Volume 2, numéro 2 – 2025. Retour sur l’analyse du discours politique en Afrique
Discours politique en période pré-électorale : entre construction d’une identité, posture discursive et satirisation chez Laurent Gbagbo
Tindio DIABATÉ et Deuhapeu Yves DOH
Introduction
Le discours politique entendu comme la parole produite par des acteurs et actrices politiques dans l’exercice de leurs fonctions joue plusieurs rôles essentiels dans la vie sociale et politique :
Dans la vie politique, le discours joue un rôle capital en ce sens que toute action ou décision politique relative à l’organisation du pouvoir dans l’État, à son exercice doit s’ancrer dans un discours qui prend appui sur des principes et des valeurs déterminantes pour la vie en société (Doh, 2024, p. 30).
Généralement, à l’approche des échéances électorales, le discours politique devient particulièrement prolifique, car les acteurs et actrices politiques multiplient les prises de parole pour évaluer la gestion de la chose publique. Cette inflation verbale s’inscrit dans une logique de conquête, reconquête ou de conservation du pouvoir d’État notamment dans le cadre de l’élection présidentielle. Elle n’est donc pas neutre comme le rappelle Coulibaly (2014, p. 2) :
Le discours (politique en période pré) électoral(e) recèle des spécificités liées au contexte de sa production, marquée par une volonté de conquête du pouvoir. Cette approche situationnelle détermine largement les choix discursifs des candidats qui doivent articuler leurs discours aux imaginaires sociaux dominants et répondre aux attentes et préoccupations de l’opinion.
En Côte d’Ivoire, cette dynamique est manifeste à l’occasion de l’élection présidentielle de 2025. Conscients de l’enjeu, les acteurs et actrices politiques – qu’ils et elles soient au pouvoir ou dans l’opposition – multiplient meetings et manifestations pour préparer cette échéance. Les discours se font souvent véhéments, accusant l’adversaire de malversations et suscitant en retour des discours de justification destinés à restaurer une identité mise en cause. Dans ce jeu d’attaques et de ripostes, les orateurs adoptent diverses postures et recourent fréquemment à la satire pour marquer leur positionnement. Ce constat motive la présente analyse qui répond aux questions suivantes : Comment Laurent Gbagbo construit-il son identité à travers ses discours? Quelle posture adopte-t-il? Quels procédés de satirisation mobilise-t-il?
Nous posons l’hypothèse que dans le contexte pré-électoral, l’orateur politique construit une identité crédible en adoptant une posture discursive qui lui permette de recourir à la satire pour renforcer son efficacité persuasive. Plus largement, nous considérons que le discours politique en période pré-électorale constitue une arme stratégique pour la conservation, la conquête ou la reconquête du pouvoir d’État. En formulant toutes ces hypothèses, notre objectif est de chercher le mécanisme de satirisation, construction de l’identité et la posture dans le discours politique chez Laurent Gbagbo. Pour y parvenir, l’analyse est structurée en trois parties. D’abord la présentation du cadre théorique et méthodologique, ensuite l’examen de la construction identitaire et la posture discursive chez Laurent Gbagbo, enfin l’étude des procédés satiriques relevés dans le corpus.
Cadre théorique et méthodologique
Le discours politique, essai de définition
Le discours politique est composé de deux occurrences dont « discours » et « politique ». La première occurrence qu’est la notion de discours signifie toute production verbale, écrite ou des signes qui utilisent des stratégies particulières pour communiquer. Quant à la notion de politique, elle est tout ce qui réfère à l’activité politique (la politique) et/ou à l’homme ou la femme politique (le politique). Patrick Charaudeau explicite en ces termes : « La politique est le lieu d’exercice du pouvoir et d’influence pour faire partager les idées de la gouvernance […]. Celle-ci dominerait le politique, lieu des valeurs symboliques où s’élaborent les projets d’idéalité sociale, le politique […] est tourné vers la fabrication des idées… » (2005, p. 236). En partant de ces deux définitions, on peut considérer le discours politique comme toute production verbale ou écrite utilisant des stratégies particulières par le politique pour communiquer en politique. Il est donc le discours que tiennent les acteurs et actrices politiques en tant que politique. Le discours politique est le plus souvent exercé dans un espace public ou institutionnel. En ce sens, dans le combat politique, il sert à légitimer, contester, influencer ou justifier diverses actions ou décisions surtout politiques ainsi que des idéologies. C’est au vu de cette réalité que S. Traoré (2012, p. 159) affirme : « Dans les sociétés démocratiques, la parole est au cœur de la conquête et de la conservation du pouvoir politique […] quand on sait que la politique … [est le champ de la contestation,] de la décision, de la promesse, de la justification et de la dissimulation ». Et en période pré-électorale, pour les acteurs et actrices politiques de l’opposition, le rôle de contestation et de justification s’avère important. Il faut, en effet, contester certaines politiques ou accusations du pouvoir en place en le fustigeant pour montrer les failles de la gestion du pouvoir en place. Il faut se justifier lorsqu’on est accusé par le régime au pouvoir d’être à la base de certains maux dont souffre le peuple ou accusé à tort d’être de mauvaise moralité politique, par exemple. Ce qui met en doute la crédibilité de l’homme ou de la femme politique. À cet effet, G. Yaméogo soutient : « Lorsque la crédibilité de l’homme politique est mise à mal, celui-ci est obligé généralement de produire un discours de justification dont l’objectif est de laver les critiques ou les accusations qui lui sont adressées » (2022, p. 169). C’est ce que fait Laurent Gbagbo, auteur des discours du corpus, dans cette étude. Mais qui est Laurent Gbagbo? Comment le corpus d’étude a-t-il été collecté et quelles méthodes pour son analyse? Dans la suite du travail, toutes ces questions auront des réponses.
Corpus d’étude et méthodes d’analyse
Les discours que nous analysons dans le cadre de cette étude sont de Laurent Gbagbo, désormais LG. Historien de formation, LG, est un homme politique et ancien Président de la République de Côte d’Ivoire né le 31 mai 1945 à Gagnoa. Il est fondateur du Front Populaire Ivoirien (FPI), dont il fut le président. Il a été opposant historique à Félix Houphouët-Boigny, Premier président de la Côte d’Ivoire et « père » de l’indépendance ivoirienne. Président de la République du 26 octobre 2000 au 11 avril 2011, la mandature de LG fut marquée par une profonde crise militaro-politique en Côte d’Ivoire. Mais malgré cet état de fait, il a su conduire le pays à la sortie de crise par l’organisation de l’élection présidentielle de 2010. Cette élection fut la plus meurtrière de l’histoire politique du pays avec environ 3000 morts. C’est suite à cet affrontement qu’il a été mis aux arrêts par le nouveau régime pour crime contre l’humanité et par la suite transféré à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye d’où il est acquitté en 2019 après huit ans d’emprisonnement. De retour en Côte d’Ivoire, le 17 juin 2021, il prend définitivement ses distances du FPI, parti politique dont il est fondateur et crée le Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI). Le parti annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2025. Pour ce faire, il initie des rencontres avec le peuple de qui LG a été séparé depuis environ huit ans en vue de mobiliser et communier avec ses partisans. Sachant bien qu’il est inéligible pour l’élection présidentielle de 2025 à cause d’une condamnation qui le déchoit de ses droits civiques et politiques; en janvier 2025, dans l’optique de parler à toutes les classes de la population ivoirienne, LG entame une série de rencontres et meetings dénommées tournée « côcôcô ». Celle-ci est une tribune d’échange franc et direct du leader avec son peuple. Les discours que nous analysons, dans le cadre de cet article, sont issus de cette tournée. Pour la collecte des données, nous avons visionné puis transcrit ces discours pris sur la page Facebook intitulée Ppa-ci 24 TV. Au nombre de deux, ces discours sont numérotés D1 pour le premier discours tenu à Macory le 08 février 2025 et D2 pour le deuxième discours tenu à Port Bouët le 07 juin 2025.
Par ailleurs, le cadre méthodologique qui structure ce travail est fondé sur l’analyse du discours et la rhétorique argumentative. Approche descriptive et interprétative du discours en situation, l’analyse du discours, pour nous, aborde les discours sous deux angles que sont le contexte socio-historique de production et les stratégies discursives mises en œuvre pour atteindre les objectifs argumentatifs. Pour Dominique Maingueneau elle est : « la discipline qui, au lieu de procéder à une analyse linguistique du texte en lui-même ou à une analyse sociologique ou psychologique de son contexte, vise à rapporter les textes, à travers leurs dispositifs d’énonciation, aux lieux sociaux qui les rendent possibles et qu’ils rendent possibles » (1996, p. 110). L’analyse du discours s’est développée en France dans les années 1960 avec Jean Dubois à partir de corpus spécifiquement politique. Elle a plusieurs approches dont nous priorisons celle de l’école française d’analyse du discours car mettant l’accent sur le rapport discours-pouvoir et la place sociale de l’orateur dans la production du discours. Quant à la rhétorique argumentative, elle met l’accent sur les procédés rhétoriques utilisés dans l’argumentation. La rhétorique désigne « l’ensemble des procédés discursifs permettant de susciter ou de renforcer l’adhésion des individus aux propositions qu’on leur soumet » (Perelman 2008, p. 25). C’est en cela que pour Viktorovitch, elle repose sur trois dimensions : « les arguments que l’orateur propose (logos), l’image que l’orateur renvoie (ethos), les émotions que l’orateur suscite (pathos) » (2021, p. 44). Cette méthode a toute sa place parce que le discours politique est un type de discours à travers lequel l’art de persuader par des arguments efficaces règne en maître-mot. Il est donc intimement lié à la rhétorique. Cette méthode nous permettra de faire ressortir les procédés rhétoriques employés par LG dans son discours pour construire son identité, adopter une posture discursive puis satiriser.
La construction de l’identité et la posture discursive chez Laurent Gbagbo
Dans cet axe, nous montrons comment peut se faire la construction de l’identité et la prise de position dans un discours. C’est ces deux éléments que nous appelons construction de l’identité et la posture discursive. Nous débutons par l’identité discursive.
La construction de l’identité discursive
Patrick Charaudeau soutient, en effet que « l’être de parole, qu’on le veuille ou non, est toujours double. Une part de lui-même se réfugie dans sa légitimité d’être social, une se veut construite par ce que dit son discours. Laquelle des deux est la vraie? La seconde ne ferait-elle pas cacher la première? Non, car celle-ci ne se pourrait sans celle-là, elle en est tributaire » (2005, p. 50). Ceci signifie que la nature de l’homme et plus spécifiquement du politique, transparaît dans son discours. Son être social ou « identité psychosociale dite « externe », celle du sujet communicant, qui consiste en un ensemble de traits qui le définissent selon son âge, son sexe, son statut, sa place hiérarchique, sa légitimité de parole, ses qualités affectives… » ne peut prévaloir sur son « identité discursive, dite « interne », celle du sujet énonciateur, qui peut être décrite à l’aide de catégories locutives, de modes de prise de parole, de rôles énonciatifs et de mode d’intervention » (Charaudeau et Maingueneau, 2002, p. 300). Et dans sa prise de parole, LG évoque un ensemble de traits qui justifient qu’il n’est pas un voleur comme le prétend le régime au pouvoir qui l’accuse d’avoir braquer la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO). Il le dit en ces termes :
Ex 1 : Est-ce que vous entendez ça? Parce que braquer, c’est un mot brutal pour dire voler. Je ne suis pas un voleur. Et ceux qui ont fait la liste savent que je ne suis pas un voleur. Mais comme ils veulent qu’on se batte, on va se battre…Aujourd’hui, j’ai 80 ans. Et je me bats depuis que j’ai 18 ans. Et on ne m’a pas encore vaincu. Si je suis debout, c’est que je sais me battre.
Il construit ainsi une image de combattant; image appelée ethos. Cette notion est un « mot grec qui désigne l’image de soi que l’orateur construit dans son discours pour contribuer à l’efficacité de son dire, autrement dit pour exercer une influence sur son auditoire » (Doh, 2024, p. 84). Cette image de combattant se fonde sur son identité sociale. Et c’est dans celle-ci que se joue la légitimité qui est « importante parce que c’est elle qui donne à toute instance de parole une autorité de dire » (Charaudeau, Idem). Le sujet politique construit cette identité sociale dans son discours. Celle-ci « résulte à la fois des conditions de production qui contraignent le sujet, conditions qui sont inscrites dans la situation de communication et/ou dans le préconstruit discursif, et des stratégies que celui-ci met en œuvre de façon plus ou moins consciente » (Maingueneau et Charaudeau, idem). Tout ceci nous permet de soutenir que l’identité discursive en analyse du discours est la manière dont un individu ou un groupe se construit et se présente à travers son discours. Elle fait référence à la manière dont les sujets se construisent et se représentent dans le discours avec des stratégies ou procédés particuliers. Cela se manifeste dans les choix de mots, de tournures, de thèmes abordés et de styles d’expression. C’est ce que fait LG lorsqu’il soutient ceci :
Ex1 D2 : « Ici, en Côte d’Ivoire, parmi tous ceux qui font de la politique, moi Gbagbo, personne ne peut me traiter de voleur. Je considère que cela est une insulte à ma personne. C’est une insulte à ma famille. Mais ils veulent qu’on se batte. Mais qu’ils sachent qu’on se battra. »
En tenant de tels propos, l’orateur se présente comme un politique bien connu de la Côte d’Ivoire, non seulement, mais qui ne vole pas. Cela inclut la façon dont il se positionne par rapport à son identité sociale d’homme politique intègre, ainsi que la manière dont il exprime sa propre subjectivité et son point de vue : « C’est une insulte à ma famille. Mais ils veulent qu’on se batte. Mais qu’ils sachent qu’on se battra ». LG dans la construction de son identité discursive va plus loin, dans le même discours, en faisant une mise en garde de cette identité sociale bafouée. Pour ce fait, il fait l’historique de son origine dans cette mise en garde avec l’argument de la description :
Ex2 D 1 : Attention. Vous êtes en train d’aller trop loin. Trop, c’est trop. Trop, c’est trop. On m’appelle Gbagbo Laurent. Je ne sais pas s’ils sont au courant. Mon grand-père, Gbagbo Gomiti, est mort en se battant contre les Français qui rentraient dans Gagnoa. Mon père, Zegbe Koudou, a fait la guerre en Normandie contre les armées de Hitler. Il a été blessé de guerre. Et le prénom Laurent que je porte était le prénom de son commandant de compagnie dans la guerre contre les Allemands. Attention. Vous êtes en train d’aller trop loin. Attention. On peut se tromper, mais il ne faut pas aller trop loin?
Il se construit une identité de politique honnête et combatif en faisant la description de ce qu’il est socialement. Il ressort donc à ce niveau que l’identité discursive, en effet, n’est pas une donnée fixe mais plutôt une construction dynamique qui varie en fonction du contexte discursif et des intentions sociales. Cette construction de l’identité n’est pas statique car elle évolue en fonction des contextes et des situations de communication. Ainsi, dans le discours 1, le contexte discursif présenté par l’orateur est le suivant :
Ex3 D1 : « Chers amis, le thème que je veux aborder avec vous, c’est le thème de l’élection présidentielle dans la paix. Comment faire pour que notre élection présidentielle, prévue pour octobre 2025 se fasse dans la paix? »
On retrouve là, une identité d’homme politique pacifique. Il se demande ce qu’il faut faire pour une élection présidentielle apaisée. Pour un tel contexte, l’intention sociale manifeste est le fait que l’orateur veut « créer les conditions d’une élection apaisée, d’une élection démocratique, d’une élection sans violence. Mais pour que cela soit, il faut que tous les acteurs soient de bonne volonté » (Ex4 D1).
Des fois, le contexte discursif évolue en ce sens qu’une question particulière est à l’ordre du jour : La radiation de LG ainsi que certains acteurs majeurs de la vie politique ivoirienne de la liste électorale. Il le dit dans les termes ci-après :
Ex5 D2 : Mais aujourd’hui est un jour important, aujourd’hui est un jour important à cause de ce que la CEI a fait. Chers amis, on a publié une liste sur laquelle il n’y a pas le nom de Laurent Gbagbo. Est-ce que vous avez compris ça? On a publié une liste sur laquelle il n’y a pas Cheikh Tidjane Thiam, sur laquelle il n’y a pas Soro Guillaume, etc. Est-ce que vous avez compris ça? Que moi, Gbagbo Laurent, je ne serais pas digne d’être candidat à la présidence de la République parce que j’ai volé.
Ici on découvre que l’orateur met en jeu le fait qu’il ne « serai[t] pas digne d’être candidat à la présidence de la République parce qu’ (il a) volé ». De ce fait, l’analyse de la construction de l’identité discursive permet de comprendre comment les discours contribuent à la construction et à la négociation des identités individuelles et collectives. Elle permet à l’orateur de soigner son image pour mieux convaincre le public. C’est pourquoi LG, à travers cet argument pragmatique, s’indigne :
Ex6 D2 : Est-ce que vous entendez ça? Parce que braquer, c’est un mot brutal pour dire voler. Je ne suis pas un voleur. Et ceux qui ont fait la liste savent que je ne suis pas un voleur. Mais comme ils veulent qu’on se batte, on va se battre. Ici, en Côte d’Ivoire, parmi tous ceux qui font de la politique, moi Gbagbo, personne ne peut me traiter de voleur.
Autrement dit, le sujet parlant, pour construire discursivement son identité, doit mobiliser tous les outils linguistiques nécessaires et susceptibles de convaincre le public cible. Et en cela, l’argument pragmatique qui est le fait d’argumenter en faveur ou défaveur d’une cause, trouve sa place dans le discours de LG qui ajoute :
Ex7 D2 : Tu ne peux pas me trouver à Mama et puis vouloir me piétiner un Mama. Ça, ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Alors, tu me trouves en Côte d’Ivoire et tu veux me piétiner en Côte d’Ivoire, moi. Ça ne peut pas être comme ça.
De ce qui précède, on retient que l’identité discursive est un aspect important de l’analyse du discours car elle permet de saisir les enjeux d’une prise de parole liée au pouvoir, aux dynamiques sociales. Parce que c’est grâce au discours tenu que LG, devant ses partisans essaie de réhabiliter son identité sociale entachée par ses adversaires politiques. Dans son discours, suite à l’accusation portée contre lui et à son absence de la liste électorale, il construit une identité de politique intègre, combatif et pacifique au prisme de l’argument de la description et l’argument pragmatique. La question d’identité ou précisément cette construction de son identité discursive, comme dit un peu haut, inclut un positionnement ou une posture discursive. Analysons cette question de posture dans le discours politique de LG.
La posture discursive de LG
La posture est pour Alain Viala,
Au sens premier, […] la réalité du corps : une posture est une attitude, une façon de se tenir, de placer son corps, ses membres (se tenir debout, penché, raide, détendu, etc.). Mais ce sens initial est très immédiatement lié à la situation dans laquelle s’opère cette prise d’attitude… La posture engage l’image qu’une personne donne de soi. Affaire d’image, la posture peut donc se définir, conceptuellement, comme « une façon d’occuper une position » et d’ajuster son attitude à cette position… Mais aussi affaire de présentation de soi, par la vêture ou encore par les mots. Elle implique donc à la fois des éléments discursifs et des éléments non-discursifs… C’est en ce sens qu’elle offre un intérêt d’emploi dans les sciences humaines et sociales, notamment dans l’analyse des discours (1993, p. 216).
Nous comprenons que la posture est relative à une position que l’on prend, adopte un positionnement. Pour Coulibaly (2014, p. 3), « cette approche a été approfondie par Meizoz (2007) pour qui la posture est un fait auctorial composé de deux faces nécessairement liées : l’une, rhétorique, est de l’ordre du discours et, l’autre, contextuelle, relève de l’action sociale ». La face rhétorique qu’est la posture discursive signifie donc adopter une position à défendre à travers le discours. C’est un positionnement qui lui-même est « le fait qu’à travers tel mot, tel vocabulaire, de tel registre de langue, de telle tournures, de tel genre de discours, etc., un locuteur indique comment il se situe dans un espace conflictuel » (Maingueneau et Charaudeau, 2002, p. 453). S’agissant du registre de langue, LG en fait montre dans sa posture discursive, pour se positionner comme un politique proche de son peuple. En effet, les extraits suivants font preuve de l’utilisation du registre familier.
Ex8 D1 : « Donc, trêve de bavardages sur la digba dette qui existe bien. »
Ex9 D2 : « Et il dit, c’est Gbagbo Laurent qui a gagné. On dit, oh, mais ça, c’est l’ami de Gbagbo. Et qui dit ça? »
Ex10 D2 : À Abidjan, ici, on dit que c’est le premier couillon qui est couillon. Le deuxième couillon n’est pas couillon […] Il y en a qui dit une blabla. Il est trop vieux. Il n’a qu’à laisser. Mais entre Alassane Ouattara et moi qui est vieux… C’est des gaous! C’est dépassé! Et puis, ça veut dire quoi?
Dans Ex8 D1, nous avons le terme « digba » qui est un terme nouchi, qui signifie grosse ou grande. Au niveau de Ex9 D2, on note l’emploi abusif du ‘‘ça’’ qui est manifeste d’un registre de langue relâché. Enfin, au niveau de Ex10 D2, les mots « couillon » , « blabla », « gaous » sont du registre familier pour signifier ‘‘bête’’, ‘‘ne rien dire de bon’’ et ‘‘personne fort naïve’’. Par l’utilisation d’un tel registre de langue LG se positionne comme un politique proche de son peuple, qui parle le même langage, utilise le même niveau de langue. Il le dit lui-même, dans la suite en ces termes :
Ex11 D2 « Moi, je parle comme mon peuple. Je parle la langue de mon peuple. C’est pourquoi je suis moi et c’est pourquoi eux, qui ne parlent pas comme ça, qui sont eux. »
Il ressort donc que l’usage du nouchi n’est pas seulement du registre familier, mais une stratégie d’identification socio-culturelle pour LG qui s’identifie au peuple et sa culture.
Toujours à propos du positionnement qui est un élément clé de la posture discursive, Charaudeau (2002) estime qu’elle « correspond à la position qu’occupe un locuteur dans un champ de discussion, aux valeurs qu’il défend (consciemment ou inconsciemment) et qui caractérisent en retour son identité sociale et idéologique » (p. 453). Cet état de fait est manifeste dans le corpus à travers les exemples suivants consécutifs aux valeurs ou idéaux que défend l’orateur LG dans son discours.
Ex12 D2 : « Nous voulons un pays propre. Nous voulons un pays où les gens sont libres. Nous voulons un pays où les enfants vont à l’école ».
Ex13 D2 : « J’ai rêvé d’un pays où il y a la liberté. J’ai rêvé d’un pays où les gens n’ont pas faim. J’ai rêvé d’un pays où l’école est gratuite. J’ai rêvé d’un pays où chacun peut se soigner quand il est malade. Voilà, c’est mon rêve ».
À travers ces deux extraits, l’usage des anaphores « Nous voulons… » et « J’ai rêvé d’un pays où… », révèle que LG tient aux valeurs de la liberté, de l’éducation gratuite et de la santé pour tous. Ceci lui confère une posture d’un politique qui lutte contre la faim. Son idéal est d’avoir un pays où il fait bon vivre. C’est la raison pour laquelle, il énumère des conditions qu’il faut pour que l’élection présidentielle d’octobre 2025 se fasse dans la paix à travers le mode du raisonnement par explication qui est un procédé rhétorique de l’argumentation par logos, dans cet exemple.
Ex14 D1 : Si on veut que les élections se fassent dans la paix, la tranquillité et la sérénité, il faut qu’on arrête d’opprimer ceux qui professent un point de vue contraire à celui de ceux qui sont au pouvoir. Ça, c’est la première condition […] Donc c’est la deuxième condition. Il faut un organe neutre, indépendant, avec des hommes neutres et indépendants pour organiser les élections… Donc, troisièmement, il faut respecter ceux qui organisent les élections et ne pas les arrêter n’importe comment… Quatrièmement, il faut que les gens de la CEI eux-mêmes se rendent respectables. Cela veut dire que quand ils parlent, il faut qu’on sache qu’ils sont en train de parler comme des hommes qui sont au service de la Patrie et qui travaillent de façon juste pour que la nation s’en sorte.
La posture discursive est liée au discours. Ce qui revient à dire donc qu’elle met en jeu l’ethos qui est l’image de soi que l’orateur construit dans son discours. Cet ethos peut être discursif et prédiscursif comme le souligne Ruth Amossy :
C’est bien l’image que le locuteur construit délibérément ou non dans son discours qui constitue une composante de la force illocutoire. Nous sommes là sur le plan de l’ethos discursif…Cependant l’image élaborée par le locuteur s’appuie sur des éléments préexistants, comme l’idée que le public se fait du locuteur avant sa prise de parole, ou l’autorité que lui confère sa position ou son statut. Nous sommes là sur le plan de l’ethos préalable ou prédiscursif » (2014, p. 94).
Dans sa posture discursive, LG construit plusieurs types d’ethè dont ces quelques extraits sont des illustrations :
Ex15 D1 : J’essaie de recevoir les coups, mais j’essaie en donner. Mais j’essaie surtout quand il faut donner les coups. On ne donne pas les coups n’importe quand, ni n’importe comment. Ils veulent qu’on se batte, on va se battre. Je vais me battre pour mon honneur. Et je vais me battre pour la Côte d’Ivoire… Il y en a qui parle. Ils passent de plateau de télévision à plateau de télévision, et ils parlent. Et on laisse faire tout cela. Mais on ne peut pas laisser tout cela. C’est notre pays ici, la Côte d’Ivoire. On ne peut pas laisser les gens jouer à n’importe quoi.
Ex16 D2 : Donc, les jeunes qui étaient là, mes amis là, soyez prêts pour la bagarre! Parce qu’ils veulent qu’on se bagarre, on va se bagarrer! Parce qu’ils croient qu’on a peur de dire mais à un moment, il faudra qu’on envahisse toutes les rues d’Abidjan… Donc, je suis venu vous dire que celui qui est candidat pour un quatrième mandat, il n’est pas candidat. Il n’est pas candidat. Et lui, celui qui est candidat pour un quatrième mandat, il n’a qu’à savoir que nous ferons tout pour qu’il ne soit pas candidat.
Ex17 D2 : j’étais à Adjamé pour pleurer avec les Adjamois, pour pleurer avec eux parce qu’on venait de briser leur maison, de jeter à terre leur maison. Ça ne se fait pas. Et je suis allé leur dire que cela ne se fait pas. Et que quand nous serons au pouvoir, nous allons reconstruire le village d’Adjamé. C’est une question de bon sens. Après Adjamé, je suis ici, à Marcory, pour vous parler. Vous voyez, nous sommes au milieu des maisons d’habitation. Alors quand vous vous souvenez, les autres années, j’allais au stade Champroux. On ne nous a pas donné l’autorisation d’utiliser le stade Champroux. On ne nous a pas donné l’autorisation d’utiliser le Parc des Sports. Donc, nous nous rencontrons où nous pouvons, pour parler entre nous.
Ex18 D1 : Je voudrais dire que tous nos jeunes qui sont traînés devant les tribunaux comme des malpropres et qui, toutes les semaines, vont au tribunal, je les soutiens. Je leur donne mon appui parce qu’ils ne sont pas des voleurs, parce qu’ils ne sont pas des malhonnêtes, mais parce qu’ils sont des libres penseurs. Ils sont des gens qui parlent librement ce qu’ils ont pensé librement.
De ces quatre extraits, il ressort diverses figures de ce que Patrick Charaudeau appelle ethos politique. Cet ethos se classifie en ethos politique de crédibilité basé sur la raison et ethos politique d’identification basé sur l’affect ou l’émotion du politique. Dans les exemples Ex15 D1 et Ex16 D2, on découvre un LG fin stratège et combattant politique qui sait recevoir des coups, mais aussi sait en donner en politique. Ainsi, lorsque les jeunes lui demandent de donner un mot d’ordre, il répond : « Alors, les jeunes, vous criez, on veut un mot d’ordre, on veut un mot d’ordre. Ce n’est pas comme ça qu’on se bat. Voilà. Ce n’est pas comme ça qu’on se bat. » Cette image peut être celle d’un ethos de compétent qui se trouve dans la catégorie d’ethos de crédibilité. Le champ lexical utilisé, lié au combat, lui confère une posture d’homme engagé et adaptée à la situation marquée par le besoin d’un leader convaincu qui a un cap à tenir et qui est capable de conduire la communauté vers ce but clairement identifié : la reconquête du pouvoir d’Etat et la lutte contre le 4e mandat de l’actuel président de la Côte d’Ivoire. Quant aux deux derniers extraits (Ex17 D2 et Ex18 D1), on y voit un LG humaniste et solidaire des victimes de démolition des maisons et ceux qui sont persécutés par le régime au pouvoir. En homme politique qui priorise la relation politique-peuple, il apporte son soutien et sa solidarité à ceux qui ont vu leurs maisons démolir et aux jeunes qui sont traînés devant les tribunaux comme des malpropres. On voit la capacité de l’orateur à offrir à l’auditoire le profil qu’il attend de lui : un LG compétent, humaniste et solidaire au peuple. Pour conforter ses dires, il fait appel à son ethos préalable par le moyen du procédé rhétorique de communication : « On est ici en Côte d’Ivoire, on se connait. Il y en a qui parle. Ils passent de plateau de télévision à plateau de télévision, et ils parlent.» Cet ethos préalable constitue un substrat essentiel de sa posture discursive de combattant politique qui est défenseur des opprimés et des persécutés : « Aujourd’hui, j’ai 80 ans. Et je me bats depuis que j’ai 18 ans. Et on ne m’a pas encore vaincu. Si je suis debout, c’est que je sais me battre ». En effet, dans l’imaginaire collectif ivoirien, LG grâce à son histoire d’opposant historique au père de la nation, le président Felix Houphouët-Boigny et de président de la république pendant une période trouble de l’histoire politique du pays, est vu comme un politique combattif. Cette posture provient du désir de représenter un espoir de renouveau pour l’imaginaire collectif dont l’orateur a une parfaite connaissance. Comment la satirisation advient-elle?
La satirisation dans le corpus
La satirisation peut se définir comme le fait de faire la satire dans un discours. La satire, s’interroge François Provenzano (2016, p. 1),
est-elle un genre de discours clairement définissable? Cette définition fait-elle nécessairement intervenir le critère de la portée critique envers les institutions, les routines de pensée et les formes de discours les plus socialement répandues? Et que devient cette portée critique lorsque la satire est elle-même instituée en pratique discursive routinisée?
C’est donc dire que la satire pourrait être une pratique discursive. En ce sens, elle consiste à critiquer ou ridiculiser quelque chose ou quelqu’un à travers le discours. C’est un écrit à travers lequel l’auteur fait ouvertement une critique de façon virulente soit d’une époque, une morale, une politique, etc. Dans ce contexte, on y retrouve des procédés rhétoriques comme les figures de styles (hyperbole, oxymore, énumération, etc.), des types de raisonnement (raisonnement par l’absurde, par déduction, etc.), l’emploi de la tonalité satirique, etc. Le dernier procédé cité est manifeste dans cet extrait où LG critique le 4e mandat.
Ex19 D2 : Écoutez-moi bien. Ceux qui s’oublient là. Il faut qu’ils se souviennent que c’est eux qui sont inéligibles. En restant strictement sur la lecture de la Constitution. Elle dit qu’un citoyen ne peut faire que deux mandats. Tu veux faire ton quatrième mandat? Est-ce que c’est vrai ça? Ou bien est-ce que j’ai mal entendu? Ah ah!!! Trois ce n’est pas un peu trop là? Tu viens et le troisième mandat, tu dis que ton candidat est décédé. Amadou Gon Coulibaly. Donc vraiment, ça te fait pitié. Tu ne pouvais pas faire autrement. Aujourd’hui, Amadou Gon Coulibaly est encore décédé? Parce que c’était le prétexte pour le troisième mandat. Ah oui, j’avais laissé la candidature à un jeune, mais la mort me l’a arrachée. Comme si au RDR, il n’y avait pas d’autres candidats. Donc, faisons attention.
Le registre satirique, en effet, désigne un discours qui dénonce quelque chose ou quelqu’un en s’en moquant ; c’est la critique, souvent humoristique, d’un milieu, d’une décision dont on dénonce un aspect ridicule. Et dans l’extrait ci-dessus, l’orateur de manière sarcastique évoque la mort de feu Amadou Gon Coulibaly qui avait été pris comme argument pour justifier le 3e mandat de Alassane Ouattara, son principal adversaire « Comme si au RDR, il n’y avait pas d’autres candidats ». Il renforce cet humour en soutenant que « Quand tu viens me parler à moi, Gbagbo le fils de Koudou, pour dire que je ne peux pas être candidat là, il faut bien regarder ton slip, ton pantalon d’abord, avant de venir me parler » (Ex20 D2).
Il existe le rire satirique qui lui est agressif, moralisateur et surtout dénonce les tares de la société. Il s’exprime par l’usage de plusieurs procédés au nombre desquels l’on peut citer l’humour, l’exagération, l’ironie, etc. L’exemple ci-après illustre l’usage de l’ironie :
Ex21 D2 : On dit, si tu as été candidat et d’ailleurs lui-même, quand je faisais mon discours pour le racheter, je lui avais dit que c’était un mandat exceptionnel. Que je lui donnais. Ça va devenir quatre mandats? Je t’aide. On te donne un mandat exceptionnel pour que tu sortes un peu la tête de l’eau. Et c’est toi qui vas venir me dire que moi, qui t’ai donné la chance, je ne suis pas candidat. Mais c’est toi qui vas être mon candidat pour la quatrième fois. Est-ce que le trop n’est pas trop? Quand même!
En effet, en soutenant que « Mais c’est toi qui va être mon candidat pour la quatrième fois », LG s’oppose contre le quatrième mandat d’Alassane Ouattara en réalité. Il dit donc le contraire de ce qu’il pense qui est la définition exacte de l’ironie qui est un procédé rhétorique à travers lequel le locuteur exprime le contraire de ce qu’il veut faire entendre. L’objectif recherché dans la satire est de dénoncer les défauts dans un but, parfois, de provoquer le rire, mais aussi de faire réfléchir et de critiquer pour provoquer un changement.
Ex22 D2 : Regardez, notre camarade de Dosso Charles Rodel, un homme qui a participé à une manifestation contre la vie chère et la faim, il est encore en prison. Ça, ça veut dire quoi? Ça veut dire quoi? Est-ce que la vie n’est pas chère? Mais alors? Est-ce que quand on dit que la vie est chère, on a tué quelqu’un? La vie est chère, il dit que la vie est chère? Vous les prenez, vous les mettez en prison? Non, il faut sortir, il faut sortir de ce cauchemar.
Ex23 D1 : À l’heure actuelle, il y a 107 prisonniers d’opinion dans les prisons de Côte d’Ivoire. 107! Quant à mes jeunes gens avec qui je marche là, les Pickass, les koua. Eux, les convoquer là, c’est devenu une routine. Chaque matin, un policier se lève, il les convoque. Un matin, un juge se lève, il les convoque. Non! C’est pas ce pays-là dont moi j’ai rêvé.
Ex24 D2 : Ah, ici, aujourd’hui, pendant que je vous parle, Pickass est devant le tribunal. Koua Justin est devant le tribunal. Gala Kole Bi est en prison. Effectivement, je peux en citer beaucoup. Mais dès que tu exprimes une idée qui est contraire à celle des détenteurs provisoires du pouvoir, il y a problème. Le Procureur fait un discours pour demander une prison à vie ou bien 20 ans. Nous tous, nous sommes condamnés à 20 ans. Ici, en Côte d’Ivoire, c’est le pays où il y a plus de 20 ans. On est condamné à 20 ans et on se promène. Non, ça, ce n’est pas la démocratie.
Ici, l’orateur dénonce la cherté de la vie, les prisonniers politiques et l’atteinte à la liberté d’expression, d’opinion sous le régime Ouattara à l’effet d’appeler à une prise de conscience générale pour un changement de régime qui serait à l’origine des maux de la population. Et en la matière, il se présente comme le candidat idéal. On note également pour dénoncer l’emploi des questions rhétoriques. Par question rhétorique appelée aussi question oratoire, en politique, comprenons un « habile moyen par lequel l’orateur accroche son auditoire en posant … une question dont il connait la réponse et se présente comme une réalité que l’adversaire (ou l’auditoire) ne peut nier » (Traoré, p. 169-170). C’est donc dire que les questions rhétoriques sont de fausses questions, en réalité, n’attendant pas de réponse : l’auteur feint de ne pas savoir pour faire comprendre sa pensée et donner à la réponse un caractère d’évidence. Ces types de questions sont manifestes dans le corpus. Mais nous ne prenons que ces deux extraits pour illustrer nos propos :
Ex25 D2 : Mais qui t’a envoyé? Qui t’a envoyé? Qui t’a demandé de l’aide? Vous voyez? Et c’est la même chose qu’ils sont en train de recommencer. Est-ce qu’ils peuvent recommencer ça?… Sinon, on a peur de quoi? Qu’est-ce qu’on n’a pas encore vu? Qu’est-ce qu’on n’a pas encore vu?
Ex26 D1 : Et ne pas se mettre dans un coin du cerveau, la fraude. Moi je vois tous les candidats, ils peuvent ne pas être élus et vivre tranquillement. Pourquoi pas? Pourquoi veulent-ils faire de leur élection une condition sine qua non de leur existence? Pourquoi?
Par ce procédé de questions oratoires, LG fustige l’intrusion étrangère dans la vie politique ivoirienne mais aussi les partisans de la fraude puis les politiques-candidats qui conditionnent leur existence que par leurs élections au pouvoir d’Etat. Enfin, comme procédé rhétorique de satirisation, on peut citer la caricature qui est une exagération, grossissement d’un trait pour mieux le dénoncer. C’est ce que fait LG, à propos de la dette que contracte le régime au pouvoir, lorsqu’il soutient : « Donc, trêve de bavardages sur la digba dette qui existe bien. Mais aujourd’hui, je n’en parlerai pas… Vous voyez, l’autre jour, à Adjamé, j’ai utilisé une expression, j’ai dit qu’il y avait une « digba dette » » (Ex27 D1).
Ainsi, la satirisation dans le discours politique permet à l’orateur de provoquer pour faire réagir et réfléchir, susciter le débat, faire avancer les choses. Il veut convaincre en faisant appel à la raison et persuader par l’appel aux sentiments de son auditoire. Il s’agit, pour lui de donner une leçon de morale et de contribuer à corriger les travers critiqués. Ce qui fait de la satire une composante du texte argumentatif. Et vu que le « discours politique […] peut être considéré comme un modèle abouti du texte argumentatif » (Traoré, 2012, p. 167), la satire y trouve sa place. Et cette réalité, LG l’a bien saisie.
Conclusion
Cette contribution sur le discours politique en période pré-électorale a mis en exergue les procédés rhétoriques fréquemment utilisés lorsqu’il s’agit de construire une identité discursive, faire connaitre sa posture discursive pour satiriser. Dans ce contexte, l’accent est mis sur les procédés satiriques que sont l’argument de description, l’argument pragmatique, la communication, la répétition, les questions rhétoriques, le registre satirique, la caricature, etc. L’orateur instrumentalise le registre satirique pour construire une identité politique et se repositionner dans le débat politique comme un leader combattant mais aussi comme homme du peuple face à un adversaire technocrate ou jugé distant. In fine, l’analyse interroge sur le rôle de la satire dans les démocraties africaines contemporaines. Selon nous, c’est un outil de critique et de polarisation. Les procédés de satirisation dévoilent les stratégies de LG pour réhabiliter son image sociale entachée afin de se présenter comme le candidat idéal pour la future présidentielle, bien que n’étant pas sur la liste électorale. Raison pour laquelle, dans la satire du pouvoir en place qu’il construit, il finit par lancer un appel à ses partisans et au peuple ivoirien tout entier. Il les invite à se mobiliser pour refuser le 4ème mandat et revenir, selon lui, à une Côte d’Ivoire réconciliée et inclusive.
Références bibliographiques
Amossy, Ruth. 2014. L’argumentation dans le discours. Paris : Colin.
Charaudeau, Patrick, Maingueneau, Dominique. 2002. Dictionnaire d’analyse du discours. Paris : Éditions du Seuil.
Charaudeau, Patrick. 2005. Le discours politique et stratégies. Les masques du pouvoir. Paris : Vuibert.
Coulibaly, Nanourougo. 2014. Posture discursive et victoire électorale : le cas d’Ibrahim Boubacar Keïta au Mali. Argumentation et Analyse du Discours. https://doi.org/10.4000/aad.1765
Doh, Deuhapeu Yves. 2024. Discours politique et stratégies. Du pouvoir des stratégies aux stratégies du pouvoir. Ouagadougou : Mercury.
François, Provenzano. 2016. Satire, critique sociale et genre de discours. Culture, le Magazine Culturel de l’Université de Liège. https://hdl.handle.net/2268/239860
Maingueneau, Dominique. 1996. Les termes clés de l’analyse du discours. Paris : Seuil.
Perelman, Chaïm et Olbrechts-Tyteca, Lucie. 2008. Traité de l’argumentation, Tome 1. Bruxelles : Éditions de l’Université de Bruxelles Eds.
Traoré, Sidiki. 2012. Bien parler, bien écrire. Techniques de communication et rhétorique. Ouagadougou : Harmattan Burkina.
Viala, Alain. 1993. Posture. Dans Anthony Glinoer et Denis Saint-Amand (dir.), Le lexique socius. https://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/69-posture
Viktorovitch, Clément. 2021. Le pouvoir rhétorique. Apprendre à convaincre et à décrypter les discours. Paris : Seuil.
Yaméogo, Sidbéwendé Germain. 2022. Approche rhétorique-stylistique des discours de campagne de Roch Marc Christian KABORÉ et d’Eddie KOMBOÏGO à l’élection présidentielle de 2020 au Burkina Faso. Thèse de Doctorat. Université Norbert Zongo, Burkina Faso.