Discours de campagne politique et relations entre les instances

NOUSSAÏBA ADAMOU

 

Introduction

La politique, en tant que gestion des affaires publiques, contribue à la construction de la société. Cette gestion, parce qu’elle met en scène les humains, passe nécessairement par le langage, d’où le discours politique. D’après Patrick Charaudeau, le discours politique est défini dans une problématique d’influence sociale (Charaudeau, 2008) avec les principes d’altérité et d’influence, car pour lui,

Tout acte de langage émane d’un sujet qui ne peut se définir que dans sa relation à l’autre, selon un principe d’altérité (sans l’existence de l’autre, point de conscience de soi); dans cette relation à l’autre, il n’a de cesse de ramener cet autre à lui, selon un principe d’influence, pour que cet autre pense, dise ou fasse selon son intention (Charaudeau, 2005, p. 29).

Pour ce faire, l’exercice et/ou la conquête du pouvoir voulu(e)s par le sujet politique (instance politique) est motivé(e)/sont motivés par le vivre-ensemble avec les citoyen·ne·s (instance citoyenne). C’est la raison pour laquelle cette dernière est toujours prise en compte dans ses différentes productions. L’instance politique produit un discours pour séduire et manipuler l’instance citoyenne : elle veut gagner sa confiance, elle veut qu’elle adhère à son point de vue à travers le vote. La campagne électorale devient ainsi un moment de mise en scène discursive pour agir sur l’électorat et l’influencer de quelle que façon que ce soit, ce qui nous amène à nous interroger sur les types de relation qui peuvent s’opérer entre les deux instances, mais aussi sur les types de discours qui peuvent découler de cette relation. Pour y répondre, nous allons analyser quelques discours de campagne présidentielle camerounais[1] en faisant appel au champ théorique de l’analyse du discours, lequel prend en compte les rapports entre les candidat·e·s et les discours. Dans cette logique, nous convoquerons particulièrement la pragmatique considérée comme « la relation des signes aux usagers des signes, des phrases aux locuteurs » (Armengaud, 1985, p. 6). Pour ce faire, les analyses auront davantage un fondement argumentatif et énonciatif dans le but de décrypter cette mise en scène discursive des candidats à l’élection présidentielle.

Trois types de relation pour un enjeu dialogique

Le discours de campagne camerounais est de type dialogique, ce qui donne une grande marge de manœuvre à l’instance politique pour manipuler l’instance citoyenne. À travers cette manipulation, le candidat ou la candidate aspirant au pouvoir se construit une identité et construit celle de l’autre. Tout est mis en œuvre pour agir sur l’électorat comme le remarque Jacques Gerstlé dans les propos suivants :

La communication politique est utilisée pour interagir selon les modalités variables telles que, entre autres, persuader, convaincre, séduire, informer, commander, négocier, inviter à. Ce n’est pas le contenu du message ni la structure d’un système de communication qui sont en cause mais bien la forme de la relation sociale qui s’établit à l’occasion de la communication (Gerstlé, 2008, p. 20).

En effet, la parole politique consolide la relation entre les partenaires de l’échange. Cette relation est davantage perceptible dans les formules d’adresse qui ouvrent tout discours de campagne. Il s’agit d’une interpellation qui a pour but d’attirer la sympathie et créer, selon le cas, une relation de familiarité, une relation symbolique et une relation politique.

La relation familière

C’est une relation de proximité, de rapprochement entre les candidat·e·s et leur électorat. Elle est perceptible dans les formules d’adresse, notamment à travers l’apostrophe et les formules de sympathie. En effet, l’interpellation de l’auditoire se fait par les désignants sociaux[2], généralement accompagnés du terme affectif « chers » :

Mesdames, Messieurs, Mes chers compatriotes… (RDPC-2004-A)

Camerounaises, Camerounais, Chers Compatriotes, Électeurs, Électrices. (UDC-2011-A)

Mes très Chers Compatriotes… (UDC-2011-B).

Dans l’extrait ci-dessus, l’emploi de l’adjectif qualificatif « cher » laisse transparaître une familiarité voulue par le candidat qui a le souci de se rapprocher de son auditoire afin que celui-ci s’identifie à lui et se sente proche de lui.  Ce terme a une fonction affective dans la mesure où il détermine l’estime, le sentiment d’affection qui lie les deux instances et que le candidat voudrait exprimer pour toucher son auditoire. Il se crée ainsi un contact familier, une relation d’affinité morale entre les instances qui s’observe aussi à travers la sympathie qui se dégage des propos des candidats.

La sympathie dans le discours de campagne camerounais permet aux candidats d’être dans la peau de l’électorat puisqu’ils se montrent agréables et laissent transparaître un sentiment chaleureux. En voici une illustration :

Le sens de l’hospitalité légendaire des hommes et des femmes de la province du Nord n’était plus à démontrer. Et, vous connaissant bien, je m’attendais à un bon accueil de votre part. Mais aujourd’hui, vous avez encore réussi à me surprendre, agréablement! […] Votre accueil si chaleureux me va droit au cœur. J’aime la région de Garoua et je m’y sens bien (RDPC-1992-B).

Le 1er mars 1992, vous avez été nombreux à apporter vos suffrages aux listes de l’UNDP pour un véritable changement au Cameroun. J’ai eu l’occasion en son temps de vous marquer ma gratitude  (UNDP-1992-A).

C’est pour moi un immense plaisir de me retrouver parmi vous […] Il est bon de se sentir entouré de fidèles amis […] Il est bon d’avoir en face de soi des gens courageux, entreprenants dont le travail acharné contribue pour une bonne part au développement de notre pays […] C’est pourquoi, je vous le dis, je me sens bien à Monatélé  (RDPC-2004-B).

Par votre bulletin de vote, vous prendrez une décision capitale. Il ne fait plus de doute aujourd’hui que vous choisirez de revenir à la République (UDC-2011-A)         .

La disposition à exprimer la sympathie à l’auditoire s’observe dans ces extraits à deux niveaux. D’abord, le candidat se montre sympathique envers l’auditoire en inscrivant sa subjectivité dans ses énoncés. Il a ainsi recours aux termes évaluatifs et affectifs de nature axiologique pour étaler ses émotions et ses sentiments. C’est le recours au pathos pour séduire l’électorat. Non seulement le candidat dit qu’il est heureux (Je suis très heureux), mais il dit également avoir du plaisir (Quel plaisir pour moi; C’est pour moi un immense plaisir) parce qu’il se sent bien dans la région qui l’accueille (je m’y sens bien! je me sens bien à Monatélé/J’aime la région de Garoua). L’emploi des adverbes d’intensité « très, bien, agréablement », de l’exclamation « quel! », des marques de la première personne du singulier « je, me, moi » et du vocabulaire affectif traduisent cette volonté des candidats à sympathiser avec l’auditoire. En fait, la sympathie fait partie des armes d’influence dans la mesure où, comme l’affirme Robert Cialdini, « nous accédons plus volontiers aux requêtes de personnes qui nous sont connues et sympathiques » (Cialdini, 2004, p. 235).

Ensuite, les formules de sympathie participent de la description de l’auditoire. Pour le séduire, pour lui être sympathiques, les candidats projettent dans leur discours une image méliorative de l’électorat. Là encore, le recours au vocabulaire évaluatif est indispensable « enthousiastes, chaleureux, fidèles amis, entreprenants, courageux, travail acharné… ». La mention du pronom personnel de la deuxième personne du pluriel et de ses substituts « vous, votre, vos » désigne clairement l’auditoire. En effet, cette description méliorative de l’auditoire révèle l’appréciation que le candidat a de lui, ce qui pourra le pousser à se sentir flatté, car il lui prouve son estime. Aussi cette présentation prend-elle l’allure des compliments qui sont des paroles aimables proclamant les qualités et les mérites de l’électorat. Ainsi, dirons-nous avec Robert Cialdini,

l’idée que quelqu’un nous apprécie peut, par le sentiment de sympathie qu’elle suscite, être un procédé de persuasion diaboliquement efficace. C’est pourquoi nous entendons souvent ceux qui veulent obtenir quelque chose de nous nous dire des choses flatteuses ou proclamer leurs affinités avec nous (Cialdini, 2004, p. 245).

Les relations symbolique et politique

Nous parlons ici de « relation symbolique » pour renvoyer au sentiment d’appartenance à une même entité par des valeurs communément partagées. Cette relation fait partie de la classification proposée par Françoise Rigat qui l’associe à la question d’identité. Pour elle, la relation symbolique est « actualisée par les désignants sociaux [qui] construisent un sentiment d’appartenance de l’électeur à un espace socio-politique identitaire, à un niveau micro et macro-politique » (Rigat, 2010, en ligne). Cette relation crée un effet de communauté (homonoia en rhétorique) qui consiste, pour le candidat ou la candidate, à intégrer l’auditoire dans le macro-espace de la patrie, de la nation camerounaise. De ce fait, le candidat a recours aux désignants sociaux qui traduisent cet « effet de communauté ». Il s’agit des termes comme « Compatriotes », « Camerounaises, Camerounais », « Citoyennes, Citoyens » qui mettent en avant son identité patriotique et citoyenne. Il se positionne donc comme l’un des leurs, avec qui il partage les mêmes valeurs, les mêmes aspirations sans pour autant décliner directement son identité politique.

La relation politique, quant à elle, situe le candidat sur la scène politique. Il se positionne comme celui qui est à la conquête du pouvoir et se présente devant l’auditoire pour lui demander son soutien. Il l’appelle à adhérer à son projet de société en portant le choix sur lui à travers ses voix. Les formules d’adresse : « Électeurs, Électrices » (UDC), « Camarades », « Sympathisants » (RDPC) sont celles qui traduisent cette relation entre les deux instances. L’un aspire au pouvoir en tant que candidat, l’autre a le pouvoir de le lui confier ou pas en tant qu’électeur.

Tout compte fait, négocier la conquête du pouvoir avec l’instance citoyenne permet d’établir des relations entre les interlocuteurs. À travers son exorde, c’est-à-dire dès sa prise de parole, le candidat débute son entreprise de persuasion par la captation de l’électorat à travers les formules d’adresse. Le type d’interpellation choisie et le sentiment qui l’anime au moment de l’échange déterminent ainsi un rapport de familiarité, symbolique ou politique. Toutefois, le type de discours produit contribue aussi à séduire, ce qui favorise l’interdépendance entre les forces en présence.

Séduire à travers une diversité de discours

Pour négocier la conquête du pouvoir, le candidat à l’élection présidentielle est amené à produire des discours divers et variés en vue de séduire l’électorat. En fonction de la légitimité qui lui est reconnue et du positionnement politique qu’il vise, il prend la parole pour exercer une influence, d’où la position de pouvoir qu’il occupe. Pour ce faire, le discours-bilan, la parole de promesse et le discours de coopération sont entre autres les types de discours qui visent à séduire en vue de faire adhérer l’auditoire camerounais à leur projet.

Le discours-bilan

Comme son nom l’indique, le discours-bilan est celui qui fait un inventaire de ce qui a été accompli durant une certaine période. Jacques Gerstlé (2008, p. 23) pense qu’il est une routine de la vie politique où le Chef de l’État dresse un tableau national. En situation de campagne présidentielle, ce discours est tenu par le candidat sortant du fait de sa fonction de Chef d’État. De ce fait, son statut de candidat et celui de Président de la République se confondent dans la mesure où il se sert de cet atout pour mieux manipuler l’opinion. Pour le candidat du RDPC, le discours-bilan joue à son avantage, car c’est l’occasion pour lui de démontrer à l’auditoire qu’il est crédible et sincère. C’est donc un tableau positif des propositions qui avaient été faites et qui se trouvent, au moment de la campagne, réalisées. Ce bilan permet aussi de décrire la transformation positive de la société qui se trouve dans une situation améliorée.

Dans les discours de campagne du RDPC, le discours-bilan a toujours sa place. Pour donner une image d’un acteur politique qui respecte ses engagements, le candidat, avant de proposer de nouvelles actions à l’auditoire, passe par le bilan de ses réalisations. Dans cette optique, il dresse un bilan positif de l’exécution des projets qui s’est étalée sur une période de sept années, la durée d’un mandat présidentiel au Cameroun. Voici un exemple de discours-bilan à l’élection présidentielle de 2004 :

Revenons maintenant, si vous le voulez bien, à ce que nous avons fait et à ce que nous allons faire. Au cours des dernières années, nous avons, ainsi que je vous le disais, remis de l’ordre dans la maison Cameroun. Aujourd’hui, la démocratie fonctionne, l’économie progresse, le projet social est en marche, la paix et la stabilité sont assurées. Dans ce travail de redressement, l’Extrême-Nord n’a pas été oublié, car je n’ai jamais perdu de vue les engagements que j’avais pris devant vous à Maroua en 1997. […] Il y a sept ans, le taux de scolarisation dans la province était de 37 %, il est probablement aujourd’hui supérieur à 64 %. […] Il n’est pas exagéré de dire qu’en sept ans, le visage scolaire de l’Extrême-Nord a radicalement changé. […] Le taux de couverture sanitaire est passé de 77 % en 1997 à 94 % actuellement (RDPC-2004-A).

L’emploi des temps du passé, l’énumération et les indicateurs temporels sont quelques procédés qui permettent de traduire les œuvres du parti au pouvoir. En partant de la situation du pays, notamment de la région de l’Extrême-Nord en 1997, il fait une comparaison pour décrire la situation en 2004 afin d’observer les changements positifs. Dès lors, son tableau de concrétisation s’intéresse au taux de scolarisation dont le pourcentage a une nette augmentation, ainsi que l’accès et la qualité de l’enseignement, l’amélioration de la situation sanitaire, la promotion de la femme, la question de l’emploi avec la mise en place des structures de lutte contre le chômage.

Le discours-bilan est aussi l’occasion pour le candidat de se montrer satisfait du travail accompli pour laisser projeter une image d’un homme politique compétent et crédible. Cette satisfaction peut se lire dans cette appréciation qu’il fait de son bilan : « Malgré tout, sur ces différents plans, évolution démocratique, progrès économique et social, je crois qu’au total le bilan est largement positif » (RDPC-2004-B).

À travers le discours-bilan, le leader du RDPC se montre différent de ses adversaires. Dans ses propos, il projette l’image d’un homme de parole qui tient toujours ses engagements. À cet effet, il met en parallèle ce qu’il prend comme engagement et ce qu’il réalise comme action pour démontrer qu’il fait ce qu’il dit. Illustrons cette image à travers les énoncés ci-dessous :

Nous, nous tenons ce que nous promettons!

Nous l’avons dit, nous l’avons fait.

Nous le disons et nous le ferons!

Mais nous, nous ne promettons que ce que nous sommes sûrs de tenir (RDPC-1992-C).

Dans cet extrait, la correspondance entre le dire et le faire consiste à influencer l’auditoire sur le choix de son prochain Président de la République. Cette manipulation s’appuie sur les propositions des candidats et leur capacité à les mettre en application. Pour Paul Biya, sa compétence est visible à travers le bilan positif qui est présenté, toute chose qui lui permet de faire facilement des promesses.

La parole de promesse

D’après Patrick Charaudeau (2007, en ligne), « La parole de promesse (et son pendant l’avertissement) doit définir une idéalité sociale, porteuse d’un certain système de valeurs et les moyens d’y parvenir ». Elle consiste à projeter une image de conviction du candidat et à toucher le public par ce qu’on lui promet. Dès lors, l’auditoire pourra s’identifier à ces idées considérées comme une source d’espoir à laquelle il se rattache et y croit fermement. Cette parole détermine aussi la légitimité du candidat qui a le pouvoir et les moyens d’honorer les promesses formulées. C’est en tant que Président de la République qu’il pourra les réaliser et pour cela, l’électorat devra faire son choix. Le discours de promesse peut être mis en scène par l’acte de promettre ou par d’autres actes qui expriment un serment, une parole d’honneur.

Fondée sur une idéalité sociale, la parole de promesse oriente les actions vers l’avenir. L’utilisation du futur est la caractéristique première de ce discours. Pendant la campagne électorale, le candidat peut se servir des souhaits et des attentes du peuple pour exercer une influence sur lui et ainsi le manipuler par l’énoncé d’une promesse découlant de ces souhaits. Par exemple, en faisant la promesse d’ouvrir une université à l’Extrême-Nord du pays, le candidat du RDPC a pris en compte les souhaits des habitant·e·s de cette région :

J’ai noté également parmi les souhaits que le Délégué du Gouvernement a exprimés ce problème de l’université est revenu – et ce n’est pas la première fois. J’ai pris bonne note et compte tenu de nos bonnes relations et de la complicité qui existe entre l’Extrême-Nord et moi, je crois qu’il m’est très difficile de vous refuser quelque chose. Alors, nous allons mettre à l’étude ce projet et je pense que l’Extrême-Nord aura son Université (RDPC-2004-A).

En outre, le candidat peut déclarer son intention de réaliser une mesure quelconque, notamment par l’emploi des expansions nominales et du futur. Il est question pour les candidats de donner des propriétés aux actions de leurs adversaires par une qualification péjorative ou à leurs propres actions par une qualification méliorative. Dans le discours de campagne, l’énonciation d’une parole de promesse est associée à une description pour identifier les caractéristiques du projet social que le candidat veut réaliser. Dans l’extrait suivant, le candidat du SDF envisage de construire une économie au service de tou·te·s. Dans ce discours de promesse, il décrit cette vision économique par le recours à la description :

Sous mon mandat, le gouvernement ne ménagera aucun effort dans la prise de décisions adéquates pour rendre plus compétitives notre économie qui devra tenir compte de l’environnement économique mondial. Nous mettrons en place une politique appropriée de relance de l’économie qui nous permettra de transformer nos avantages comparatifs en avantages compétitifs. Le secteur financier sera reformé afin de sortir d’une économie au service de la finance à un secteur financier au service de l’économie. D’importantes mesures sociales fortes et volontaristes seront prises pour éviter les pertes d’emplois et protéger les couches vulnérables (SDF-2011-A).

Cet extrait est marqué par l’emploi de l’adjectif qualificatif et des compléments de noms. Ces procédés contribuent à caractériser les actions du candidat pour qu’elles aient une connotation méliorative, susceptible de séduire l’électorat et éveiller chez lui un intérêt. Le candidat lui promet un projet idéal qui prône des valeurs de progrès, de bien-être, de production de la richesse, de sécurité économique. À travers ce discours de promesse qui révèle les propriétés positives des propositions, John Fru Ndi place l’auditoire dans un univers idéal où il espère et croit en ces idées, il espère ainsi faciliter son adhésion. De plus, l’emploi du futur met en scène les promesses des candidats. Pour ce faire, le discours est produit sur des propositions dont les actions sont orientées vers l’avenir. Là aussi, le candidat démontre son intention de construire une société idéale, mais réaliste et réalisable afin que l’auditoire puisse s’identifier.

Ainsi, le « faire croire » et le « faire penser » caractérisent le discours de promesse qui vise à toucher l’auditoire par des idées qui lui sont présentées. Le candidat peut se servir de ses attentes et de ses souhaits pour s’engager à les réaliser; une réalisation qui ne pourra se faire qu’avec le soutien et l’adhésion de l’auditoire à travers le vote dudit candidat. La promesse se fait alors sur la base d’un contrat qu’on pourrait gloser par « votez-moi et je vous promets de réaliser cette société idéale ».

Le discours de coopération

La coopération est un principe qui s’inscrit dans la communication politique. D’après la conception de Jacques Gerstlé, elle est « une discussion orientée par le souci d’intercompréhension. Ainsi, la délibération est-elle l’examen collectif en vue d’une décision » (Gerstlé, 2008, p. 20). Autrement dit, le discours de coopération favorise un échange basé sur le partage des valeurs et des intérêts, mais aussi sur la collaboration des partenaires. Dans le discours de campagne présidentielle, le discours de coopération établit une relation entre le sujet politique et l’auditoire.

En fait, la coopération entre l’instance politique et l’instance citoyenne s’opère dans un rapport de réciprocité où la première instance invite la seconde à collaborer, à s’associer dans la réalisation du projet qu’elle lui propose. De ce fait, l’emploi des termes tels que le pronom personnel « nous », l’adverbe « ensemble » ou encore le groupe verbal « je compte sur vous » expriment cette coopération et la collaboration avec l’instance citoyenne. Il est important de relever que le « nous » de coopération se réfère à « je tu et/ou il », selon Catherine Kerbrat-Orecchioni (1980, p. 41). « Je » étant le sujet locuteur, c’est-dire le candidat, « tu » étant l’électorat et « il » l’ensemble du peuple camerounais avec ses différentes entités.

Dans le discours de campagne présidentielle, le candidat du RDPC est celui qui a davantage recours à ce type de discours. Après la formulation des propositions, il sollicite l’appui de ses compatriotes pour l’aider à les accomplir. Il demande leur concours pour leur montrer qu’ils croient en eux ou elles, ce qui lui permet de construire une image de l’auditoire caractérisée par le courage, la compétence et la responsabilité. Le discours de coopération est en effet une stratégie permettant au candidat de placer l’instance citoyenne face à ses responsabilités. Devant les enjeux qui en découlent, il est probable que cette dernière accepte d’accompagner le candidat dans l’accomplissement de ses projets. L’électorat se voit dès lors pris en considération parce qu’il va participer à la construction de la société.

Ces engagements que je viens de vous proposer sont réalisables, mais ils ne seront réalisés que grâce à votre concours à tous. Je sollicite vos suffrages […] Ensemble poursuivons notre route… (RDPC-1997-A).

C’est ensemble, vous et moi, […] que nous parviendrons à atteindre l’objectif […]. Ensemble, nous traduisions les « Grandes Réalisations » en « Grandes Réussites »! (RDPC-2011-A).

La coopération consiste à mutualiser les efforts pour atteindre les objectifs fixés. Le recours à l’adverbe « ensemble » démontre que c’est un projet qui doit se faire en commun avec l’instance citoyenne. Par ailleurs, le discours de coopération peut amener le candidat à s’abandonner à ses concitoyen·ne·s. Cet abandon se manifeste dans sa production par l’énoncé « je compte sur vous » qui donne une position haute à l’électorat. En fait, le candidat fait croire à l’instance citoyenne que c’est à lui que revient la charge d’accomplir les projets, de rendre concrètes les propositions. Cela laisse croire que le candidat n’a aucun pouvoir, il demande de l’aide à l’auditoire sans lequel l’exécution des projets ne pourra se faire. En effet, ce discours permet de prouver à l’électorat qu’il a sa place dans l’édification de son pays.

Ainsi, le discours de coopération permet au candidat de montrer la considération qu’il a pour l’instance citoyenne. Il coopère avec lui afin qu’ils puissent partager les mêmes valeurs, les mêmes combats, les mêmes réussites. C’est une stratégie de négociation dans la mesure où le sujet politique met l’instance citoyenne devant ses responsabilités.

Conclusion

La campagne présidentielle au Cameroun est un moment d’échange où s’établissent des relations entre les instances politique et citoyenne. Fondé sur l’influence et la manipulation, ce genre discursif se veut persuasif, car il cherche à séduire l’électorat afin que celui-ci fasse son choix face à une multitude d’offres politiques. Pour ce faire, dans l’exorde de ses productions, le candidat commence par captiver son auditoire, il attire son attention à travers la sympathie, la reconnaissance et la proximité qui se dégagent des procédés d’interpellation. Il s’opère ainsi des relations familière, symbolique et politique qui laissent transparaître une atmosphère de confiance et de sérénité entre les interlocuteurs. Qui plus est, la position de pouvoir qu’occupe le candidat, ajoutée à la légitimité qui lui est reconnue, lui permet de produire une diversité de discours.  Ainsi, la parole de promesse, le discours-bilan et le discours de coopération favorisent la consolidation des rapports et permettent de tisser des liens qui reposent sur la communion, l’interdépendance et la confiance. Il est à noter que cette diversité de discours participe à la négociation pour la conquête du pouvoir. Les candidats y ont recours pour exercer une influence sur l’instance citoyenne, dont la finalité est l’adhésion à leurs propositions, adhésion qui se concrétise par le vote. C’est la raison pour laquelle le discours de campagne présidentielle est produit dans le seul but d’amener l’auditoire à faire le choix du candidat locuteur.

Références

Armengaud, Françoise. 1985. La Pragmatique. Paris : PUF.

Charaudeau, Patrick. 2005. Le Discours politique. Les masques du pouvoir. Paris : Vuibert.

Charaudeau, Patrick. 2007. De l’argumentation entre les visées d’influence de la situation de communication. Consulté le 7 juin 2011 sur le site de Patrick Charaudeau — Livres, articles, publications à l’adresse : http://www.patrick-charaudeau.com/De-l-argumentation-entre-les.html.

Charaudeau, Patrick. 2008. L’argumentation dans une problématique de l’influence. Revue Argumentation et Analyse du Discours (AAD), 1. En ligne (http://aad.revues.org).  Consulté le 7 juin 2011 sur le site de Patrick Charaudeau – Livres, articles, publications à l’adresse : http://www.patrick-charaudeau.com/L-argumentation-dans-une.htm

Cialdini, Robert. 2004. Influence et manipulation. L’art de la persuasion. Paris : First-Grund.

Gerstlé, Jacques. 2008. La Communication politique, 2e édition. Paris : Armand-Colin.

Kerbrat-Orecchioni, Catherine. 1980. L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage. Paris : Armand Colin.

Rigat, Françoise. 2010. « Mes chers compatriotes » : stratégies discursives de l’interpellation des électeurs dans les professions de foi. CORELA — Numéros thématiques | L’interpellation. [En ligne] Publié en ligne le 24 novembre 2010, consulté le 6/05/2011.
http://corela.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=783

Corpus

RDPC-1992-B : Discours de campagne à Garoua en 1992

RDPC-1992-C : Discours de campagne à Monatélé en 1992

RDPC-1997-A : Discours de campagne à Maroua en 1997

RDPC-2004-A : Discours de campagne à Maroua en 2004

RDPC-2004-B : Discours de campagne à Monatélé en 2004

RDPC-2011-A : Discours de campagne à Maroua en 2011

SDF-2011-A : Manifeste du parti en 2011

UDC-2011-A : Profession de foi en 2011

UDC-2011-B : Lettre du candidat en 2011

UNDP-1992-A : Profession de foi du candidat en 1992



  1. Il s’agit des discours du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), du Social Democratic Front (SDF), de l’Union Démocratique du Cameroun (UDC) et de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) produits aux élections présidentielles de 1992, 1997, 2004 et 2011.
  2. Terme emprunté à Françoise Rigat (2010).

Pour citer cet article

Noussaïba, Adamou. 2021. Discours de campagne politique et relations entre les instances. JEYNITAARE. Revue panafricaine de linguistique pour le développement, 1(1), en ligne. DOI : 10.46711/jeynitaare.2021.1.1.2

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