harry SADIO FOPA et Jacqueline MAÏPA nous préviennent opportunément qu’aucune solution n’est directement transposable d’une ville à une autre, bien que l’émergence du transport artisanal est une initiative individuelle.

Le lectorat pourra se réjouir d’avoir en main non seulement une somme imposante et inédite de connaissances utiles dans le secteur des transports collectifs en milieu urbain, mais également, et surtout, une réflexion analytique appuyée sur des cas pratiques qui va au-delà d’une simple recension, met en perspective les interventions et les pratiques en les confrontant aux réalités des grandes villes africaines.

Enfin, le grand mérite de ce dossier est de fournir un ensemble structuré de cas d’école constatés sur les différentes pratiques et modes de transport artisanal. Nous osons espérer qu’il saura intéresser particulièrement les jeunes chercheur·e·s et praticien·ne·s du secteur, mais aussi toutes les personnes intéressées à la problématique des transports urbains en général et les domaines connexes en particulier. Souhaitons, en somme, qu’il apporte un éclairage utile à tou·te·s ceux et celles qui ont à cœur l’amélioration continue des façons de valoriser les savoir-faire et savoir-vivre des villes africaines.

Références

Cresswell, Tim. 2004, Justice sociale droit à la mobilité. Dans Allemand Sylvain, Ascher François et Levy Jacques (dir.), Les sens du mouvement. Modernité et mobilités dans les sociétés urbaines contemporaines (p. 145 – 156). Colloque de Cerisy/Institut de la ville en mouvement. Paris : Belin.

Lall, Somik Vinay, Henderson, J. Vernon et Venables, Anthony J. (dir.). 2017. Africa’s Cities. Opening Doors to the World. Washington: International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank.

Mahamat Hemchi, Hassane. 2015. Mobilités urbaines et planification : le cas de N’Djamena. Architecture, aménagement de l’espace. Thèse de doctorat, Université Michel de Montaigne – Bordeaux III.


Pour citer cet article

Mahamat Hemchi, Hassane. 2022. Présentation. Le transport artisanal dans les villes africaines : retour sur une pratique et un concept à connotation discriminatoire. GARI. Recherches et débats sur les villes africaines, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/gari.2022.2.1.1

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https://dx.doi.org/10.46711/gari.2022.2.1.1