Volume 2, numéro 1 – 2025. Un tournant afro dans l’analyse du discours au Brésil?
Table des matières
L’analyse du discours au Brésil : une perspective afro
Le sens de la démocratie dans le discours du PAIGC : un legs de la dictature
La démocratie se constitue par la contradiction et sa règle est la liberté et le respect de la Constitution. Cette étude analyse le discours du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) dans le contexte de l’expulsion des 15 parlementaires qualifiés de « traîtres » au Parti. Basés sur l’analyse du discours inaugurée par Michel Pêcheux en France et développée par Eni Orlandi au Brésil, nous établissons un dialogue avec Jacqueline Authier-Revuz dans le but d’analyser les effets de sens de la démocratie dans les processus discursifs du PAIGC. L’analyse montre que le refus de la position de la direction du parti, qui obligeait les parlementaires à voter en faveur du gouvernement, et, plus tard, l’envoi d’une demande d’expulsion des 15 parlementaires « traîtres » du PAIGC, une mémoire discursive s’active dans l’interdiscours. Celle-ci s’inscrit dans la formation du Parti des libérateurs, contradictoirement de tendance autoritaire, donnant lieu à ce que nous appelons la démocratie d’imposition.
Ce travail analyse la promesse discursive d’union et de reconstruction de l’actuel Gouvernement du Brésil à partir de différentes matérialités signifiantes dans sa composition : une photographie du jour de l’investiture du président Lula, son discours et le slogan de son Gouvernement. Pour cela, la notion de « discours racialisés » est mobilisée, pour démontrer comment le fonctionnement de la promesse en question impose un double besoin aux différents objets symboliques : le besoin de traverser les effets imaginaires soulevés par l’alliance engendrée et le besoin de revisiter les significations de la démocratie culturelle. L’analyse a pour but de repenser l’efficacité de l’idéologie juridique et de déconstruire le consensus sur la culture.
La problématique de l’énonciation dans le néo-récit d’esclaves chez Kangni Alem
Cet article examine la problématique de l’énonciation du néo-récit d’esclaves dans Esclaves et Les Enfants du Brésil de Kangni Alem. Il étudie, dans un premier temps, comment Kangni Alem, en tant qu’écrivain postcolonial, explore la mémoire historique de l’esclavage en essayant d’inscrire dans l’acte énonciatif l’esthétique du renouvellement et de la transgression. Ensuite, il analyse la relation historique entre les deux principaux espaces de l’énonciation, l’Afrique et le Brésil, en montrant comment ces espaces façonnent le discours renouvelé autour de l’esclavage transatlantique. Enfin, sous l’angle de la sémiotique narrative, Esclaves et Les Enfants du Brésil sont décryptés comme des fictions historiques et mémorielles dans lesquelles apparaît le rôle crucial de la décolonisation des savoirs. En somme, il s’agit ici d’analyser les mécanismes énonciatifs et discursifs par lesquels Kangni Alem procède à une rémanence de la thématique de l’esclavage transatlantique entre l’Afrique et le Brésil.
Pratiques de réexistences noires au Brésil : une analyse discursive critique afro-diasporique
Le présent article a pour objectif d’analyser de manière discursive les pratiques de réexistences noires mobilisées par une travestie noire au Brésil en tant que bicha preta. Il propose une analyse discursive critique d’orientation décoloniale afro-diasporique à partir de l’analyse de la (re)production du racisme LGBTQIA+phobe et des resignifications discursives et sémiotiques présentes dans les vécus et les réexistences du corps bicha preta dans un championnat de poésie parlée (slam). Pour cela, on se base sur les études critiques du discours, la grammaire du design visuel et la pensée décoloniale afro-diasporique. L’analyse montre la manière dont la colonialité de l’être constitue et est constituée d’une perspective de genre reposant sur l’hétéronormativité cisgenre blanche qui exclut, discrimine, humilie et fait violence aux travesties noires. Elle en conclut également que le racisme LGBTQIA+phobe repose sur la colonialité de l’être et qu’il s’est fondé, au cours de l’histoire, sur des pratiques de signification et de représentation des individus noirs LGBTQIA+ visant à réguler leurs manières d’être, d’exister et de vivre.
Verbétisation et désignations dans le Dictionnaire des favelas Marielle Franco
Cet article porte sur les notices issues du Dictionnaire des Favelas Marielle Franco, et s’attache plus précisément au processus de désignation des sujets au sein de cet instrument linguistique. Il s’agit d’un travail en histoire matérialiste des idées linguistiques, c’est-à-dire dans le champ du discours. Pour l’analyse proposée, je prends en compte les notions de savoirs subalternes développée par Patricia Hill Collins ainsi que celle de verbetização (« mise en entrée ») que j’ai moi-même élaborée. Le contexte de la discussion s’inscrit dans les études sur les processus de dictionnarisation dans notre contemporanéité. En guise de conclusion, je mobilise la notion de décolonisation linguistique pour montrer que nous vivons un autre moment de décolonisation : celui où des positions discursives jusqu’alors réduites au silence prennent la parole et construisent des instruments linguistiques.
Fondé sur l’analyse du discours matérialiste et l’histoire des idées linguistiques, cet article analyse comment l’Enciclopédia negra (2021) redéfinit l’intellectualité noire au Brésil, en la contrastant avec des ouvrages antérieurs comme le Diccionario biobiblographico brazileiro (1883-1902), qui invisibilisait la noirceur des sujets noirs producteurs de savoir. Alors que le DBB occultait la condition noire des figures éminentes ou subalternisait les sujets noirs participant à la production des connaissances – en ne mettant en avant que des intellectuels blancs et européens (ainsi que leurs descendants) – l’Enciclopédia negra propose une récupération et une valorisation de plus de 550 personnalités noires, luttant ainsi supposément contre l’épistémicide. Cependant, en comparant les biographies de deux intellectuels noirs (Antenor Nascentes, dont le parcours est raconté sans insistance sur sa noirceur, et Hemetério dos Santos, dont le militantisme noir est central dans sa représentation), l’article constate que, malgré l’avancée que représente l’Enciclopédia negra, celle-ci perpétue des discours stéréotypés en ne soulignant pas les barrières structurelles du racisme. On conclut que, bien que l’œuvre constitue une étape majeure dans la visibilisation de l’intellectualité noire, des défis persistent dans la déconstruction des récits, suggérant la nécessité d’un « tournant afro » dans les études linguistiques et discursives.