Volume 2, numéro 2 – 2025. Retour sur l’analyse du discours politique en Afrique

Le discours politique africain : entre événement et moment discursif

Amadou Ouattara ADOU et Dorgelès HOUESSOU

 

Introduction

En tant que fait social, le discours s’organise, se (re)ajuste, s’actualise en fonction de l’évolution de la société dans laquelle il est produit. Du fait de ses ancrages contextuel, culturel et interdiscursif, il dit les réalités de la société dans, par et pour laquelle il est produit. C’est pourquoi son analyse permet de comprendre les praxis sociales, les idéologies et les positionnements des sujets parlants. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’Analyse du discours (AD), en tant que pratique d’étude, s’est intéressée à ses débuts au discours politique en France et en Afrique subsaharienne, où elle débute par des travaux de lexicologie politique (Paveau, 2022, p. 27).

Aussi, nombre de chercheurs et chercheuses qui s’intéressent au discours politique africain se sont penché·es sur ses configurations formelles, ses thèmes de prédilection, son ancrage contextuel, les types d’arguments qui y sont régulièrement déployés.

Dans cette contribution dont l’objectif est de rendre compte des pratiques du discours politique africain aujourd’hui, nous nous intéressons à un concept de l’AD tournée vers l’histoire, remis au goût du jour par le colloque de Mexico de 1977[1], mais qui constitue l’une des dynamiques constantes du discours politique africain : l’évènement discursif. Notre postulat est que l’analyse du passage de l’évènement (socio)politique à l’évènement discursif et au moment discursif permet de comprendre les principes qui président à la production et au fonctionnement du discours politique en contexte africain. Cependant, il importe de préciser que l’étude ne porte que sur un pays d’Afrique qui, pour aucune raison objective à ce niveau de la recherche, ne peut être considéré comme représentatif de tout le continent. Il s’agit là d’une étude de cas dans un contexte particulier : celui des préparatifs de l’élection présidentielle d’octobre 2025 en Côte d’Ivoire.

Nous proposons donc d’analyser l’évènement discursif relatif au mouvement citoyen « Trop c’est trop » lancé par Laurent Gbagbo[2] et auquel d’importants leaders politiques et de la société civile ivoirienne[3] ont adhéré formellement. Après avoir présenté des postulats théoriques et une contextualisation pour faciliter la lisibilité de notre propos, nous montrerons ainsi, en convoquant les travaux sur l’évènement discursif en Analyse du discours d’une part, et sur les outils de l’analyse énonciative et interdiscursive d’autre part, comment un slogan devient un évènement et comment cet évènement politique (lancement d’un mouvement) devient un moment discursif qui, de ce fait, mobilise les cibles visées par le mouvement.

Mise en contexte, évènement discursif et moment discursif

Contexte socio-politique ivoirien

La situation socio-politique ivoirienne connaît, après les épisodes des crises post-électorales de 2010 et de 2020, de nouveaux rebondissements ces deux dernières années, relativement à l’élection présidentielle devant se tenir en octobre 2025. Ceux-ci se lisent à travers ce que la presse et les observateurs de la vie politique ivoirienne nomment les prémisses d’une nouvelle crise électorale.

En effet, après son acquittement par la Cour Pénale Internationale, l’ancien président Laurent Gbagbo, à la tête d’une nouvelle formation politique dénommée Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), fait face à une décision de justice le privant de ses droits civiques et politiques, prise à l’issue d’un procès organisé par la justice ivoirienne en novembre 2019[4], alors qu’il était à La Haye, qui le radie de la liste électorale et l’empêche de facto d’être candidat à la prochaine élection présidentielle. Il en est de même pour l’ancien ministre Charles Blé Goudé[5], l’ancien président de l’Assemblée nationale et ancien Premier Ministre, Guillaume Soro[6] et l’ancien ministre Tidjane Thiam[7].

La radiation de ces leaders de la liste électorale dite définitive et le refus de la Commission Électorale Indépendante (CEI) d’organiser une nouvelle révision de la liste électorale comme le prévoit la loi électorale ivoirienne[8], sont perçues par leurs militant·es et certain·es observateur·trices comme une stratégie politique du président en exercice pour assurer une victoire au candidat de son parti et ainsi pérenniser son régime. Ce dernier est d’ailleurs accusé par ses opposant·es de vouloir briguer un quatrième mandat en violation des dispositions constitutionnelles. Des manifestations populaires s’organisent alors pour dénoncer cette situation et exiger les réformes adéquates. Les organisateurs estiment que les ingrédients pour une nouvelle crise socio-politique aux conséquences imprévisibles et désastreuses sont suffisamment réunis et qu’une décision politique, comme une loi d’amnistie, ou l’application simple de la loi peut sauver le pays de cette énième crise en vue.

C’est dans cet élan que Laurent Gbagbo lance le mot d’ordre politique « Trop c’est trop » à l’occasion de la session du Comité central de son parti, le 26 avril 2025. Ce mot d’ordre sera transformé en mouvement citoyen, lequel sera annoncé officiellement par une lettre ouverte qu’il adresse au peuple de Côte d’Ivoire le 12 juin 2025 et présenté lors d’une cérémonie officielle le 19 juin suivant.

Dès sa naissance, ce mot d’ordre qui s’est mué en mouvement citoyen se dresse (E1) « face aux vives tensions dans le climat politique, qui laisse présager une crise pré-électorale »[9] et s’ouvre à tous les citoyen·nes épris·es de changement : (E2) « Nous devons réunir tous ceux qui ont quelque chose à déplorer. La vie est trop chère pour toi? Nous t’ouvrons les portes. Trop, c’est trop! »[10] Son initiateur vise un ratissage large pour populariser le combat qu’il engage, pour pointer les différentes failles constatées dans la gouvernance du régime RHDP en lien avec tous les compartiments de la vie sociopolitique et économique du pays et pour se donner de solides chances de gagner.

Rappels sur l’évènement discursif et le moment discursif

L’on peut faire remonter les réflexions sur le concept d’évènement discursif aux travaux en ethnométhodologie d’une part et à ceux de l’ethnographie de la communication d’autre part. La première, courant sociologique nord-américain ayant contribué fortement à l’essor de l’analyse conversationnelle, s’intéresse de façon générale aux méthodes et procédures à partir desquelles les individus gèrent leurs problèmes de communication au quotidien. Les échanges verbaux sont toujours des cadres soit de négociation de la relation interhumaine, soit de présentation de problèmes à résoudre ou de solutions, soit encore d’expression de points de vue, de visions du monde, etc. Mieux, les différentes productions qui organisent ces interactions verbales sont des opportunités pour les individus de construire et/ou de renforcer leurs identités et leurs légitimités. Maingueneau postule d’ailleurs que « chaque individu est occupé en permanence à définir son identité, de manière à se faire reconnaître comme membre légitime de la société » (2009, p. 59). À partir de ce moment, il est opportun de considérer que les orateurs et oratrices politiques construisent, consolident ou rectifient leurs identités, dans leurs différentes prises de parole, surtout dans certains contextes particuliers comme les élections, en vue également de construire ou renforcer leur légitimité dans le champ politique, mais également dans l’espace public.

La seconde, courant anthropologique également américain, s’intéresse aux évènements de communication appréhendés dans leur contexte naturel. Elle postule que la parole est un système culturel, régi par des normes implicites et où le social est indissociable du verbal. Elle valide ainsi l’hypothèse selon laquelle l’analyse du discours politique permet de comprendre la culture politique, les normes internes implicitement ou explicitement activées dans l’énonciation politique, le fonctionnement même du discours politique et par-delà de la société dans/de laquelle il est produit et les enjeux socio-économiques et culturels des identités et des légitimités qui traversent ledit discours. L’analyse de l’action politique étant intrinsèquement liée à celle de la parole politique et vice versa, les évènements politiques peuvent donner naissance à des évènements discursifs, tout comme l’évènement discursif se réalisant dans la parole politique peut engendrer l’évènement politique. Dans tous les cas, les deux types d’évènements surgissent à un moment donné de l’Histoire et s’alignent aux visées politiques de l’acteur ou de l’actrice politique qui les initie. C’est pourquoi Foucault, à qui l’on attribue la paternité du concept, propose dans un premier temps de « restituer à l’énoncé sa singularité d’événement, énoncé d’archive qui n’est plus simplement considéré comme la mise en jeu d’une structure linguistique. […] On le traite dans son irruption historique » (Guilhaumou, 1994, p. 706). De façon générale, il semble poser que tout énoncé est un évènement en soi « dans la mesure où son analyse ne peut être réduite à des considérations sur la langue, le sens et le référent » (Idem, p. 214), mais prend en compte des données extralinguistiques dites contextuelles. Toutefois, il faut préciser également avec Benveniste, traitant du performatif, que « l’énoncé performatif […] est évènement parce qu’il crée l’évènement » (1966, p. 273). Mieux, « l’évènement discursif n’est guère plus réductible à une situation d’ensemble qu’à un contexte particulier. En d’autres termes, l’évènement discursif ne procède pas d’un enchaînement causal dans la mesure où toute situation historique n’engendre pas obligatoirement un évènement discursif » (Guilhaumou, 2002, p. 245-246). Il va sans dire que certaines situations sont favorables à la création de l’évènement dans le discours. Cela induit que les critères définitoires ou de validité même de l’évènement discursif sont à regarder dans ce que les théories énonciatives nomment la situation d’énonciation. Guilhaumou et Maldidier vont même plus loin en assertant que « la notion de situation d’énonciation n’est plus pertinente, elle laisse place à l’éveènement » (1986, p. 238).

Comme on le voit, la prégnance du contexte socio-historique de l’énoncé ou de l’énonciation dans laquelle naît l’évènement discursif n’est guère sujette à caution. D’ailleurs, existe-t-il de paroles politiques particulières sans contexte qui s’y prête ? Foucault note à cet effet :

Il faut renoncer à tous ces thèmes qui ont fonction de garantir l’infinie continuité du discours et sa secrète présence à soi dans le jeu de l’absence toujours reconduite. Se tenir prêt à accueillir chaque moment du discours dans son irruption d’évènement; dans cette ponctualité où il apparaît, et dans cette dispersion temporelle qui lui permet d’être répété, su, oublié, transformé, effacé jusque dans ses moindres traces, enfoui bien loin de tout regard, dans la poussière des livres. Il ne faut pas renvoyer le discours à la lointaine présence de l’origine; il faut le traiter dans le jeu de son instance (1969, p. 36-37).

L’instance du discours, c’est aussi, les “circonstances’’ qui l’engendrent et elle permet de saisir les effets possibles de l’évènement en termes de sens et d’impact politique. L’évènement discursif donne ainsi à voir, à comprendre, à inférer, en partant bien entendu de la formation discursive et de l’objet mis en lumière.

Aussi, l’instance qui détient et/ou valide les conditions d’émergence ou conditions de possibilité de l’évènement discursif, offre régulièrement et même à profusion des opportunités de naissance dudit évènement. Cet état de fait confirme notre hypothèse qui est que l’étude de l’évènement discursif ouvre à la compréhension de la culture et de la praxis politiques de l’espace considéré.

Mais c’est surtout la rhétorique particulière déployée dans un énoncé qui en fait un évènement, en même temps qu’elle participe délibérément de la construction identitaire et légitimaire du sujet énonçant. L’évènement est donc question de subjectivité, de modalisation et de projection. Pour Quéré (1999) cité par (Guilhaumou, 2002, p. 245), « l’évènement se dit dans un langage spécifique, que ce langage fournit des ressources pour « formuler » l’expérience et permet d’élaborer des procédures pour l’individualiser ». L’analyse s’intéressera alors au rapport entre le sujet parlant et l’objet de l’évènement que son discours instaure, et au rapport entre le sujet parlant et les interactants qu’il mobilise par son énonciation (comment les considère-t-il, comment les implique-t-il, etc. ?). C’est pourquoi Guilhaumou pense que « l’évènement discursif se définit par rapport à l’inscription de ce qui est dit à un moment donné dans des configurations d’énoncés » (Idem, p. 244).

En tenant certainement compte de cette littérature, Moirand ajoute cependant qu’« un fait ou un éveènement ne constitue un moment discursif que s’il donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en reste également quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produits ultérieurement à propos d’autres éveènements » (Moirand, 2007, p. 4).

Conditions de possibilité

L’évènement discursif se soumet à ce que Foucault appelle des conditions d’existence et que Penafiel (2008) nomme des conditions de possibilité. Il s’agit de conditions dont la réunion suffit à conférer le statut d’évènement à un énoncé et dont les traces sont perceptibles dans l’énoncé; d’autant plus qu’« un discours engendre lui-même ses propres conditions de possibilité à travers notamment la fiction de ses conditions d’énonciation » (Maingueneau, 1991, p. 113).

En effet, pour l’auteur de l’Archéologie du savoir, « il s’agit de saisir l’énoncé dans son étroitesse et la singularité de son évènement; de déterminer les conditions de son existence, d’en fixer au plus juste les limites, d’établir ses corrélations aux autres énoncés qui peuvent lui être liés, de montrer quelle autre forme d’énonciation il exclut » (1969, p. 40). Les conditions qu’il propose sont à voir dans les régimes de vérité[11], les conditions historiques[12], les sujets et objets abordés[13], les institutions[14] et les pratiques discursives[15]. Et comme « le site discursif de l’évènement relève plus d’une présentation subjective que d’une représentation a priori » (Guilhaumou, 2002, p. 246), ces conditions sont perceptibles à travers des données d’abord rhétorico-énonciatives.

Penafiel avance que « l’identité ou l’unité de l’éveènement discursif, ses caractéristiques qui le distinguent de tout autre énoncé (et par extension, de tout autre discours ou formation discursive), est donnée par ses conditions de possibilité, c’est-à-dire ses rapports d’inclusion et d’exclusion avec les autres énoncés (discours) » (2008, p. 107). Si cet auteur situe les conditions de possibilité de l’évènement discursif dans les rapports d’inclusion et d’exclusion que l’énoncé-évènement entretient avec les autres énoncés, ledit évènement repose alors sur les notions d’interdiscursivité et de point de vue au sens de Rabatel (2021). C’est surtout dire que le sujet énonçant l’évènement active les ressources de sa mémoire discursive et inscrit son énoncé dans une temporalité qui lui donne sens. Pour faire pratique, nous allons nous intéresser aux conditions de possibilité de l’évènement « Trop c’est trop ».

En effet, cet énoncé-mot d’ordre politique apparaissant comme une formule au sens de Krieg-Planque (2009) et désignant le mouvement citoyen présidé par Laurent Gbagbo, apparaît dans des conditions socio-politiques particulières, décrites supra, et reconfigurées dans les énonciations qui le rendent public. L’énonciateur situe le cadre du mot d’ordre dès son lancement : il est lancé pour faire face (E3) « aux vives tensions dans le climat politique, qui laissent présager une crise pré-électorale » dans un pays « fracturé en deux » où il y a des « opprimés » et des « privilégiés ». Il s’agit d’un cadre de « protestation multiforme et permanente » d’autant plus qu’« il faut donner la parole à tous ceux qui veulent se plaindre de tous les méfaits de la politique » menée par les autorités. Pour lui, « On ne peut pas continuer comme cela, dans la gadoue, les pieds dans la gadoue, toujours dans la gadoue. Ce n’est pas possible ». Il précise également la cible de son mot d’ordre : (E4) « ceux que la précarité écrase chaque jour davantage ».

Cet énoncé intervient dans des circonstances de crise sociale (misère, cherté de la vie, gadoue, etc.) et politique (radiation de leaders politiques de la liste électorale, refus de la CEI de faire la révision de ladite liste, en plus d’autres réformes demandées par les différentes plateformes de l’opposition et les organisations de la société civile). Il est adressé à tous ceux qui chercheraient un cadre pour dénoncer ces « méfaits de la politique » du régime au pouvoir. Cet acte énonciatif de naissance ainsi dressé, l’on comprend que l’énoncé en lui-même contient ses conditions d’existence et projette ses visées persuasives et politiques. Il entend rallier tout le peuple qui souffre, qui ne fait pas partie des « privilégiés » du régime et qui croit qu’un changement est toujours possible.

De plus, un retour au discours du même énonciateur tenu à Dabou[16] lors du meeting de clôture de la Fête de la renaissance[17] dans lequel il invitait la direction de son parti à organiser une session du Comité central pour adopter le mot d’ordre tant réclamé par les militant·es, permet de repérer d’autres indices des conditions de possibilité :

E5 : « J’ai vu des commissions électorales qui boitent. Je ne peux plus accepter une commission électorale qui rampe […] Je combats un système. Un système global. Un système qui fait que l’élection en Afrique est considérée comme un instrument pour que certains pays européens placent ceux qu’ils veulent à la tête de nos États. Je ne veux pas. C’est pourquoi je parle de souveraineté. […] Ils veulent dénaturer la démocratie […] Pourquoi il faut toujours des gens qui meurent pour que vous arriviez au pouvoir. Je ne suis pas d’accord avec ça. Donc tenez-vous prêts. Le Comité central va prendre des décisions et vous aurez les mots d’ordre qu’il faut. […] Vous voyez à Bonoua, j’avais lancé l’appel de Bonoua pour dire que tous ceux qui souhaitaient que ce régime s’en aille, je leur ouvrais mes bras. Mais y en a qui n’ont rien compris. Y en a qui croient que j’en appelais à une coalition des parti. Moi j’appelle les Ivoiriens. »

Cette pré-annonce du mot d’ordre informe d’une part de la cible : les Ivoirien·ne·s épris de démocratie, qui veulent des élections transparentes et crédibles, qui s’opposent au système néocolonial et qui souhaitent la fin du régime en place. D’autre part, elle situe l’origine du mot d’ordre à « l’appel de Bonoua »[18], soit environ une année avant le Comité central et les autres cadres de reprises de la formule « Trop c’est trop ». Il déclarait lors de ce meeting : (E6) « De Bonoua, j’ouvre les bras à tous les hommes politiques pour battre ce gouvernement en 2025 ». À cette étape ‘‘embryonnaire du projet, sa cible était clairement les hommes politiques. Cette cible a évolué aujourd’hui pour s’ouvrir à tous ceux qui auraient quelque chose à reprocher au régime. Or, il est clair qu’aucune gestion humaine ne peut être exempte de reproches. Laurent Gbagbo fait ainsi un appel de pied à tous les opposant·es d’une part, mais à tous les habitants de la Côte d’Ivoire qui souffrent des « méfaits de la politique » du RHDP. Et la raison justifiant l’adhésion souhaitée est simple : le changement via le départ des rênes du pouvoir du président Alassane Ouattara, pour qu’advienne une nouvelle ère de prospérité et de souveraineté.

De la formule « Trop c’est trop » : rhétorique d’un évènement discursif

L’évènement discursif se caractérise, comme indiqué supra, par une rhétorique particulière. Possenti informe à cet effet que « la formulation d’un énoncé peut en venir à fonctionner comme un évènement » (2011, p. 5). Cette rhétorique peut se lire dans la modalisation faite dans l’énonciation, dans la mesure où l’évènement met en avant un sujet énonciateur qui prend discursivement en charge un objet qu’il énonce, en vue d’une construction identitaire et légitimaire et d’une visée plus globale d’influence dans un champ donné. Elle se repère également par les modes de reprises perceptibles dans l’énoncé, eu égard au fait que l’évènement discursif est toujours ancré dans un interdiscours mémoriel. D’ailleurs,

les discours ne fonctionnant pas en vase-clos, l’événement discursif tend nécessairement à confirmer les critères de crédibilité, d’acceptabilité, de véracité ou de légitimité déjà en place, en même temps qu’il les transforme en introduisant de nouvelles formes de les faire fonctionner. Ces transformations peuvent même aller jusqu’à la subversion totale des critères sur lesquels il prend appui (Penafiel 2008, p. 109).

L’univers interdiscursif de « Trop c’est trop »

Le mot d’ordre lancé par Laurent Gbagbo est arrimé à une mémoire discursive et historique qu’il importe d’interroger.

À propos de mémoire, Pêcheux prévenait bien « mémoire doit être comprise non pas dans le sens directement psychologiste de « mémoire individuelle”, mais aux sens entrecroisés de la mémoire mythique, de la mémoire sociale inscrite dans des pratiques, et de la mémoire construite de l’historien » (1984 p. 262). Aussi, de la mémoire discursive, Foucault note qu’« il s’agit des énoncés qui ne sont plus ni admis ni discutés, qui ne définissent plus par conséquent ni un corps de vérités ni un domaine de validité, mais à l’égard desquels s’établissent des rapports de filiation, de genèse, de transformation, de continuité et de discontinuité historique » (1969, p. 78). Enfin, pour Possenti, « la mémoire se caractériserait par un ensemble de représentations de faits (des évènements, principalement, mais aussi des énoncés, dans leur matérialité même, ou encore, des énoncés comme évènements) » (2011, p. 6).

Le mot d’ordre lancé par Laurent Gbagbo fait donc écho à des énoncés et à des contextes similaires antérieurs. Pour éviter une étude historiographique de l’expression, qui nous ramènerait loin dans le temps, nous notons qu’un tel évènement se retrouve dans l’histoire du Burkina Faso, pays frontalier, au nord, de la Côte d’Ivoire, où en décembre 1997, Halidou Ouédraogo[19] lance le slogan « Trop c’est trop » dans le cadre de la marche de protestation et d’hommage organisée pour les obsèques de Norbert Zongo assassiné le 13 décembre. La mort de ce dernier, elle-même, se situe dans le cadre de la lutte politique qu’il menait avec des camarades responsables politiques de l’opposition et de la société civile contre « l’impunité, les violations des libertés publiques et démocratiques, les ingérences à l’extérieur, la corruption, la violation de la Constitution et particulièrement de la pérennisation de Blaise Compaoré au pouvoir par la manipulation de l’article 37 en 1997 » (Finna 2004, p. 1). Les époques et les espaces sont différents, mais force est de constater que le contexte politique d’émergence du mot d’ordre de Laurent Gbagbo partage de grands traits de ressemblance avec celui de Norbert Zongo.

Plus proche dans le temps, un regroupement d’acteurs et d’actrices de la société civile dénommé « Plate-forme citoyenne et démocratique ‘‘Trop c’est trop’’ » a été créé au Mali en juin 2017 pour empêcher le projet de révision constitutionnelle initiée par le président Ibrahim Boubacar Kéita, soupçonné de vouloir s’éterniser au pouvoir. Là encore, la raison semble être la même que dans le cas ivoirien.

Enfin, en août 2022, sous l’égide des députés travaillistes Zarah Sultana et Ian Byrne, des syndicats, des organisations communautaires, une association et un média vont lancer un mouvement de protestation dans un contexte d’inflation record ayant entrainé une flambée des prix des produits de l’alimentation. Ce mouvement citoyen portera le nom d’« Enough is enough » qui se traduit en français par « Trop c’est trop ». Une analogie logique est possible lorsqu’on prend en compte la cherté de la vie dénoncée par Laurent Gbagbo, parmi les raisons de son mot d’ordre. Il existe également des mouvements populaires similaires, mais qui ne reprennent pas les termes, à l’instar du mouvement « Y en a marre » en 2021 au Sénégal pour protester contre les manipulations politiques du président sortant Abdoulaye Wade, pour se maintenir au pouvoir.

Dans le contexte ivoirien, l’intra-référentialité de la formule « Trop c’est trop » renvoie aux élections présidentielles de 2010 où Alassane Ouattara, alors opposé à Laurent Gbagbo, qui était président de la République, s’est insurgé contre ce qu’il disait être un acharnement, voire une persécution contre lui en employant l’expression « Trop c’est trop ». Il s’agissait alors de faire de son indignation et de sa colère, un sursaut que l’auditoire était implicitement invité à partager. Plus récemment en 2017, Soro Guillaume, ex-Premier ministre et ex président de l’Assemblée Nationale ivoirienne, en raison de son désaccord avec le régime d’Alassane Ouattara qu’il a contribué à installer au pouvoir, a publié une série de chroniques intitulée « Trop est toujours Trop ». Ainsi, dans la chronique « Trop est toujours Trop ( II) » du 6 juillet 2017, il raconte un épisode biographique évoquant une morsure de scorpion quand il était encore enfant. Il achève sa narration par la conclusion suivante :

Cet épisode m’a beaucoup marqué, car j’ai appris depuis lors à affronter courageusement la douleur. Mieux, on m’a appris ainsi que dans certaines situations, c’est l’acceptation de la douleur qui permet de dépasser la douleur. On m’a appris que parfois, c’est la douleur qui tue la douleur. Quand la douleur est de trop, il arrive que trop de douleur neutralise la douleur![20]

Ici, en mobilisant l’argument de l’expérience de la douleur dont la nature ethotique ne fait aucun doute, Soro se présente comme un homme résilient dont les persécutions, loin de le démobiliser, enhardissent les convictions. Il appelle ainsi, implicitement, le peuple ivoirien à capitaliser la douleur symbolisant les tracas du quotidien et les injustices subies de la part du régime d’Alassane Ouattara qu’il dénonce depuis sa rupture avec le parti au pouvoir, à savoir la cherté de la vie, l’enrichissement illicite des proches du pouvoir, l’injustice sociale, le recul de la démocratie, etc.

À partir de ces références mémorielles non citées certes par Laurent Gbagbo, la formule qu’il lance/emprunte prend de la pertinence historique, car inscrite dans un réseau historico-politique relativement dense. Dans tous les cas, « dans le discours politique, tout est reprise, rejet, renvoi, reformulation, retournement et torsion, changement de pôle » (Robin, 1978, p. 175).

« Trop c’est trop » : une formule politique événementialisée

Sans reprendre toutes les conclusions d’Alice Krieg-Planque sur la notion de formule sur lesquelles nous réalisons la présente analyse, il importe tout de même de rappeler qu’

À un moment du débat public, une séquence verbale, formellement repérable et relativement stable du point de vue de la description linguistique qu’on peut en faire, se met à fonctionner dans les discours produits dans l’espace public comme une séquence conjointement partagée et problématique. Portée par des usages qui l’investissent d’enjeux socio-politiques parfois contradictoires, cette séquence connaît alors un régime discursif qui fait d’elle une formule : un objet descriptible dans les catégories de la langue, et dont les pratiques langagières et l’état des rapports d’opinion et de pouvoir à un moment donné au sein de l’espace public déterminent le destin – à la fois envahissant et sans cesse questionné – à l’intérieur des discours » (Krieg-Planque 2003, p. 14).

La formule s’entend donc comme un énoncé concis, condensé, destiné à être répété dans des circonstances particulières, fondé sur des systèmes de pensée et de valeur, une idéologie et généralement programmatique. Dans le discours politique, la formule peut déboucher sur le slogan. Lorsqu’il s’agit d’une reprise, elle tend à actualiser la cause défendue en l’adaptant au nouveau contexte dans lequel il intervient, naturellement à partir des similitudes entre le(s) contexte(s) précédent(s) et l’actuel.

Dans le cas de « Trop c’est trop », nous posons qu’il s’agit d’une formule dont l’actualisation, la définition et les différentes reprises dont elle est l’objet, tendent à l’événementialiser. De fait, dès son annonce comme mot d’ordre à venir, Laurent Gbagbo présente sa formule comme l’expression d’un combat à mener pour le départ du régime RHDP et pour l’amélioration des conditions de vie des Ivoirien·ne·s. Ensuite, dans sa lettre ouverte[21] qui fait suite à la réunion du Comité central, il le présente comme un mouvement :

(E7) : « Depuis près de 15 ans, les populations vivent sous un pouvoir marqué par des dérives autocratiques, où les aspirations sociales et démocratiques sont souvent ignorées. […] Il fallait un outil citoyen, ouvert, transversal, capable de rassembler au-delà des clivages partisans pour dire ensemble : Trop c’est Trop. […] Mes Chers Compatriotes, Je vous annonce que le Mouvement « Trop c’est Trop! » est prêt. Ce mouvement est un outil transversal, un espace de rassemblement au-delà des clivages politiques, pour faire entendre les vraies préoccupations des populations. « Trop c’est Trop! » n’est pas un parti politique. Il se veut un levier citoyen capable de fédérer les forces vives de la nation. […] « Trop c’est Trop! » n’est pas un mouvement insurrectionnel. C’est un appel citoyen, un rassemblement pacifique de femmes et d’hommes. […] Le Mouvement « Trop c’est Trop! » s’appuie sur deux grandes revendications prioritaires : – des revendications sociales fortes : lutter contre la vie chère, les déguerpissements sauvages, l’exclusion sociale, la précarité, l’instrumentalisation de la justice, l’emprisonnement des leaders d’opinions et politiques . -Le respect de la Constitution : s’opposer à toute tentative de 4ème mandat qui viole la loi fondamentale et fragilise la démocratie ivoirienne. »

Comme on le lit, l’énonciateur/initiateur indique les limites et les objectifs de son mouvement porté/résumé par la formule « Trop c’est trop » : il ne s’agit pas d’un parti politique, ni d’un mouvement insurrectionnel. Il s’agit plutôt d’un outil transversal ouvert à toutes les forces vives de la nation qui adhèrent au combat pour les revendications sociales fortes d’une part et le respect de la constitution ivoirienne ne permettant pas au président sortant de briguer un quatrième mandat, tel que soupçonné par les opposant·es et les organisations de la société civile[22]. Il invite ainsi tous les potentiels intéressés par ces causes, à s’approprier la formule et à adhérer au mouvement :

(E8) : Je vous invite à rejoindre ce mouvement de changement pacifique et démocratique, pour bâtir une Côte d’Ivoire libre, juste et prospère. Ensemble, faisons entendre notre voix, forte et unie. Ensemble, disons Trop c’est Trop.

Aussi, lors du meeting politique qu’il a animé à Port-Bouët le 07 juin 2025, il abordait la question de sa radiation de la liste électorale dans une rhétorique de combat à laquelle il arrime sa formule « Trop c’est trop ». Il estime que son honneur a été bafoué par la justice ivoirienne qui l’accuse d’être « un voleur » et qui a ordonné ladite radiation :

(E9) : « Ils veulent qu’on se batte, on va se battre. Je vais me battre pour mon honneur. Et je vais me battre pour la Côte d’Ivoire. Attention! […] Vous êtes en train d’aller trop loin! Trop, c’est trop! Trop, c’est trop! ».

Dans ce discours, l’on dénombre 15 occurrences du verbe « se battre » conjugué à des temps différents et 7 occurrences du substantif « bagarre » et de sa forme verbale « se bagarrer ». Pour lui, dire « Trop c’est trop » ou s’y engager, c’est dire non aux « dérives autocratiques » du régime et se battre contre un éventuel quatrième mandat. Et pour montrer qu’il a les ressources nécessaires pour se battre, Laurent Gbagbo rappelle sa filiation de combattants et les combats que lui-même a menés :

(E10) : « Mon grand-père, Gbagbo Gomiti, est mort en se battant contre les Français qui rentraient dans Gagnoa. Mon père, Zegbe Koudou, a fait la guerre en Normandie contre les armées de Hitler. […] Aujourd’hui, j’ai 80 ans. Et je me bats depuis que j’ai 18 ans et on ne m’a pas encore vaincu. Si je suis debout, c’est que je sais me battre. »

Et c’est fort de cette légitimité par filiation et des acquis de son parcours personnel qu’il peut annoncer, dans la conclusion de son message :

(E11) : « On se battra jusqu’au bout. Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire. »

Cette rhétorique de combat est reprise et renforcée par le substantif « lutte » lors du discours qu’il a prononcé à l’occasion de la double cérémonie de présentation officielle du Mouvement et de la signature du Front commun entre le PPA-CI et le PDCI-RDA, tenue le 19 juin 2025 à Abidjan. Dans ce discours, Laurent Gbagbo fait remarquer qu’

(E12) : « Il y a des points communs sur lesquels il faut qu’on se batte. Et ces points, c’est pour eux qu’on a créé le mouvement « Trop c’est Trop » […] Donc Il faut tenir. Et il faut qu’on fasse en sorte que trop ne soit pas toujours trop. Que les gens n’exagèrent pas. […] Bon, nous allons continuer la lutte. Il faut continuer la lutte. Aucune lutte n’est désespérée. »

Retentissements politico-discursifs de « Trop c’est trop »

À l’instar des formules et slogans politiques, la formule « Trop c’est trop » est appelée à être convoquée dans les discours qui suivent son énonciation. Mieux, Laurent Gbagbo s’attend à ce que la cause dont elle est porteuse soit accaparée par le plus grand nombre d’Ivoiriens. Cela aurait pour effet l’adhésion de ces derniers au mouvement lancé. Aussi, en plus de la reprise dont elle fait l’objet régulièrement dans la presse, la formule est convoquée par des acteurs politiques ivoiriens de premier plan, dévoilant ainsi, implicitement ou explicitement, leur adhésion au combat auquel le mouvement invite les Ivoirien·ne·s.

Déjà, à l’occasion de la conférence de presse de sortie officielle de la Coalition pour l’Alternance Pacifique en Côte d’Ivoire (CAP-Côte d’Ivoire)[23] organisée le 05 mai 2025, Pascal Affi N’guessan[24], répondant à un journaliste qui demandait la position de la CAP par rapport au mouvement ‘‘Trop c’est trop’’, dira : (E13) : « Si nous sommes ici, c’est parce que nous sommes d’accord que trop c’est trop ». Certes, il n’est pas membre du PPA-CI et le mouvement n’était pas encore formalisé officiellement, de même que la CAP-Côte d’Ivoire dont il est membre n’avait pas exprimé de position en lien avec ce mouvement, mais cet énonciateur indique implicitement qu’il adhère au moins à la cause défendue.

En outre, dans le cadre de la mise en place du « Front commun » entre le PPA-CI et le PDCI-RDA, la déclaration lue par le porte-parole du PDCI-RDA, l’honorable Brédoumy Soumaila et le discours du président Tidjane Thiam, sans convoquer les termes de la formule, reprennent les problèmes rencontrés par les Ivoirien·ne·s dans les activités préparatoires de l’élection présidentielle d’octobre 2025 et réaffirment leur volonté de mener le combat avec tous les Ivoirien·ne·s. Thiam dira en conclusion : (E14) « Il y aura un avant et un après dans la lutte pour que la démocratie règne dans notre pays », s’inscrivant dans la rhétorique de la lutte dont fait usage l’énonciateur de la formule. D’ailleurs, le rapprochement du PDCI-RDA du PPA-CI dans le cadre de ce front commun est perçu légitimement comme une adhésion du premier au mouvement « Trop c’est trop », faisant croître ainsi le nombre de partis adhérents.

Un indice important de l’événementialité de la formule « Trop c’est trop » consiste en sa condensation iconique sous les traits du logo suivant :

Logo « Trop c’est trop ». Source : https://www.facebook.com/share/p/1BPTNKbCjw/

Ce signe iconique se décline sur des vêtements (tee-shirts, casquettes, visières etc.) autant que sur des appareils connectés comme fond d’écran ou image de profil. Ce logo constitue un signe complexe dont le signifiant graphique et chromatique véhicule un signifié polysémique d’ordre sociopolitique. L’agencement textuel superposé à l’élément figuratif crée une tension interprétative qu’il est nécessaire d’appréhender non seulement au niveau plastique et iconique mais aussi au niveau linguistique et sémiotique.

Au niveau plastique, la composition est dominée par un agencement chromatique tricolore saturé (orange, blanc, vert), renvoyant explicitement au code vexillologique de la Côte d’Ivoire. Cette isotopie chromatique ancre immédiatement le discours dans le contexte national ivoirien. La typographie, massive et en majuscules, présente une orientation graphique verticale et une texture pleine pour les lettres extérieures (orange et vert), contrastant avec la lisibilité réduite et la transparence des lettres intérieures et du texte central constitué du présentatif « C’EST ». L’effet de profondeur et de superposition (texte derrière le poing, lettres transparentes) est un procédé rhétorique d’emphase qui met en exergue le motif central.

Le motif figuratif est une synecdoque : un poing levé en noir et blanc. Ce logogramme visuel est un topos iconique universellement reconnu comme symbole de résistance, de solidarité, et de pouvoir populaire (le droit au poing). Son traitement en clair-obscur renforce son impact dramatique et sa valeur d’énonciation comme expression d’une force brute et essentielle, contrastant avec l’éclat des couleurs nationales.

Au niveau linguistique et sémiotique, on remarque que l’énoncé linguistique, « TROP C’EST TROP », qui fonctionne comme un intertexte de revendication, utilise les codes rhétoriques de la répétition ou tautologie emphatique, visant à marquer l’excès ou la saturation d’une situation (sociale, politique, économique). Le déictique implicite renvoie à un état de fait considéré comme intolérable par l’énonciateur représenté par le poing. La position centrale de « C’EST » sur la bande blanche nationale suggère une médiation ou une crise identitaire au cœur de la nation.

L’articulation sémiotique finale résulte de la convergence du symbole chromatique national (la Nation), du symbole iconique universel (la Résistance/le Peuple), et de l’énoncé linguistique (la Saturation/le Refus). Le contraste sémiotique entre l’allégresse des couleurs nationales et la gravité du poing en noir et blanc produit un effet de sens : l’expression virulente d’une colère populaire au sein même du cadre national. L’image est donc un signe performatif invitant à la prise de conscience et à l’action.

Vu l’ampleur du mouvement qui a résulté du slogan « Trop c’est trop », il est évident que les retentissements politiques et/ou discursifs ne s’inscrivent pas toujours dans l’optique du soutien ou de l’adhésion. En effet, le président de l’Alliance des Ivoiriens pour la Démocratie (AID), par ailleurs ancien proche de Laurent Gbagbo et porte-parole de la plateforme Démonstration des Ivoiriens Rassemblés (DIR), a organisé deux conférences de presse autour du mouvement « Trop c’est trop ». La première s’est tenue le 07 mai, dès l’annonce de la création du mouvement et avait pour objectif de s’opposer à la création dudit mouvement et de le dénoncer. Au cours de cette prise de parole, l’orateur disait :

(E15) : Moi, je voudrais m’interroger, en quoi trop c’est trop? Demandons-nous ou interrogeons-nous, en quoi trop c’est trop? Vous comme moi, en quoi ils disent trop c’est trop? […] La Côte d’Ivoire appartient à tous les Ivoiriens. Personne n’a le titre foncier de la Côte d’Ivoire. Donc trop c’est trop, trop c’est trop. Trop c’est trop à leurs menaces. Trop c’est trop à leur volonté d’insurrection qu’ils préparent dans ce pays. Des gens sont braqués parce que leur volonté, c’est que ce pays-là brûle. Mais nous disons trop c’est trop à cette manière de faire la politique. Oui, trop c’est trop à leur nostalgie de vengeance. Trop c’est trop à leur CNT[25] qui veulent refaire en Côte d’Ivoire. Il n’y aura pas de CNT bis dans ce pays.

Pour lui, le mouvement de Laurent Gbagbo est une stratégie pour réitérer le CNT ou un autre organe du même type, dans une perspective d’insurrection et avec des objectifs de vengeance.

Quant à la seconde conférence, elle a eu lieu le 25 juin 2025, pour présenter le mouvement créé par la plateforme dont il est le porte-parole, en réponse à celui de Laurent Gbagbo et dénommé « À vous-même trop c’est trop ». Ce nouveau mouvement s’inscrit dans la droite ligne de son opposition exprimée environ deux mois auparavant. Son responsable le présente en ces termes :

(E16) : « Ce mouvement n’est ni une contre-offensive partisane, ni une manœuvre de diversion politique. Il est une exigence de vérité, une prise de conscience collective, un devoir de sauvegarde nationale. » Il s’assigne les objectifs suivants : « Réfuter les campagnes de désinformation; Réaffirmer le respect des institutions républicaines; Combattre les discours extrémistes et les appels à la haine; Dénoncer la démagogie et les illusions populistes; Préserver la paix, l’unité nationale et les acquis du développement. »

Ces propos traduisent clairement son opposition farouche au mouvement et à la cause défendue par le président du PPA-CI Laurent Gbagbo et ses alliés.

La formule « Trop c’est trop », au-delà de cette contestation frontale dénommée « À vous-même trop c’est trop », a aussi connu une réappropriation axiologique qui en fonde le caractère d’événementialité. Des militant·es du parti au pouvoir, ayant perçu l’enjeu argumentatif de la formule, l’ont détournée de manière à rendre positive la valeur sémantique négative du sème /excès/. Ainsi, lors du deuxième Congrès Ordinaire du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), le samedi 21 Juin 2025, des militant·es du parti au pouvoir ont entrepris de se réapproprier, par le truchement de l’ironie, la formule « Trop c’est trop ». Sur une vidéo que nous avons transcrite, des militant·es défilent à tour de rôle devant la caméra pour détourner cette formule :

Les amis, trop c’est trop, trop c’est trop parce qu’il y a trop de routes, et j’en ai marre! (0:06) Trop de belles routes, trop d’universités, mais où on va avec ça? (0:11) Trop de femmes, trop d’argent, trop de ponts, trop d’écoles, trop de châteaux, (0:17) trop d’électrification, trop de plaisantins dans l’opposition, trop de plaisantains! (0:23) Trop de perspectives, on a trop, trop d’avenues, trop de stades, oh là là, trop de stades! (0:29) Il y a trop de petites gos, il y a trop de gos, trop de jolies femmes en Côte d’Ivoire ![26]

Dans la foulée, plusieurs publications sur les réseaux sociaux ont relayé ce détournement dans le but de réorienter la formule initiale en argumentant par l’absurde sur les acquis d’Alassane Ouattara en tant que président de la République. Ces acquis, selon les énonciateurs, conforteraient sa candidature pour un quatrième quinquennat. En témoignent ces extraits ci-dessous pris sur Facebook.

Tous ces énoncés mettent en avant le bilan infrastructurel d’Alassane Ouattara et la paix qu’il est censé avoir instaurée après la crise post-électorale de 2010 en Côte d’Ivoire. Cependant, l’enjeu réel du mouvement « Trop c’est trop » réside non seulement dans la revendication pour une société plus inclusive, car la paix n’est que précaire si elle n’est pas fondée sur la justice et si le gouvernement la construit sans dialoguer avec les oppositions de manière à unir c’est-à-dire réconcilier les citoyen·nes, mais aussi dans l’alternance démocratique que consacre la constitution en limitant les mandats présidentiels à deux.

Conclusion

Le champ politique apparaît comme un cadre propice à la production de discours porteurs de traces pertinentes d’évènements discursifs. L’analyse de la formule « Trop c’est trop » a été le prétexte pour montrer les conditions de possibilité de l’évènement discursif et du moment discursif, son ancrage fortement contextuel, la rhétorique qui l’accompagne et les reprises dont il est l’objet et qui le consacrent doublement aussi bien comme un évènement que comme un moment notoire de l’histoire politique ivoirienne.

Le contexte socio-politique ivoirien, comme dans la plupart des pays africains d’ailleurs, est marqué par de nombreuses contestations liées à la dictature et à son corollaire qu’est le manque d’alternance. Dans ce contexte, l’univers interdiscursif de « Trop c’est trop » conduit à envisager les mécanismes de reprise qui confèrent un ancrage social à l’évènement discursif. De quoi déduire que la Côte d’Ivoire est perpétuellement en crise politique depuis son accession au multipartisme.

Si « Trop c’est trop » est une formule politique événementialisée et un moment discursif, c’est aussi en raison de sa déclinaison graphique sous forme de logo dont la diffusion sur les réseaux et en dehors est importante. Son retentissement politico-discursif est si important que cette formule s’est même invitée au deuxième congrès ordinaire du parti au pouvoir.

En définitive, la présente analyse a permis également de comprendre les enjeux politiques et idéologiques portés par les différents acteurs politiques s’engageant dans des polémiques, comme c’est le cas pour la formule analysée. À terme, il ne serait pas impropre d’affirmer que non seulement l’évènement discursif mais aussi le moment discursif occupent une place légitime et de premier rang parmi les dynamiques du discours politique africain, et qu’il pourrait apparaître comme un ressort du populisme.

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  1. Ce colloque s’est tenu en novembre 1977 autour du thème « Le discours politique : théories et pratiques »
  2. Laurent Gbagbo est le président de la République de Côte d’Ivoire auquel a succédé l’actuel, à l’issue d’une élection controversée en 2010 qui a abouti à une crise post-électorale en 2011 ayant enregistré officiellement 3000 morts. Il a été acquitté après un procès à la Cour pénale internationale, intenté contre lui pour crime de guerre et crime contre l’humanité dans le cadre de ladite crise post-électorale.
  3. Le mouvement a enregistré l’adhésion du Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT) dirigé par Aka Ahizi, du parti Générations et Peuples Solidaires (GPS) dirigé par l’ancien Président de l’Assemblée Nationale et ancien Premier ministre, Guillaume Soro, de M. Anaki Kobenan, ancien président du Mouvement des Forces d’Avenir (MFA) et membre fondateur du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (le parti au pouvoir), et le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblent Démocratique Africain (PDCI-RDA) dirigé par Tidjane Thiam.
  4. La justice ivoirienne l’accuse de braquage de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) début 2011, alors qu’il était au pouvoir. D’ailleurs, son élection avait été contesté par l’actuel président ivoirien qui était alors soutenu par une partie de la communauté internationale (France, USA, UE, ONU, etc.). A l’issue du procès, il a écopé de 20 ans de prison avec privation de ses droits civiques et politiques. Il est finalement rentré en Côte d’Ivoire, mais n’a jusque-là pas été emprisonné.
  5. Ancien leader des Jeunes Patriotes pendant la crise de 2010-2011, il a été accusé avec Laurent Gbagbo par la CPI et la justice ivoirienne. Il écope également de la même peine que lui avec les mêmes effets. Il dirige le Congrès panafricain pour la Justice et l’Égalité des Peuples (COJEP), un parti dans l’opposition.
  6. Ancien leader de la rébellion ivoirienne ayant attaqué le régime de Laurent Gbagbo en 2002, il est en exil depuis 2019, lorsqu’il a refusé d’intégrer le RHDP parti unifié. Il a été condamné à perpétuité par la justice ivoirienne pour tentative de coup d’État et atteinte à la sureté de l’État. Il dirige le parti Générations et Peuples Solidaires (GPS, parti officiellement dissout par les autorités ivoiriennes depuis 2021.
  7. Depuis décembre 2023, Tidjane Thiam est le président du PDCI-RDA et a officiellement annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2025. Après sa renonciation à la nationalité française en mars 2025, la justice ivoirienne demande sa radiation de la liste électorale pour défaut de nationalité ivoirienne. Il est également le Coordonnateur de la Coalition pour l’Alternance Pacifique en Côte d’Ivoire, une coalition de partis dans l’opposition qui exige un dialogue politique et des reformes du système électoral en vigueur en Côte d’Ivoire, pour l’organisation d’élections transparentes, crédibles inclusives et apaisées.
  8. L’article 6 de l’ordonnance n°2020-356 du 08 avril 2020 portant Révision du Code électoral stipule que « La liste électorale est tenue à jour annuellement par la Commission chargée des élections, pour tenir compte des mutations intervenues dans le corps électoral. »
  9. Extrait de l’adresse aux délégués membres du Comité central, présent à la session du 26 avril 2025.
  10. Ibid.
  11. Foucault souligne que chaque époque a ses propres régimes de vérité, c’est-à-dire des systèmes de croyances et de savoirs qui déterminent ce qui est considéré comme vrai ou faux.
  12. Un évènement discursif ne peut exister que dans un contexte historique spécifique qui lui donne sens. Cela inclut les évènements politiques, sociaux et culturels qui influencent la production et la réception des discours.
  13. Les discours sont toujours liés à des sujets qui parlent et à des objets qui sont discutés. La manière dont ces sujets et objets sont construits et représentés est cruciale pour la formation du discours.
  14. Les institutions jouent un rôle fondamental dans la production et la circulation des discours. Elles peuvent légitimer certains discours tout en en marginalisant d’autres.
  15. Foucault insiste sur le fait que les discours ne sont pas seulement des énoncés, mais qu’ils sont également des pratiques qui engendrent des effets de pouvoir et de savoir.
  16. Dabou est une ville du Sud de la Côte d’Ivoire située à une trentaine de kilomètres d’Abidjan, la capitale économique du pays.
  17. Il s’agit d’une activité statutaire et annuelle du PPACI qui réunit ses militant·es et sympathisant·es dans une ville du pays pour faire le bilan de la démocratie et faire les projections en vue de sa consolidation. Celle de Dabou était la troisième édition.
  18. Lors d’un meeting tenu le 14 juillet 2024 à Bonoua (ville situé à une soixantaine de Km à l’Est d’Abidjan), Laurent Gbagbo appelait tou·te·s les acteurs et actrices politiques souhaitant le départ d’Alassane Ouattara du pouvoir de le rejoindre pour le combat. Cette invitation a été dénommée par ses partisan·es et par la presse, l’Appel de Bonoua.
  19. Il était alors président de l’Alliance pour la Démocratie et la Fédération-Rassemblement Démocratique Africain (ADF-RDA) et membre de la plate-forme de l’opposition mise en place par Norbert Zongo, laquelle portait le nom de « Trop c’est trop » dans la clandestinité.
  20. https://www.facebook.com/share/p/1CuiUL188N/
  21. Le 12 juin 2025, le président Laurent Gbagbo publie via les réseaux sociaux numériques, une missive dénommée « Lettre ouverte du Président Laurent Gbagbo au peuple de Côte d’Ivoire ».
  22. Le mardi 03 juin 2025, la Plateforme pour l’Engagement Citoyen de Côte d’Ivoire (PEC-CI) dirigée par Ebrin Yao Rémi et la Fondation Internationale pour l’observation et la surveillance des Droits de l’Homme et de la vie Pacifique (FIDHOP) dirigée par Dr Boga Sako Gervais, ont animé une conférence de presse pour dénoncer la radiation de certains leaders de la liste électorale pour des motifs politiques et s’opposer à toute tentative de quatrième mandat de la part du président Alassane Ouattara. Quelques jours plus tard, le Président de la FIDHOP s’est exilé pour des raisons de sécurité.
  23. Cette coalition regroupe 25 partis politiques dans l’opposition réclamant un dialogue politique et les conditions d’une élection pacifique, transparente et inclusive. Elle est dirigée par Tidjane Thiam (Coordonnateur de la Conférence des présidents) et ne compte pas le PPA-CI parmi ses membres.
  24. Il est le président du Front Populaire Ivoirien (FPI), parti créé par Laurent Gbagbo et qui a mené et gagné le combat pour le retour du multipartisme en Côte d’Ivoire en 1990, aidé d’autres partis politiques de la gauche ivoirienne.
  25. Le Conseil National de Transition a été mis en place par l’ancien président du PDCI-RDA, Henri Konan Bédié, pour exiger le départ du président Alassane Ouattara après l’élection présidentielle de 2020 qu’il jugeait non transparente et non-démocratique. Il a été rejoint par des leaders de l’opposition et même certains cadres du RHDP. Ces responsables entendaient ainsi gérer la transition qui s’installait de fait par l’annulation des résultats de l’élection présidentielle.
  26. https://www.facebook.com/share/v/1AMRkBSQTD/

Pour citer cet article

ADOU, Amadou Ouattara et HOUESSOU, Dorgelès. 2025. Le discours politique africain : entre événement et moment discursif. Magana. L’analyse du discours dans tous ses sens, 2(2), en ligne. DOI : 10.46711/magana.2025.2.2.9

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La revue MAGANA. L’Analyse du discours dans tous ses sens est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/magana.2025.2.2.9

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