Volume 2, numéro 2 – 2025. Retour sur l’analyse du discours politique en Afrique

Table des matières

Retour sur l’analyse du discours politique en afrique. Présentation

Dorgelès HOUESSOU, Amadou Ouattara ADOU et Nanourougo COULIBALY

IDENTITÉS, IDÉOLOGIES ET LÉGITIMATION DANS LE CHAMP POLITIQUE AFRICAIN

L’acteur politique « étranger » dans le discours politique ivoirien : schémas discursifs et enjeux

Mireille Denise KISSI

Cette étude analyse le fonctionnement discursif de la figure de l’étranger dans le champ politique ivoirien. Celle-ci est le prolongement d’un interdiscours bien enraciné, et qui sert à disqualifier politiquement et symboliquement l’adversaire. Comment donc est élaborée cette figure de l’acteur politique ‘‘étranger’’? L’hypothèse est que cette construction repose sur des stratégies de légitimation et de déligitimation. L’analyse des discours de deux acteurs politiques ivoiriens, ceux d’Alassane Ouattara et de Tidjane Thiam, vérifie cette hypothèse. Elle permet de mettre en évidence les modes linguistiques et argumentatifs qui construisent et conditionnent de manière permanente la figure de l’acteur politique ‘‘étranger’’ dans la sphère politique ivoirienne. L’enjeu principal est l’établissement d’une instance politique dont la légitimité repose sur une authentification validée.

Discours politique et politique du discours en contexte de résistance postcoloniale : entre colonialité du pouvoir et positionnement idéologique

Lucie KENGNE GATSING

Les structures sociales et politiques des États africains postcoloniaux encore sous influence des puissances occidentales démontrent un essoufflement conjoncturel tous azimuts. Mal gouvernance, insécurité galopante, violences plurielles, troncation de l’idéal démocratique, longévité au pouvoir et coups d’État à répétition en sont les formes les plus voyantes. Dans cette situation de confusion, entre paternalisme postcolonial anesthésiant et aspiration à la réelle souveraineté, des voix discordantes s’élèvent. Les militaires investissent l’espace public et se saisissent du discours politique qui, en situation de conflit, devient une arme redoutable de combat et de légitime défense. Cette réflexion montre comment la parole politique des locuteurs-militaires-présidents des États du Sahel est programmatique et a une fonction régulatrice. L’étude convoque les outils théoriques de l’analyse du discours politique et du postcolonialisme qui s’opérationnalisent dans les approches pragmatique et argumentative et dans la mémoire discursive pour mettre en relief le régime de verbalisation du réel social, la légitimation des instances politiques et la délégitimation de l’instance adversaire dans une perspective de reconstruction. Les résultats dévoilent qu’en contexte socio-politique crisogène[1], la rhétorique politique d’I. Traoré, A. Maiga et A. Tiani[2] les hisse au faîte des leaders politiques charismatiques légitimes et crédibles garants du bien-être social et de la souveraineté des peuples.

D’une rhétorique à une autre : le cas des discours de légitimation et de consolidation des transitions militaires de l’AES

Aboubakar GOUNOUGO

Est-il nécessaire, si on considère la définition de la rhétorique comme art de la persuasion par le discours, de rappeler que les implications d’une telle définition sont nombreuses? En effet, savoir persuader est une manière d’appropriation de la parole dont l’efficacité, sous la forme de discours, repose sur sa capacité à révéler un ethos, maître de son logos, et qui de ce fait sait appeler nécessairement à un pathos donné. Il y a en quelque sorte un pacte rhétorique qui sous-entend que le processus de rhétorisation soit réglé par les instances énonciatives qui, sous le contrôle de la société, décident, par exemple de ce qui est éthique ou non, moral ou non, normal, ou non, bref, de ce qui est bon, juste, légitime, vrai…ou non. Et comme toute rhétorique est conditionnée par un espace-temps, du fait de son lien à une anthropologie (historique), l’acte de persuasion, d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre, d’un évènement à un autre, d’une logique à une autre, peut être porteur de multiples valeurs morales, éthiques, idéologiques, doctrinales. La présente contribution veut, à partir de là, interroger certains aspects de la rhétorique de légitimation et de consolidation des transitions militaires de l’Alliance des États du Sahel.

Le recours à l’exemple et à l’illustration : stratégie de réparation de l’image de soi chez les autorités de la Transition du Mali

Ibrahim TOURÉ

Inscrit dans le cadre théorique de l’analyse de l’argumentation dans le discours, cet article analyse l’utilisation de l’argument par l’exemple par les autorités de la Transition du Mali ayant pris le pouvoir en 2021. L’objectif est donc de révéler les visées argumentatives inhérentes à ce genre de discours dans un contexte où les relations entre le Mali et certains pays de la CEDEAO sont tendues. Pour ce faire, le corpus sur lequel porte l’étude est constitué de trois discours appartenant au Président de la Transition du Mali, son Premier ministre par intérim et à son Ministre des affaires étrangères. Ils ont été prononcés entre 2021 et 2022, époque où les tensions entre la CEDEAO et Bamako étaient vives. L’analyse a démontré que le recours à ce type de discours s’inscrit dans une stratégie discursive visant à réparer l’image des dirigeants et des forces armées maliennes souvent décrédibilisées dans la presse étrangère par des accusations de violations de droits humains dans le cadre de leurs missions sur les théâtres d’opérations.

DISCOURS ÉLECTORAL, POLÉMIQUE ET MANIFESTAIRE EN CONTEXTE AFRICAIN : ENTRE CROYANCES ET VÉRACITÉ

Discours politique au Sénégal : religion, affects et sensibilités du terroir

Ibrahima BA

Le Sénégal a une tradition politique et démocratique séculaire. Cela peut expliquer en partie malgré l’instabilité politique qui atteint parfois un degré de paroxysme avéré, la capacité de résilience de la nation sénégalaise à sortir de l’impasse. Sans vouloir nous appesantir sur les soubassements de cette résilience nous cherchons à comprendre comment les valeurs doxiques peuvent se transformer en atouts politiques. En nous basant sur une approche socio-discursive et en nous appuyant sur une démarche qualitative pour analyser notre corpus composé de discours religieux et politiques, nous verrons comment les confréries constituent des espaces de récupération politique et d’autre part comment l’ethos, les affects et le droit du sol se transforment en arguments électoraux.

Discours politique en période pré-électorale : entre construction d’une identité, posture discursive et satirisation chez Laurent Gbagbo

Tindio DIABATÉ et Deuhapeu Yves DOH

Cette réflexion part du postulat selon lequel, dans le discours politique en période pré-électorale, l’orateur doit construire une identité en adoptant une posture qui lui permet de procéder à une satirisation pour mieux toucher son auditoire. C’est en cela que son discours devient une arme de combat politique efficace pour la re-conquête ou la conservation du pouvoir d’État. L’analyse vise à étudier les mécanismes de satirisation, de construction de l’identité et de la posture discursive dans le discours politique. Pour atteindre cet objectif, nous nous appuyons sur un corpus d’étude constitué de deux discours tenus en 2025 par Laurent Gbagbo. À l’aide des méthodes d’analyse du discours et de la rhétorique argumentative, il ressort que l’orateur construit son identité en adoptant une posture discursive fondée sur la satirisation par l’utilisation de divers procédés rhétoriques. La finalité est de construire un ethos d’homme politique capable de reconquérir le pouvoir d’État.

De la fonctionnalité des données chiffrées dans le débat présidentiel Gbagbo vs Ouattara

Mian Gérard AYÉMIEN et Nanourougo COULIBALY

Un fait notable dans les débats politiques est la fréquence du recours aux données chiffrées par les débatteurs. Cette stratégie dans un échange appartenant au champ politique qui a, a priori, comme cadre de référence des valeurs idéologiques, sociales ou morales n’est pas sans attirer et captiver l’attention de l’allocutaire mais aussi de l’analyste qui est tenté de s’interroger sur la fonctionnalité de telles informations. L’objet du présent article est de mettre en évidence la portée argumentative des données chiffrées qui s’avèrent opératoires surtout au niveau de l’ethos et du pathos dans le débat contradictoire de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire. Les investigations menées dans une perspective d’analyse du discours prennent appui sur l’argumentation dans le discours et révèlent la dimension argumentative des données chiffrées, qu’il s’agisse de la construction d’une image de soi valorisante, de la déconstruction de l’image de l’autre ou encore de la mobilisation des émotions. Elles permettent en outre d’en interroger la portée didactique.

Le discours politique africain : entre événement et moment discursif

Amadou Ouattara ADOU et Dorgelès HOUESSOU

L’analyse effectuée dans cette contribution est une étude de cas d’un concept considéré comme l’une des dynamiques du discours politique en général et du discours politique en Afrique : l’événement discursif. Elle porte plus précisément sur l’étude de la formule « Trop c’est trop » produite par l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, dans un contexte pré-électoral marqué par des tensions et la mise en place de plateformes regroupant des partis politiques et/ou des organisations de la société civile. À partir d’une analyse énonciative et interdiscursive, ce travail scrute le passage de l’événement politique (le lancement d’un mouvement politique) à l’événement discursif. Pour ce faire, il s’intéresse aux conditions de possibilité, à la rhétorique en jeu et aux procédés de reprise.


  1. Nous empruntons cette expression à Edgar Morin, théoricien de la crisologie qui a commis plusieurs ouvrages dans le domaine parmi lesquels Pour une crisologie publié en 2016.
  2. Ces acteurs politiques ne sont pas choisis au hasard. En effet, l’actualité politique en Afrique de l’Ouest depuis 2021 est dominée par des coups d’État à répétition revendiqués par des militaires portés à la magistrature suprême de leurs États. Dans leurs postures de militaires-présidents, ils tiennent des contre-discours porteurs d’un imaginaire de souveraineté et de justice sociale. Dans ce contexte de crise sécuritaire, d’agressions extérieures multiformes, de tension avec la CEDEAO et autres formes d’ingérence, émerge une rhétorique de la rupture structurée autour de la légitimation des acteurs politico-militaires et de la reconfiguration idéologique. De ce fait, les productions discursives analysées sont des discours institutionnels ritualisés, prononcés (par deux militaires-Présidents (le Capitaine Ibrahim Traoré et le Général Abdourahamane Tiani) et un porte-parole d’un gouvernement militaire (Abdoulaye Maiga, en lieu et place du Colonel Asimi Goita)) à des moments déterminants de la vie d’une nation (1er Sommet de l’AES; 79è Session de l’Assemblée générale de l’ONU et le 66è anniversaire de la proclamation de la République). Étant donné que les trois discours des trois hommes d’État sont des discours politiques, qu’ils sont ancrés dans une temporalité commune (2024) et une spatialité homogène (États du Sahel), alors ils satisfont aux trois critères de pertinence d’un corpus notamment : la représentativité, l’exhaustivité et l’homogénéité. Par ailleurs, en tant que discours officiels, ils sont l’émanation des transcriptions officielles issues des sites officiels de la présidence de chacun des pays (Burkina Faso, Mali, Niger).

Infos sur la publication

MAGANA - Volume 2, Numéro 2 - 2025

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/magana.2025.2.2

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La revue MAGANA. L’Analyse du discours dans tous ses sens est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

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ISSN : Version en ligne

3093-4184