Volume 2, numéro 1 – 2025. Un tournant afro dans l’analyse du discours au Brésil?
Le sens de la démocratie dans le discours du PAIGC : un legs de la dictature
Carmolino CÁ et Sóstenes ERICSON
Présentation
Mise en œuvre au début des années 1990, la démocratie est encore en deçà des attentes en Guinée-Bissau, compte tenu des incidents qui se sont déroulés dans ce pays africain, tels que l’expulsion en 2018 des 15 parlementaires du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) de l’Assemblée populaire nationale (ANP), en raison de leurs votes exprimés lors de l’examen et du vote sur le programme du gouvernement de Carlos Correia, affilié au PAIGC.
Partant de la conception que la démocratie se constitue par la contradiction, ce qui suppose la divergence d’idées, nous utilisons le terme imposition démocratique pour désigner l’imposition des positions du Parti aux députés qui ont décidé d’exprimer leurs convictions politiques. Le terme proposé tient compte de la déclaration du PAIGC annonçant l’expulsion des 15 parlementaires et leur demande de remplacement dans l’ANP. Selon le PAIGC, les députés expulsés n’avaient pas accepté de se conformer à l’orientation du Parti, violant des statuts du parti (en ce qui concerne le « principe démocratique »), comme si les statuts du parti étaient au-dessus de la Constitution de la République (en particulier dans son article 82), dans les termes présentés par Monteiro (2019).
La présente étude analyse les effets de sens de la démocratie dans les processus discursifs du PAIGC concernant l’expulsion des 15 parlementaires, qui ont été qualifiés de « traîtres », expulsés du Parti et de l’ANP en raison de leur divergence d’idées. Ceci nous amène à nous interroger : quel est le sens de la démocratie dans le discours du PAIGC? Pour répondre à cette question, nous nous rapprochons de la représentation du discours de l’autre (RDA), telle que postulée par Jacqueline Authier-Revuz (2015).
La RDA part de la perspective selon laquelle, une fois historiquement construit, le sujet, dans l’acte discursif, partage son espace avec les autres, étant donné qu’il est décentralisé, avec une connexion entre soi et l’autre. Partant du postulat que tout discours est un discours sur un autre discours, Authier-Revuz (1982) cherche à montrer comment la présence de l’autre est présente dans le discours. De ce point de vue, le discours est hétérogène, car dans chaque processus discursif, il y a toujours un autre interlocuteur, partageant la même affiliation idéologique. Cette réflexion, qui est née de l’interaction avec le dialogisme de Bakhtine/Volochinov et de la réflexion du sujet de la psychanalyse, s’ancre dans la perspective des articulations entre les énoncés par lesquelles les discours s’inscrivent les uns dans les autres.
Dans l’approche sur les hétérogénéités énonciatives, deux concepts importants développés par Authier-Revuz sont essentiels pour comprendre comment de telles hétérogénéités se constituent dans le discours : l’hétérogénéité constitutive et l’hétérogénéité montrée. Selon le principe de l’hétérogénéité constitutive, tout discours est traversé par d’autres voix, c’est-à-dire qu’il entretient une relation interdiscursive, étant, dans ce cas, un discours sur un autre discours. De leur côté, les hétérogénéités montrées sont liées aux manifestations linguistiques qui traversent les énoncés, laissant des marques qui révèlent l’affiliation idéologique à l’autre discours (Authier-Revuz, 1990).
L’hétérogénéité montrée peut être marquée et non marquée. La première serait identifiée dans le discours par des marques dans l’énoncé, qui pourraient être linguistiques ou non (les guillemets, le gras, etc., seraient des exemples de marques linguistiques). La seconde se verrait à travers les contradictions, les incompréhensions et les erreurs de l’acte discursif. En effet, le corpus est composé de séquences discursives extraites d’articles de journaux électroniques qui traitaient de l’expulsion des 15 parlementaires du PAIGC. Ce travail se compose de deux parties : dans la première, nous réfléchirons à l’analyse du discours et à la contradiction, et dans la seconde, nous nous intéresserons à la contradiction dans le discours démocratique du PAIGC.
Analyse du discours et contradiction : quelques considérations
La contradiction se distingue de l’incohérence textuelle et désigne un mouvement dans lequel des énoncés sont déplacés, généralement par affirmation ou par négation, en s’opposant à ce qui a été dit précédemment, en se contredisant l’un l’autre. La réflexion sur ce concept occupe une place fondamentale dans la pensée marxiste, car elle permet de comprendre la contradiction comme élément incompatible avec la réalité sociale capitaliste, dans la mesure où elle concerne fondamentalement l’antagonisme historique entre le capital et le travail.
Dans le cadre de l’analyse du discours, inaugurée par Michel Pêcheux en France et développée par Eni Orlandi au Brésil, et compte tenu de sa relation avec le matérialisme historique, le concept de contradiction trouve sa base constitutive dans l’histoire. Dans cette perspective, la contradiction « constitue un principe théorique qui intervient dans la représentation du réel historique, mais aussi un objet d’analyse » (Courtine, 2009, p. 35-36).
Dans le domaine de l’analyse matérialiste du discours, il existe d’autres éléments qui permettent de comprendre la contradiction dans ses fondements. Ainsi, le discours implique un sujet énonciateur qui est affecté par la formation idéologique à laquelle son énonciation est affiliée, ouvrant un espace pour que les contradictions de la formation sociale capitaliste se matérialisent. Dans le discours politique, les sujets sont historiquement affectés par l’idéologie partisane qui met en perspective une relation toujours contradictoire entre un je/moi et un autre/Autre, communément polarisée dans le couple situation-opposition, et ébranlée par le poids de la position-sujet de centre (un autre), dans sa mobilité habituelle, vers la droite ou vers la gauche.
Si l’on considère que les discours ont besoin d’autres discours pour produire des significations, la contradiction n’est possible que parce qu’il existe un autre discours qui permet au déplacement de se matérialiser. Ce processus est compris en mobilisant deux concepts fondamentaux dans notre analyse : l’intradiscours et l’interdiscours. Nous plaçons au niveau de l’intradiscours le point de départ mentionné ci-dessus, d’où nous passons à l’identification des effets de sens, des contradictions et/ou des déplacements dans le discours, par le biais du fonctionnement idéologique.
L’interdiscours étant la relation entre les discours (Pêcheux, 2012), c’est dans l’intradiscours que se matérialise le discours lui-même. Si l’interdiscours établit un dialogue avec un autre discours afin de produire un certain effet de sens, l’intradiscours resignifie le discours déjà existant (déjà dit), permettant des glissements, des silences et des déplacements. À son tour, c’est dans cette tentative de formulation qu’émergent des énoncés qui nous conduisent à identifier, dans le processus d’analyse, les contradictions du discours et leurs effets. C’est donc à partir de l’intradiscours que nous pouvons identifier les contradictions, les déplacements, les failles, etc. En outre, un aspect important de l’identification de la contradiction concerne le silence, étant donné que pour Orlandi (2002), lorsqu’il énonce quelque chose, en raison des structures et des barrières sociales, le sujet cache et/ou réduit au silence d’autres propos.
Entre le dit et le non-dit : la contradiction dans le discours démocratique du PAIGC
Postulant que le langage n’est pas transparent, l’analyse matérialiste du discours considère que l’extériorité est le lieu où l’on peut comprendre le non-dit dans le dit. Dans un domaine différent de cette hypothèse, la réflexion sur le dire et le dit a reçu une attention notable dans les années 1960, lors de la publication de l’ouvrage d’Oswald Ducrot (1987), pour qui le dire et le dit expriment des charges sémantiques différentes. Cette thèse de Ducrot propose l’argument selon lequel le dire et le dit ont lieu dans des ordres différents, l’un provenant du langage (le dit), et l’autre de l’ordre extralinguistique (non-dit/contexte), c’est pourquoi le dit et le non-dit ont des effets de sens différents.
Claudine Haroche, guidée avant tout par la grammaire normative, s’interroge : « D’où vient dans la grammaire ce désir insistant et impossible d’une partition radicale entre le dit et le non-dit, l’explicite et l’implicite, le complet et l’incomplet, que l’on perçoit tant dans la figure de l’ellipse que dans celle de l’incise? » (Haroche, 1992, p. 13). Ce questionnement dialogue aussi avec la discussion de Ducrot, qui a pour but principal de démontrer que le langage ne peut pas donner toutes les réponses, puisqu’il faut se référer à son extériorité constitutive. Pour Haroche, le sens n’est rien d’autre qu’une idée déformée de ce qui est dit et de ce qui n’est pas dit, puisque le langage est chargé d’intentions, et le non-dit est capturé en dehors de lui. Une telle position est donc différente de ce qui est vérifié dans la perspective grammaticale, qui fait une approche fermée de la langue, ayant le texte comme base analytique et écartant la présence de l’extralinguistique.
Pour sa part, Pêcheux (2012) a proposé une nouvelle forme d’analyse, qui allait révolutionner la façon de lire les textes. Partant de l’argument que le langage n’est pas transparent, il a cherché à démontrer que tout n’est pas dit explicitement, car chaque discours a ses conditions de production et ses affiliations idéologiques, impliquant ce qui « peut et doit être dit » par le sujet du discours. C’est cette appartenance qui permet de montrer ce que le sujet du discours, quand il dit, ne dit pas, fait taire, efface.
Selon l’analyse matérialiste du discours, le discours porte en lui l’historique et l’idéologique, c’est pourquoi ce qui est dit est toujours lié à ce qui a déjà été dit, étant donné que « dans l’analyse du discours, il y a des notions qui embrassent sans dire : celle de l’interdiscours, celle de l’idéologie, celle de la formation discursive » (Orlandi, 2007, p. 82). Ces trois notions constituent l’univers des éléments qui permettent, dans le discours, d’identifier les non-dits. En effet, selon Orlandi (2007), la relation entre ce qui est dit et un autre dire se produit dans la mesure où, à travers l’interdiscours, elle est déterminée par une formation discursive, constituée dans la relation entre le discours, le sujet, l’histoire et l’idéologie.
Toujours selon Orlandi (2007), il existe d’autres façons pour le non-dit de se manifester. La notion de silence, évoquée ci-dessus, constitue l’une des formes d’identification de l’appartenance idéologique du sujet discursif, car, selon l’auteure, il s’agit d’un lieu de refus, dans lequel un dire est réduit au silence pour que ce qui le dit produise du sens. De cette façon, à travers le discours lui-même, la matérialité discursive révèle la formation idéologique, et il convient de noter que c’est avant tout à partir de la réflexion sur les non-dits que nous cherchons à analyser la contradiction de l’imposition démocratique dans le discours du PAIGC.
S’intéresser à tout sujet lié à la démocratie guinéenne permet de comprendre comment ce régime a été mis en œuvre dans ce pays, en tenant compte de son contexte historique et social. La Guinée-Bissau, ainsi que les autres pays africains qui composent le groupe des pays africains de langue portugaise (PALOP), ont subi la domination des Portugais qui exploitaient sa population et ses ressources naturelles, ce qui a conduit à la création de plusieurs mouvements de résistance pour mettre fin à la pratique criminelle des tugas[1]. C’est dans ce contexte qu’a été créé le PAIGC, un parti clé dans l’expulsion des colons en Guinée-Bissau et au Cap-Vert et qui, après le départ des Portugais, a pris en charge le pays pendant 21 ans, sous le régime du parti unique.
En raison de la pression de certaines organisations de la société civile qui, tout au long du gouvernement du parti unique, s’étaient constituées en parti, le PAIGC a entamé une transition pour changer le régime actuel. Une telle pression, selon Teixeira (2008), était due à l’instabilité qui régnait au sein du PAIGC, puisqu’il y avait un désaccord « sur la manière de gouverner le pays et la répartition du pouvoir » (Teixeira, 2008, p. 23). Selon Cardoso (1996), cette transformation est liée au refus de perdre les privilèges que le régime actuel leur offrait. Autrefois habitués à gouverner le pays par la dictature, dans laquelle il n’y avait qu’un seul parti, qui déterminait comment la politique devait fonctionner, certains dirigeants ont déclaré qu’ils n’étaient pas d’accord avec l’idée de partager leurs privilèges. En effet, ce partage donnerait au peuple la possibilité de choisir ses représentant·es, avec le pouvoir de confier le gouvernement de la nation à une personnalité politique qui les convaincrait.
Malgré la résistance de ces membres du PAIGC, il a été possible de concrétiser le désir de la société civile et de certains membres du Parti unique, établissant la démocratie comme régime de gouvernement dans le pays en 1994, année de la première élection dans le pays. La mise en œuvre du système démocratique souhaité a été marquée par une lutte titanesque entre les dirigeants du parti unique, puisqu’une grande partie des dirigeants du PAIGC ont voté contre la démocratie en tant que système de gouvernement (Cardoso, 1996), et a ainsi signifié la victoire non seulement de ces dirigeants pro-démocratiques, mais aussi des mouvements de la société civile qui luttaient pour cette cause. À leur tour, ceux qui étaient insatisfaits de cette transition ont tout fait pour récupérer leurs privilèges, de la meilleure façon possible. Trois ans après le début du mandat du président João Bernardo Vieira (Nino), la démocratie subit sa première défaite avec l’éviction du président Vieira par un nouveau coup d’État.
Cette mise à l’écart, selon Teixeira, s’est produite non seulement à cause de la mauvaise stratégie de mise en œuvre du nouveau régime, mais aussi parce que « plusieurs régimes, en instituant la démocratie, sont revenus à l’autoritarisme. En d’autres termes, une alternance d’un régime à l’autre ne génère pas nécessairement une démocratie consolidée » (Teixeira, 2008, p. 48). La non-consolidation de la démocratie dans le pays s’explique de plusieurs manières, notamment par les legs de la dictature, qui a permis à plusieurs dirigeants d’entrer sur la scène politique.
Si auparavant le PAIGC, étant le seul parti politique, faisait tout sans interférence des autres formations politiques, avec la démocratie en place, ce parti ne pouvait plus agir directement de manière autoritaire, mais à travers les différents appareils idéologiques d’État (selon les termes définis par Louis Althusser, 1970). Il continuait à dicter ce qui devait et ne devait pas être fait dans le pays, désormais à travers le simulacre démocratique, comme nous l’analyserons dans la séquence discursive (SD) suivante :
SD1. « Ce cadre humain en dit long, c’est-à-dire qu’il rend très claire quelle est la volonté du peuple. Je sais que les institutions de la République seront à l’écoute de ce désir car personne ne peut créer d’obstacles à la volonté du peuple. C’est au peuple qu’appartient le pouvoir, le peuple a exprimé cette volonté et, par conséquent, nous avons l’obligation de respecter la volonté du peuple », a déclaré Domingos Simões Pereira (DW-Afrique[2], 17/08/2015, par Fátima Tchumá Camará).
La démission de Domingos Simões Pereira, chef de l’exécutif, a non seulement mis en lumière la réalité vécue dans le contexte politique du pays, mais a également permis à la société guinéenne de témoigner ce qui allait être la plus grande crise politique depuis que le pays a adopté le multipartisme. José Mário Vaz, alors président de la République, faisait partie du Parti des libérateurs[3] et a partagé à plusieurs reprises des moments avec le président du PAIGC, qui se présentait comme député et probable premier ministre de la République, ce qui s’est concrétisé après la victoire du Parti aux élections générales, avec José Mário Vaz comme président et Domingos Simões Pereira comme premier ministre.
José Mário Vaz et Domingos Simões Pereira ont été acclamés par la société guinéenne et la communauté internationale, jusqu’à ce que, au tournant de 2015-2016, un désaccord survienne entre le président Vaz et le chef de l’exécutif, en raison d’allégations de corruption et de népotisme au sein du gouvernement Pereira. C’est notamment ce qu’a soutenu le premier magistrat de la nation, qui a disculpé Domingos Simões Pereira, donnant lieu à un différend politique féroce. Dans ce contexte, d’une part, le PAIGC, la communauté internationale et certains partis ont compati à la situation du Parti et, d’autre part, certains ont défendu l’attitude du président Vaz.
Dans l’énoncé SD1, nous avons identifié que la presse, par une modalisation avec une seconde affirmation[4] (« a déclaré Domingos Simões Pereira ») a fait circuler des dires qui étaient rattachés à une position-sujet indiquant que, selon lui, l’expression et l’esprit démocratiques étaient vécus et partagés au sein du PAIGC. À l’époque, DW-Afrique avait rapporté une déclaration faite lors de la marche menée par la direction du Parti, en protestation contre le renversement du gouvernement de Domingos Simões Pereira, par le président de la République de l’époque, José Mário Vaz, au motif qu’il y avait beaucoup de corruption au sein du gouvernement dirigé par Pereira. Dans l’interdiscours, une telle déclaration faisait ressortir l’image d’un Parti qui excellait dans le respect des normes qui régissaient le principe démocratique, apportant comme argument le discours de la démocratie, sous l’idéologie de la démocratie comme pouvoir du peuple, qui serait responsable de décider qui devrait rester et qui devrait quitter le pouvoir.
À travers l’interdiscours, nous avons identifié un support juridique dans le discours du PAIGC, fondé sur l’article 23 de la Constitution de la République guinéenne, lorsque le parti affirme que les représentations populaires constituent les organes suprêmes de l’État (Monteiro, 2019). En ce sens, puisque le peuple est contre la décision du président, ce serait à lui de respecter la volonté populaire. On aurait alors compris qu’il y avait eu un acte d’injustice contre un parti démocratique et que c’était la raison pour laquelle le peuple était descendu dans la rue pour exiger que sa volonté soit accomplie, remettant au pouvoir le ministre démocratiquement élu par le vote populaire.
Dans le cas de la RDA, il est possible d’observer une affiliation de la position-sujet assumée par la presse en question, par rapport au discours prétendument démocratique du PAIGC, par le biais d’interférences graphiques (guillemets, comme on le voit dans SD1), au mépris de l’impartialité supposée de la DW-Afrique. Selon Amaral (2000), les guillemets ne fonctionneraient pas seulement comme élément grammatical qui cherche à signaler le discours de l’autre dans le texte, mais indiqueraient également le partage d’une affiliation idéologique avec le sujet du discours. De ce point de vue, la position du sujet assumée par DW-Afrique devient plus explicite lorsque nous observons qu’il y a eu une manipulation de l’information dans l’article lui-même, lorsque celui-ci a déclaré que l’acte était une initiative de la société civile, alors qu’en fait il s’agissait d’un rassemblement organisé par le PAIGC devant la présidence pour revendiquer ce qui s’était passé et soutenu par un discours prétendument démocratique.
Cependant, quelques mois plus tard, ce même parti, sous l’argument de la « discipline », a envoyé une lettre demandant l’expulsion de 15 parlementaires qui, jusque-là, en faisaient partie. De cette façon, une fois de plus, le Parti se présente comme le véritable défenseur du régime démocratique, avançant qu’il est nécessaire de se conformer aux règles qui régissent le fonctionnement d’une société. En se positionnant de cette manière, le PAIGC contredit sa position précédente, car si c’est le peuple qui a le pouvoir, et si c’est au peuple de décider qui doit rester au pouvoir, pourquoi alors le Parti jouerait-il le rôle du peuple? Comment un désaccord partisan a-t-il pu conduire à l’expulsion des 15 députés militants? De plus, comment serait-il possible pour un parti qui défend l’ordre démocratique de l’utiliser pour installer une imposition due à une divergence politique interne?
En appelant au respect de la « discipline partisane », exigeant ainsi l’expulsion des 15 députés, le sujet du discours autoritaire, par son silence local, censure les dires qui ont réalisé son acte anticonstitutionnel, s’opposant ainsi aux dispositions de la Constitution de la République (Monteiro, 2019). Ce que l’on observe donc sont des contradictions motivées par des conditions de production différentes, car, dans un premier moment (août 2015), nous avons identifié une plainte au sein du PAIGC à propos de la place de pouvoir/prestige qui lui avait été enlevée. Dans un deuxième moment (novembre 2015), une fois que l’espace perdu a été récupéré, les conditions de production du discours ont changé, produisant ainsi une action contraire à l’image démocratique que le PAIGC était censé défendre, comme nous le voyons dans SD2.
SD2. Le PAIGC « doit faire respecter la discipline » (DW-Afrique, 26/11/2015, par Braima Darame).
Dans le processus de circulation des significations de la DW-Afrique à travers la RDA, nous revenons à la déclaration sur l’expulsion des parlementaires et des anciens membres de leur rang, dans laquelle le président du PAIGC, Domingos Simões Pereira, affirme que le groupe de 15 députés n’a pas respecté les règles qui régissent la coexistence au sein du Parti, ce qui a abouti à leur expulsion. Nous observons que, lorsqu’elle prend une position au sein de la RDA, DW-Afrique rejoint la position de sujet dudit Parti. Du point de vue du PAIGC, on a l’impression que les 15 députés qui se sont abstenus ont commis un acte anti-démocratique, comme si la démocratie pouvait se résumer à accepter toutes les propositions du gouvernement, même en l’absence de support légal dans la Constitution, tel le respect de la « discipline partisane ». En effet, cela montre que les statuts du parti seraient au-dessus de la Constitution du pays.
Compte tenu de l’histoire du Parti, cette position n’est pas surprenante puisque la structure militaire fait partie du fonctionnement du PAIGC, dans lequel l’ordre émane de la direction du Parti, la position hiérarchique étant déterminante pour son fonctionnement. De plus, pour un parti qui a gouverné sous un régime autoritaire pendant plus de 20 ans, et dont une grande partie des militant·es s’est opposée au passage d’un régime à parti unique à un régime démocratique, la discipline dépend exclusivement des principes idéologiques qu’il défend, et les autres n’ont qu’à suivre les ordres. Selon Teixeira (2008), cela est dû à la conception de la démocratie propre au parti, une « démocratie révolutionnaire » qui l’a conduit à la lutte armée contre les colons portugais, façonnée par des principes militaires; une démocratie qui a servi de base à son gouvernement dans la période post-indépendance.
En affirmant que le PAIGC « doit faire respecter la discipline », contrairement à ce qu’il cherche à signaler avec le terme discipline, faisant allusion à la démocratie, la pratique anti-démocratique se renforce dans l’interdiscours, qui restreint la liberté de pensée des 15 parlementaires par une imposition démocratique, mise en circulation dans la RDA par la DW-Afrique. Ainsi, tout ce qui va à l’encontre de la perspective de « démocratie révolutionnaire » du PAIGC constitue un manque de respect pour la discipline partisane. De son côté, la position de sujet assumée par le Parti s’aligne sur une mémoire discursive de « l’aile dure, composée essentiellement d’anciens combattants guinéens qui ont défendu une politique conservatrice pour défendre leurs intérêts et leurs privilèges hérités de la lutte armée » (Teixeira, 2008, p. 23).
Il s’agit du fonctionnement d’une formation idéologique qui établit une imposition démocratique, dans la contradiction fondamentale que cette expression établit. Ce qui nous permet d’affirmer que ce parti, bien qu’il ait accepté le changement de régime gouvernemental, ne s’est pas (encore) dissocié du régime à parti unique, puisque les statuts du PAIGC sont considérés comme supérieurs à la Constitution, comme nous le verrons dans la SD ci-dessous :
SD3. Les positions contraires aux principes du PAIGC seraient considérées comme de la « trahison » (DW-Afrique, 23/12/2015, par Fátima Tchumá Camará).
Sans s’opposer à l’imposition démocratique, DW-Afrique reprend l’expression trahison dans le discours politique guinéen afin de relativiser la supériorité des principes du PAIGC. En ne s’engageant pas dans l’idée que s’opposer serait une « trahison », DW-Afrique marque une certaine distance par l’utilisation de guillemets, tout en conjuguant le verbe être au conditionnel, ce qui est une manière de simuler, dans le langage, qu’il ne s’agit que d’une possibilité plutôt que d’une action concrète.
On voit donc que dans la RDA, la démocratie fonctionne dans la perspective idéologique du PAIGC, en ayant des limites circonscrites aux contours des intérêts du parti, pour qui les pensées et actions contraires aux siennes sont légitimement considérées comme une « trahison » des valeurs de la démocratie qu’il est censé défendre. C’est ce que nous appelons une démocratie d’imposition. Compte tenu de ce glissement de sens, cette démocratie n’est pas la même que celle dont le PAIGC prétend qu’elle appartient au peuple guinéen. Si cela était le cas, il ne serait pas possible de soutenir que la vérité (les principes) n’est que la vérité du Parti, et encore moins d’exiger des 15 parlementaires qu’ils respectent la discipline partisane. Cela nous amène à nous poser plusieurs questions : si la démocratie suppose la pluralité des idées, où le peuple comme les représentant·es politiques doivent exprimer librement leurs idées et opinions, comment serait-il possible pour un parti qui défend les valeurs démocratiques d’empêcher qu’il y ait des opinions contraires aux siennes dans le processus démocratique au sein de la maison du peuple (l’Assemblée populaire nationale-ANP)? Quel sens aurait la démocratie pour un parti qui affirme publiquement que le pouvoir appartient légitimement au peuple et que c’est au peuple de décider qui quitte le pouvoir et qui y reste, et qui produit ensuite un discours à tendance autocratique?
À la suite de ces questions, une réflexion sur l’effet d’anticipation permet de comprendre qu’en exigeant des députés qu’ils votent « oui » à l’approbation du programme de gouvernement de Carlos Correia, le PAIGC prévoit, par un discours autoritaire, que la seule voie correcte serait d’approuver le programme du pouvoir exécutif. Lorsqu’il est mis en circulation par DW-Afrique, ce discours est renforcé par la naturalisation des effets de sens d’une orientation vers les parlementaires qui se déclaraient contraires à la composition du gouvernement, raison pour laquelle ils ne voteraient pas en faveur de sa permanence. Nous comprenons donc que les guillemets sont utilisés pour montrer qu’en cas de non-approbation du programme, les 15 députés manqueraient de respect aux statuts du parti, ce qui serait considéré comme un acte antidémocratique de « trahison », car contraire aux règles du PAIGC.
La représentation de ce discours par DW-Afrique découle d’une position qui rejoint celle du parti afin de produire le sentiment que les « traîtres » doivent être punis. Il lui échappe cependant que la pratique antidémocratique est déjà présente dans les propres déclarations du PAIGC, en contradiction avec les valeurs qu’il prétend défendre. En affirmant qu’une position différente de la sienne présuppose une « trahison », l’interdiscours ouvre la possibilité d’identifier une position-sujet antidémocratique qui simule, à travers un rituel prétendument démocratique, la défense des valeurs démocratiques tout en (re)produisant un effet de sens d’imposition démocratique.
Dans le discours du PAIGC, la transgression des règles a ses spécificités dans le biais démocratique qu’il pratique, dans les termes d’une démocratie d’imposition, car certain·es peuvent transgresser les statuts du parti, mais d’autres non, comme on peut le voir dans la séquence suivante :
SD4. L’ancien Premier ministre a déclaré avoir renoncé à son « droit naturel » compte tenu des statuts du parti qui stipulent qu’en cas de victoire électorale, c’est le chef du parti qui prend la tête du gouvernement (DW-Afrique, 17/09/2015; source Lusa).
En expulsant les 15 parlementaires de son parti, à la suite de l’évaluation et du vote du programme de gouvernement dirigé par Carlos Correia, le PAIGC a utilisé comme argument la violation des principes énoncés dans ses statuts, cherchant à démontrer qu’il n’y avait pas d’indignation quant à la position du groupe, mais qu’ils ne faisaient que suivre ce qui était prévu dans les statuts régissant la coexistence au sein du parti. Par conséquent, l’expulsion des députés n’avait rien à voir avec une répulsion à l’égard de la position du groupe, mais relevait du zèle et du respect des principes qui guidaient l’État de droit, projetant ainsi l’image d’un parti strictement démocratique. Mais en affirmant avoir violé les statuts du parti, ce qui est censé être justifié au nom du bien commun, le discours du PAIGC se contredit et laisse place à des interrogations sur le type de démocratie qu’il pratique et sur la manière dont elle devrait fonctionner.
Si les députés qui n’ont pas transgressé la loi du pays ont été pénalisés en étant exclus du parti simplement pour avoir enfreint les statuts, pourquoi les autres infractions n’ont-elles pas suivi la même logique? Quelles mesures disciplinaires le PAIGC doit-il appliquer (SD2)? Quelle est cette démocratie qui fonctionne pour certains et pas pour d’autres?
À la suite de ces questions, nous reprenons Orlandi (2002) pour comprendre comment le sens de la démocratie fonctionne dans le PAIGC. Pour simuler sa pratique antidémocratique, le Parti a dû cacher un dire (silence local), car, étant donné la situation sociale, il ne pouvait pas dire que les 15 parlementaires avaient été expulsés en raison de leur abstention et de leurs opinions contraires aux intérêts du PAIGC. Cela est dû au fait que « les relations de pouvoir dans une société comme la nôtre produisent toujours de la censure, de telle sorte que le silence accompagne toujours les mots » (Orlandi, 2007, p. 83), ce qui explique également que la conformité à la « discipline partisane » n’est appliquée que lorsque cela est opportun. Mais dès que ce parti reconnaît qu’il viole ses propres statuts, il expose à nouveau ses contradictions en tant que parti démocratique.
Considérations finales
Le processus de transition du système de gouvernement en Guinée-Bissau, en plus d’être défaillant (puisqu’il n’a pas pris en compte la réalité sociale du pays), a mis en évidence les intentions de l’élite politique qui gouvernait le pays (représentée par le PAIGC). Une partie de cette élite a cherché à maintenir sa position et à ne pas partager le pouvoir avec certains partis, tandis qu’une autre partie a tenté de tromper la société guinéenne sous l’argument de l’ouverture démocratique, alors qu’elle était une démocratie telle que définie par le Parti.
Nous savons que le régime démocratique valorise le dialogue et la liberté d’expression, en laissant de l’espace à la confrontation des idées, ce qui implique de se constituer par la contradiction et contribue à la croissance et à la formation des acteur·trices politiques. Par conséquent, les pays qui adoptent ce modèle comme forme de régime politique doivent être en accord avec ses principes, en respectant les piliers de la démocratie, la liberté d’expression étant l’un d’entre eux. Cependant, le modèle démocratique que le Parti des libérateurs prétend défendre n’est pas le même que celui que nous connaissons conventionnellement.
L’analyse du discours matérialiste nous permet de comprendre que chaque discours a ses conditions historico-sociales, liées à une formation idéologique. De ce point de vue, nous comprenons qu’en refusant d’accepter la position adoptée par la direction du parti, qui obligeait les parlementaires à voter en faveur de l’approbation du Gouvernement, et plus tard en envoyant une demande d’expulsion des 15 parlementaires « traîtres » du PAIGC, une mémoire discursive est déclenchée dans l’interdiscours qui constitue la formation du parti, contradictoirement de tendance autoritaire, que nous appelons la démocratie d’imposition.
Références bibliographiques
Althusser, Louis. 1970. Ideologia e Aparelhos Ideológicos de Estado. (tradução para o português por Maria Laura Viveiros de Castro). Rio de Janeiro: Edições Graal.
Amaral, Maria Virgínia Borges. 2000. Demarcações do lugar do outro no discurso: a função discursiva das aspas. Em Moura, Denilda (org.), Língua e Ensino: dimensões heterogêneas (111-120). Maceió: Edufal.
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- Expression utilisée pour désigner les Portugais et façon la plus courte de mentionner le Portugal. ↵
- Deutsche Welle – DW (Voix de l’Allemagne) « est la chaîne de télévision internationale allemande. Les programmes radiophoniques et l’offre en ligne de la DW-Afrique s’adressent aux pays africains lusophones — Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique et São Tomé-et-Príncipe », et sont financés par le gouvernement allemand (https://www.dw.com/pt). ↵
- Bien qu’il ait cessé d’appartenir à cette formation politique lorsqu’il a pris ses fonctions de président du pays, comme le prévoit la Constitution guinéenne. ↵
- Selon Authier-Revuz (1990). ↵