Des communautés rurales s’organisent pour contrer les effets des changements climatiques au Burkina Faso

AFDR, APIL, USCCPA/BM, et La Fondation Jules et Paul-Émile Léger (FJPEL)

 

Classé à la 183e position sur 188 pays d’après l’indice de développement humain (IDH) calculé par le Programme des nations unies pour le développement (PNUD, 2018, p. 25), le Burkina Faso reste l’un des pays les plus pauvres de la planète. Près de 71% de sa population vit en milieu rural (Banque mondiale, n.d. a) et son économie est essentiellement basée sur le secteur agricole. Les activités agropastorales et forestières y occupent plus de 80% de la population active, mais représentent seulement 28,7% de la « valeur ajoutée » du produit intérieur brut (PIB), c’est-à-dire de la valeur réelle de la richesse produite dans le pays (Banque mondiale, n. d. a; Pedon, n. d.). Ces chiffres traduisent le manque de productivité du secteur, principalement structuré autour d’exploitations familiales à petite échelle destinées en priorité à l’autoconsommation.

Aujourd’hui encore, près de 80% des familles rurales au Burkina Faso dépendent presque exclusivement de leur exploitation agricole pour assurer leur sécurité alimentaire, et plus de la moitié d’entre elles vit en dessous du seuil de pauvreté (Banque mondiale, n. d. b). L’agriculture pratiquée reste faiblement mécanisée, essentiellement pluviale et largement dominée par les cultures céréalières et le petit élevage, fortement tributaires de la pluie. Or, dans la majeure partie du pays, la pluviométrie n’atteint qu’un niveau moyen variant entre 450 à 700 mm/an. Dans ce contexte, les changements climatiques représentent, dans le temps et dans l’espace, un défi majeur pour l’agriculture familiale, la sécurité alimentaire et la lutte contre l’extrême pauvreté en région sahélienne.

L’économie rurale du pays étant presque exclusivement basée sur l’agriculture, la question des inégalités entre les hommes et les femmes constitue un enjeu majeur, d’autant plus que les femmes sont les plus vulnérables aux effets des changements climatiques. En effet, même si les femmes fournissent de 60 à 80% de la main-d’œuvre agricole en Afrique subsaharienne (FAO, n. d.), elles n’ont traditionnellement pas accès au capital foncier et aux principaux moyens de production qui leur permettraient de s’adapter à ces changements (formations, matériel, crédit et intrants agricoles, etc.)

L’autre enjeu important pour l’avenir du secteur agricole est celui de la relève et de l’emploi des jeunes ruraux. Alors que plus de la moitié de la population a moins de 20 ans, l’agriculture n’attire plus les jeunes qui la jugent trop archaïque, trop peu rentable et incertaine, en raison des aléas climatiques qui peuvent réduire à néant des mois d’efforts et d’investissements. Le métier des parents et des grands-parents n’attire donc plus les jeunes qui, pour assurer leur avenir, préfèrent souvent l’exode ou des secteurs moins tributaires du climat tels que les sites miniers informels, le petit commerce et les services.

Pour faire face à ces défis, la Politique nationale de sécurité alimentaire du Burkina Faso, mise en œuvre depuis octobre 2014, insiste sur le développement des techniques agroécologiques résilientes aux changements climatiques et sur le besoin d’investissements en infrastructures qui permettront de garantir un accès permanent à l’alimentation. Le projet Innovation et mobilisation pour la sécurité alimentaire (IMSA), financé par Affaires mondiales Canada, appuie la stratégie nationale burkinabée. Pour ce faire, il propose des actions misant sur la valorisation des savoirs traditionnels locaux dans le but de favoriser l’introduction, l’appropriation et la diffusion des techniques et technologies agroécologiques innovantes adaptées aux pratiques locales qui permettent de renforcer durablement les capacités d’adaptation et de résilience de plus de 3 000 productrices et producteurs aux changements climatiques. Géré par la Fondation Jules et Paul-Émile Léger (FJPEL), ce projet (2015-2020) est conçu et mis en œuvre par trois organisations partenaires burkinabées : l’Association formation développement ruralité (AFDR) dans la région du Nord, l’ONG Action pour la promotion des initiatives locales (APIL) dans les régions du Centre, du Centre-Nord et du Plateau central, et l’Union des sociétés coopératives pour la commercialisation des produits agricoles de la boucle du Mouhoun (USCCPA/BM).

La présente étude a pour objectif de donner la parole aux actrices et acteurs locaux ainsi qu’aux productrices et producteurs agricoles à petite échelle – qui pratiquent l’agriculture familiale durable (AFD) – afin de mieux faire comprendre les répercussions des changements climatiques sur leur vie quotidienne et quelles stratégies d’adaptation semblent les plus porteuses et les mieux adaptées aux réalités locales. Cet article est le fruit de l’expertise développée par les organisations burkinabées partenaires du projet IMSA, de leur expérience et leur connaissance approfondie du terrain, tant du point de vue de ses caractéristiques biophysiques que de ses composantes et ses dynamiques sociales, économiques et culturelles. Ces actrices et acteurs, qui travaillent depuis de nombreuses années auprès des communautés appuyées, dont elles ou ils sont généralement issu-e-s et au sein desquelles elles ou ils pratiquent souvent elles-mêmes/eux-mêmes l’agriculture, offrent ainsi un témoignage direct des problématiques telles que vécues par les populations et une vision différente sur les stratégies d’intervention les plus efficientes et les mieux adaptées aux réalités locales. Cette analyse s’appuie également sur de nombreux témoignages collectés pour appréhender la réalité vécue par les populations vulnérables, qui décrivent les variations observées du climat, les impacts constatés à l’échelle de leur parcelle et les effets des techniques et stratégies d’adaptation promues dans le cadre du projet.

La méthodologie est construite autour des données et des analyses produites dans le cadre du processus de suivi-évaluation du projet. D’une manière générale, il est question de corréler les témoignages, les perceptions et les observations de terrain aux données climatiques et statistiques produites à l’échelle nationale, régionale et communautaire.

Ainsi, l’évaluation et le suivi environnemental ont permis d’analyser les résultats du projet en matière d’adaptation aux changements climatiques au regard des rendements observés dans les parcelles voisines, mais également des données climatiques produites par les représentations régionales de la Direction nationale de la météorologie et des résultats de production des campagnes annuelles communiqués par le Ministère de l’agriculture et des aménagements hydro-agricoles. De même, les données collectées, dans le cadre de la recherche sur la sécurité alimentaire menée par un groupe de chercheurs[1] de l’Institut pour la sécurité alimentaire globale de l’Université McGill, ont permis d’affiner l’analyse, grâce aux résultats de trois enquêtes successives réalisées entre 2016 et 2018 auprès d’un échantillon représentatif de 625 familles, en assurant la parité homme/femme des répondants, au moyen d’un questionnaire développé à partir des principaux critères d’évaluation proposés par la FAO.

Des défis croissants pour l’agriculture à petite échelle

Le Burkina Faso a un climat aride de type soudano-sahélien caractérisé par la succession de deux saisons principales. Une longue saison sèche, chaude et aride, s’étend d’octobre à mai et les températures y dépassent fréquemment les 40°C. Quant à la courte saison des pluies, qui a lieu de juin à septembre, elle se distingue par des précipitations concentrées, irrégulières et inégalement réparties sur le territoire. En effet, les précipitations vont de 400 mm/an dans le Nord (climat sahélien) à plus de 1000 mm/an dans le Sud-Ouest[2]. Le nord du pays connaît les conditions les plus difficiles : les précipitations y sont inférieures à la moyenne nationale, comprises entre 454 mm et 779 mm/an, et les températures maximales y ont dépassé les 45°C au cours des dernières années[3].

Les changements climatiques ont de dures répercussions sur le pays. Au-delà du stress hydrique et des sécheresses récurrentes, qui ont plongé plus de 3,5 millions de personnes dans l’insécurité alimentaire en 2012 selon le PAM et la DGPER[4] (2012, p. 11), les productrices et producteurs peinent à s’adapter à la plus grande variabilité des saisons et à l’irrégularité des précipitations qui bouleversent les calendriers culturaux traditionnels et sont responsables de poches de sécheresse ainsi que d’inondations destructrices. Les sécheresses chroniques, en particulier celles de 1974, de 1984, de 2008 et de 2011, ont exacerbé les conflits fonciers et les tensions pour l’accès aux ressources naturelles en zone rurale. L’insécurité alimentaire et la hausse du prix des denrées alimentaires ont également causé d’importants troubles sociaux à l’échelle du pays.

Le Programme d’action nationale d’adaptation à la variabilité et aux changements climatiques du Burkina Faso prévoit une importante diminution des précipitations moyennes, de l’ordre de 3,4% d’ici à 2025 et de 7,3% d’ici à 2050, qui pourrait s’accompagner d’une très forte variation interannuelle et saisonnière (MINECV-SPCNEDD[5], 2007, p. 14). Les projections réalisées évoquent une diminution de l’ordre de 20 à 30% du niveau actuel des précipitations durant l’hivernage et une augmentation de 60 à 80% des précipitations en saison sèche sous forme de pluies courtes, localisées et particulièrement intenses, qui accentuent la dégradation des sols et des cultures. Ce régime pluviométrique pourrait également avoir une incidence importante sur le débit moyen des cours d’eau, avec une baisse de l’ordre de 54,7% du débit moyen du fleuve Mouhoun d’ici à 2025 (Brown et Crawford, 2008, p. 38).

Ces changements ont un impact d’autant plus grand que la forte dégradation de l’environnement, la faible qualité agronomique des sols, les techniques culturales inadaptées et le manque de capital des productrices et producteurs à petite échelle leur permettent difficilement d’absorber les chocs climatiques et de relancer la production après une crise. À cette problématique s’ajoutent de mauvaises conditions de stockage et de conservation des récoltes qui causent d’importantes pertes et une diminution de la qualité nutritionnelle des aliments et exposent ainsi les ménages à des périodes de soudure de plus en plus longues. Selon le PAM et FEWS NET (2014, p. 1), seuls 38% des ménages burkinabés se trouvent en situation de sécurité alimentaire alors que 23,8% de la population souffre d’insécurité alimentaire grave (FAO, 2018, p. 130).

Les principaux effets négatifs des changements climatiques, tels qu’ils sont actuellement ressentis par les productrices et producteurs des trois régions d’intervention du projet IMSA, sont la plus grande variabilité des précipitations, y compris sur de petites distances, et la fréquence accrue des phénomènes climatiques extrêmes : épisodes de sécheresse, vagues de chaleur, pluies intenses et inondations destructrices, mais aussi vents violents et nappes de poussière dans les régions du nord du pays. Les conditions climatiques instables et difficilement prévisibles bouleversent les calendriers agricoles et causent des pertes importantes de rendement qui menacent la sécurité alimentaire des populations vulnérables.

Gilbert Coulibaly, président de la coopérative mixte de Boron, dans la province du Mouhoun, a souffert des effets d’une poche de sécheresse qui a durement touché sa production :

Le niébé n’a pas bien donné cette année, car une période prolongée de sécheresse est arrivée pendant la floraison. Les fleurs et les plants ont séché, ce qui a empêché la formation des gousses. Il pleut moins qu’avant maintenant et les producteurs comme moi arrivent à peine à survivre. Parfois, nous perdons une récolte tout entière à cause du manque de pluie, ou d’autres fois à cause de l’excès de pluie.

Victime d’une sécheresse prolongée au moment de l’épiaison de son maïs, Dioma Komon, un jeune producteur qui est aussi président de la coopérative mixte Djèkagni de Sami, dans la province des Banwa, souligne ceci :

Autrefois, il pleuvait assez et de façon bien répartie dans le temps et dans l’espace. Le climat était très favorable, ce qui n’est plus le cas maintenant. L’irrégularité des pluies menace notre agriculture et même notre région qui risque de perdre son titre de grenier du Burkina. Le changement climatique est en train de menacer notre source de revenus, ce qui veut dire que c’est notre survie même qui est menacée…

Ces conditions difficiles ont une incidence directe sur la productivité agricole et se traduisent par une pression grandissante sur les ressources naturelles, hydriques et ligneuses en particulier, ainsi que par une extension rapide des surfaces cultivées par le défrichement et le brûlis pour compenser la baisse des rendements. À cela s’ajoutent la coupe abusive du bois de chauffe et la pression accrue du bétail sur des pâturages moins productifs, qui affectent les ressources floristiques et faunistiques. À en croire l’étude cartographique de l’Institut géographique du Burkina (IBG) menée de 1992 à 2002, les superficies naturelles couvertes de végétation ont régressé de 108 141 ha au profit des surfaces emblavées. Ce phénomène semble s’être accéléré encore au cours de la dernière décennie : selon le rapport d’étude Changement climatique et agriculture durable du Burkina Faso : stratégies de résilience basées sur les savoirs locaux, présenté en juin 2016, 105 000 ha disparaissent chaque année.

La disparition progressive du couvert végétal expose les sols au ruissellement et à l’érosion alors que l’application excessive d’engrais chimiques – le plus souvent non homologués – pour compenser l’appauvrissement des sols accélère la dégradation des écosystèmes et de la biodiversité. Le tout se traduit par une perte du capital productif et par une diminution constante du rendement des cultures vivrières à vocation alimentaire. La déforestation, l’érosion et le bouleversement des cycles hydrologiques locaux accélèrent le processus de désertification et la détérioration des facteurs naturels de production dont dépend l’agriculture vivrière.

La dégradation du milieu naturel renforce l’impact des sécheresses et des inondations. De plus, elle nuit à la capacité de résistance et de résilience des systèmes productifs familiaux aux aléas climatiques. Le phénomène atteint un point tel que de nombreux paysans se disent aujourd’hui découragés et hésitent à investir dans leur parcelle, par peur de tout perdre, d’autant plus que pour les exploitations touchées, les mécanismes d’appui ou d’assurance climatique sont encore rares. Les productrices et producteurs font également part des dégâts de plus en plus importants causés par des maladies et des ravageurs, comme les chenilles légionnaires, qui n’avaient jusque-là été observés que dans des régions beaucoup plus chaudes du pays. Toutefois, il reste difficile d’attribuer directement ce phénomène aux changements climatiques, notamment en raison de l’absence d’études scientifiques fiables sur le sujet.

Si le secteur céréalier, essentiellement pluvial et à la base du système agricole burkinabé, semble le plus fortement touché, l’élevage pastoral souffre aussi de la réduction sévère du nombre de points d’eau et de la surface de pâturages. La disparition progressive des graminées pérennes et la concurrence de plus en plus forte pour l’accès au foncier sont à l’origine de conflits croissants entre éleveurs et cultivateurs. D’autre part, les pertes de bétail ont de fortes répercussions sur l’économie familiale, pour qui les animaux constituent le principal moyen d’épargne et de réponse à une crise. Ces pertes réduisent ainsi leur capacité de résilience et aggravent le cycle de la pauvreté.

Le renforcement des inégalités femmes-hommes

Les changements climatiques n’affectent pas les femmes et les hommes de façon égale. Les femmes sont, en effet, beaucoup plus vulnérables aux aléas climatiques, en particulier en milieu rural, car elles dépendent presque exclusivement des conditions naturelles pour assurer leur subsistance, n’ayant qu’un accès très limité à des formations appropriées et aux intrants agricoles (fertilisants, semences améliorées, matériel agricole et systèmes d’irrigation) indispensables pour s’adapter.

Elles exploitent, de surcroît, des parcelles généralement de moins bonne qualité et situées dans des zones plus exposées aux effets du climat. D’autre part, les femmes ne bénéficient pas du même niveau d’appui communautaire que les hommes. Cet appui est pourtant nécessaire pour la mise en œuvre des techniques d’aménagement et de préparation des parcelles face aux effets du climat. Par exemple, le labour amélioré ou l’aménagement des structures antiérosives exigent une haute intensité de main-d’œuvre (cordons pierreux, zaï ou demi-lune). Les hommes mobilisent plus facilement les ressources humaines et financières permettant de sécuriser leur production et d’accroître les rendements, en plus de pouvoir réaliser des travaux rémunérés au besoin alors que les femmes restent majoritairement cantonnées aux activités familiales et informelles.

À cela s’ajoute le fait que les femmes sont rarement propriétaires des parcelles qu’elles exploitent, ce qui les empêche de sécuriser leur production et limite leur capacité d’investissement, puisqu’une terre productive est souvent récupérée par son propriétaire. Étant sous-représentées, voire absentes au sein des autorités villageoises traditionnelles ou institutionnelles, qui sont encore essentiellement contrôlées par les hommes, les femmes ne participent pas non plus aux décisions relatives à la gestion des ressources naturelles et productives. Ces diverses raisons expliquent pourquoi les parcelles exploitées par les femmes présentent généralement des rendements inférieurs à celles des hommes et sont plus vulnérables aux changements climatiques.

Mais les changements climatiques ont également une incidence sur la qualité de vie des femmes à travers l’ensemble des activités dites reproductives (tâches domestiques, alimentation, approvisionnement en eau et en énergie, éducation, soins aux malades, etc.), dont elles assument la responsabilité. La raréfaction des ressources naturelles accroît ainsi considérablement leur charge de travail et la pénibilité de l’approvisionnement en bois et en eau dont elles sont traditionnellement responsables au sein du foyer. Selon le groupement féminin Nabonswendé de Sim, la collecte du bois de chauffe se faisait à moins d’un kilomètre du village il y a 20 ans; de nos jours, il faut parcourir une dizaine de kilomètres. Les efforts et le temps supplémentaires consacrés à ces corvées se traduisent souvent par une dégradation de la qualité de vie des femmes et réduisent leurs capacités à mener des activités génératrices de revenus ou à participer à la vie communautaire. De plus, l’absentéisme scolaire des filles s’accroît, car elles aident leur mère dans leurs tâches, ce qui entretient les inégalités à long terme.

Enfin, les femmes sont généralement les premières à sacrifier leur ration alimentaire lorsque la nourriture vient à manquer, et ce, indépendamment du travail physique qu’elles exercent. Cette réalité a des conséquences directes sur leur état de santé en particulier lorsqu’elles attendent un enfant.

Quant à la sécurité financière des femmes, elle se précarise sous l’effet des changements climatiques. En effet, elles disposent rarement d’une épargne de sécurité, la quasi-totalité de leurs revenus étant mobilisés pour l’éducation des enfants, l’alimentation et la santé. Si la solidarité familiale et communautaire joue encore un rôle crucial en zone rurale dans la réponse aux crises climatiques et alimentaires, les femmes ont rarement la possibilité de trouver un emploi rémunéré de complément en cas de crise. Elles doivent donc le plus souvent mobiliser leurs propres économies pour subvenir aux besoins alimentaires de la famille tout entière. L’accès au crédit formel (institutionnel) reste d’autre part très difficile pour elles puisque les garanties exigées, comme la terre ou le bétail, restent le plus souvent la propriété des hommes. Dans ce contexte, la constitution des groupements féminins ou des caisses de solidarité, appelées tontines, reste l’un des seuls moyens d’accéder au crédit pour les femmes.

Face à ces nombreux défis et le manque d’appui des politiques agricoles locales et nationales, qui ne prennent pas suffisamment en compte leurs intérêts et leurs besoins, les agricultrices sont de plus en plus vulnérables aux changements climatiques qui creusent encore le fossé des inégalités entre les femmes et les hommes. L’appui spécifique aux productrices est fondamental pour l’avenir de l’agriculture. En effet, les femmes pourraient accroître leurs rendements de 20 à 30% si elles bénéficiaient du même accès que les hommes aux ressources productives, ce qui permettrait de réduire le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde de 12% à 17% (ONU Femmes).

Les stratégies d’adaptation aux changements climatiques

Les partenaires burkinabés du projet IMSA ont élaboré diverses stratégies pour répondre aux nombreux défis liés aux changements climatiques et renforcer les capacités d’adaptation des productrices et producteurs à petite échelle. L’approche utilisée mise sur un processus d’innovation prenant sa source à l’intérieur de la communauté et repose sur l’amélioration et la diffusion des savoirs traditionnels et des techniques issues de l’expérience de plusieurs générations d’exploitants. Les équipes de l’AFDR, de l’APIL et de l’USCCPA/BM travaillent ainsi sur la systématisation d’itinéraires techniques adaptés aux nouveaux enjeux climatiques, dans l’objectif de mettre au point des solutions accessibles et facilement reproductibles au sein des communautés de base afin qu’elles bénéficient au plus grand nombre d’individus. De nombreuses innovations techniques conçues et promues par les pays dits développés restent, en effet, à la fois inadaptées au contexte africain et financièrement inaccessibles pour les productrices et producteurs à petite échelle, faute de capacité d’investissement et de moyens techniques pour les mettre en œuvre. La récupération, la mise en valeur et l’adaptation des techniques traditionnelles de culture, parfois oubliées, facilitent leur appropriation par le plus grand nombre et contribuent à l’obtention de résultats concrets et durables à grande échelle. Les techniques diffusées sont présentées brièvement, ci-dessous, par thème.

La stratégie de diffusion des techniques améliorées vise à garantir leur pleine appropriation par les communautés. Ainsi, elle repose sur l’accès à des centres de formation établis au plus près des communautés rurales et sur la formation des technicien-ne-s et de formateurs/formatrices locaux/locales issu-e-s de la communauté. Les partenaires ont élaboré les cursus de formation et les itinéraires techniques de manière à ce qu’ils répondent aux nouveaux défis posés par les changements climatiques, tout en tenant compte des conditions précises d’exploitation et de la réalité de chaque exploitant(e) et de chaque organisation paysanne. La formation associe un ensemble de techniques agroécologiques destinées à conserver les facteurs de production et à accroître les rendements à court, à moyen et à long terme.

Afin d’assurer la sécurité alimentaire des populations vulnérables, les techniques qui visent à adapter les systèmes de production et à accroître leur résilience s’accompagnent non seulement d’actions destinées à mieux contrôler la conservation et la commercialisation des récoltes, mais aussi d’un appui au renforcement des mécanismes financiers et non financiers de solidarité et de résilience par rapport aux chocs climatiques. Les principales techniques et activités, conçues et mises en œuvre selon une approche d’égalité des genres, sont présentées ci-dessous. Ramata Balma, productrice de 45 ans et mère de quatre enfants, qui vit dans le village de Sidigo, dans la commune de Boussouma, témoigne de ses difficultés devant les changements climatiques et des effets bénéfiques des techniques enseignées :

Dans notre famille, nous vivons de ce que nous cultivons. Mais depuis un certain nombre d’années, le climat n’est plus le même qu’au temps de nos parents. De nos jours, nous connaissons de fortes chaleurs en saison sèche et les précipitations sont de plus en plus rares en saison des pluies. Nous souffrons beaucoup. Avant, nous ne connaissions pas la faim, mais maintenant, nous sommes obligés de rationner les denrées pour pouvoir donner à manger à nos enfants. Par exemple, cette année, les pluies ont commencé tôt (au mois de mai), mais actuellement (en septembre) nous vivons des épisodes de sécheresse qui nous inquiètent pour la suite de notre vie en campagne. Mais depuis que mon groupement bénéficie des appuis du projet IMSA, nous résistons mieux à ces changements climatiques. Avec les semences améliorées, les techniques de conservation des sols et les formations sur la protection de l’environnement, nous arrivons à exploiter de manière raisonnable nos ressources naturelles.

Les techniques de conservation des sols

Les stratégies de conservation des sols reposent sur trois principes fondamentaux : réduire au minimum le travail des sols, réduire leur vulnérabilité aux aléas climatiques et améliorer le cycle de la matière organique.

Le semis direct consiste à faire un scarifiage ou des poquets en respectant un écartement de 80 cm sur 40 cm. Cette technique, qui présente l’avantage de conserver la structure du sol sans l’exposer aux pluies ou à la sécheresse, fait gagner un temps précieux en période de semis.

Pour Soara Kalé, agriculteur du village de Priwé, dans la province des Banwa :

La pratique du semis direct est une réponse simple et efficace au problème d’appauvrissement des sols et permet de gagner du temps au moment de la mise en place des cultures. Grâce à cette technique, dit-il, j’ai pu emblaver 2,5 hectares de maïs en juin passé et je pense obtenir une bonne récolte cette année.

L’association culturale de céréales et de légumineuses, appliquée par les productrices et producteurs burkinabés depuis plus d’une quarantaine d’années (association de sorgho et de niébé, par exemple), enrichit les sols en azote, les protège et diversifie la production – donc réduit les risques – grâce à l’étagement des cultures. L’amélioration de cette pratique consiste à semer une légumineuse dans les interlignes de la culture principale (mil, sorgho ou maïs) en respectant un écartement de 80 cm sur 40 cm entre les lignes et un délai de deux semaines entre les semis afin d’éviter la concurrence des deux cultures.

Koné Marie, productrice du village de Digani, dans la province de la Kossi, se dit très satisfaite de cette technique :

Cette pratique va beaucoup nous aider, nous, les femmes de l’union, car ça nous permet entre autres de diversifier nos cultures en utilisant la même parcelle, ce qui résout en partie le problème de l’accès à la terre lorsque l’on veut étendre ou diversifier notre production. Moi, j’ai emblavé une parcelle mixte de 0,5 hectare. Mon niébé est en pleine récolte et mon sorgho, à la montaison, ce qui me permet de répartir mon effort pour la récolte.

La production de compost amélioré et de fumure organique est utilisée pour enrichir et structurer les sols et les produits selon différentes techniques comme le compostage en tas, les fosses en bordure de champ ou les effluents de biodigesteurs (figure 1). Ces techniques, notamment promues par le PAM au Burkina Faso, sont facilement accessibles aux productrices et producteurs les plus modestes, car elles sont économiques comparativement à l’achat d’engrais chimiques. Elles ont des effets rapides sur la fertilité et contrent l’érosion tout en conservant l’humidité des sols.

Figure 1. Préparation du compost amélioré. Source : AFDR et APIL, 2017

Bibata Rouamba, du village de Kamandena, dans la province du Mouhoun, qui a produit 3 tonnes de fumier en tas pour sa parcelle de 0,5 ha de niébé, constate les bénéfices pour sa production en ces termes :

Vous voyez, ma parcelle de niébé n’a pas trop souffert comme l’an passé, les plants se sont bien développés et je n’ai pas eu d’attaque de chenilles. Mon niébé n’a pas trop souffert des 15 jours de sécheresse et ça, c’est grâce au fertilisant organique que j’ai utilisé. Je suis en train de récolter mon niébé. Si tout va bien, je ferai une bonne récolte cette année.

L’utilisation du compost permet d’intensifier la production de manière écologique et remplace la jachère qui ne répond plus aux contraintes climatiques actuelles. L’augmentation des rendements sur de petites superficies bénéficie directement aux femmes dont les parcelles sont généralement de taille modeste et les sols souvent de faible qualité agronomique.

Alima Ouédraogo, productrice à Tanhoko, dans la commune de Boussouma, témoigne ainsi des apports de cette technique:

Le compost m’a permis d’obtenir de meilleurs rendements et de m’adapter aux irrégularités des pluies. Sur mon exploitation d’un hectare, j’ai obtenu l’an passé 750 kg de niébé et 900 kg de sorgho. Dans les années antérieures, j’avais à peine 200 kg de niébé ou de sorgho.

Un seul biodigesteur de 4 m3 peut produire plus de 40 tonnes par an de compost d’excellente qualité, un volume qui peut fertiliser environ 8,4 ha de céréales ou environ 16,8 ha de niébé. Les expériences réalisées sur le terrain démontrent que cet effluent, dépourvu de méthane, s’avère un engrais organique de meilleure qualité que le fumier, le compost traditionnel ou les fertilisants industriels. La production de compost est d’ailleurs un facteur facilitant important dans l’adoption de cette nouvelle technologie d’énergie renouvelable.

Un producteur du village de Ban, dans la province des Banwa, confirme qu’avec cet effluent les plantes résistent mieux à la sécheresse qu’avec les engrais chimiques :

J’ai voulu faire une expérience en utilisant une partie du champ, sur laquelle j’ai appliqué l’effluent du biodigesteur, et lorsque j’ai semé, j’ai remarqué une nette différence. Les parcelles où l’effluent a été utilisé se présentent bien et il y a moins de mauvaises herbes. Je suis très satisfait du résultat.

Figure 2. Cordons pierreux. Source : AFDR, 2017

Les cordons pierreux ci-dessus (figure 2) sont des ouvrages antiérosifs semi-perméables confectionnés à partir de pierres polyformes disposées sur des courbes de niveau. Ils freinent les eaux de ruissellement et atténuent l’érosion éolienne des sols. Les cordons pierreux permettent ainsi de conserver la matière organique et les éléments minéraux des sols au sein des parcelles qu’ils délimitent, en plus de favoriser l’infiltration des eaux de pluie. Ils protègent également des inondations la végétation et certains aménagements tels que le zaï ou les demi-lunes.

Les bandes enherbées ou cordons végétalisés (figure 3) sont des barrières biologiques qui jouent le même rôle que les cordons pierreux dans le contrôle du ruissellement et de l’érosion des sols, mais qui ont l’avantage supplémentaire de produire du fourrage ou de la paille pour la productrice ou le producteur. La technique consiste à installer ou à entretenir une bande végétative d’espèces pérennes parallèle aux courbes de niveau et d’une largeur suffisamment importante pour réduire le ruissellement et favoriser l’infiltration de l’eau. Les espèces couramment utilisées au Burkina Faso sont Andropogon gayanus, Andropogon ascinodis, Cymbopogon ascinodis et Vetiveria zizanioïdes.

Figure 3. Exemple de bandes enherbées. Source : AFDR, 2017

Le paillage est une technique ancienne, très répandue dans la zone sud-sahélienne. Elle consiste à recouvrir le sol d’une couche d’environ 2 cm d’herbes, de branchages ou de résidus de récoltes (tiges de mil, de sorgho, de riz, etc.) pour protéger la surface du sol contre la météorisation des agrégats due à l’impact des gouttes d’eau de pluie (effet splash). Le paillage doit être réalisé pendant la saison sèche, quelques mois avant le semis, pour permettre une meilleure décomposition. Cette technique conserve l’humidité du sol par réduction de l’évaporation tout en facilitant, grâce à la décomposition de la matière organique, la récupération des terres dégradées. Elle favorise également le développement de la microfaune dont l’activité accélère le processus de dégradation de la matière organique et accroît l’aération ainsi que la porosité des sols (lutte contre la compaction), facilitant ainsi la pénétration des eaux de pluie et réduisant le ruissellement.

Le zaï (figures 4.1 et 4.2) est une technique traditionnelle originaire du Yatenga (nord du Burkina Faso). Elle consiste à creuser des cuvettes de 20 à 40 cm de diamètre et de 10 à 20 cm de profondeur dans lesquelles on ajoute deux poignées de fumure organique (de 300 à 600 g) avant le semis. La terre excavée est utilisée pour former des murets qui délimitent un casier autour du paquet de semences afin de capter et de conserver les eaux de ruissellement ainsi que les éléments nutritifs du sol. Les rangées de zaï doivent être décalées et perpendiculaires à la pente du terrain pour freiner le ruissellement interstitiel. La taille des cuvettes et leur espacement varient selon le type de sol et les conditions pluviométriques; elles sont plus larges sur les sols peu perméables et les zones arides, pour accroître le bassin de captation. L’espacement entre les cuvettes doit idéalement être couvert de paillis, ce qui augmente la rétention d’eau du sol et y déclenche une activité biologique.

Figure 4.1. Zaï manuel. Source : APIL et AFDR, 2017
Figure 4.2.. Zaï mécanisé sur des terres dégradées.
Source : APIL et AFDR, 2017

La demi-lune (figure 5) est une cuvette en forme de demi-cercle qui possède les mêmes fonctions que le zaï, mais s’avère mieux adaptée pour certaines cultures céréalières, comme le sorgho, et sur les terrains exposés à de fortes pluies ou à des vents violents. Son rebord en forme de croissant, constitué à partir de la terre excavée, est placé perpendiculairement à la pente, et en aval par rapport à celle-ci, de manière à former un impluvium qui capte les eaux de ruissellement. Cette technique permet notamment la récupération des sols dégradés et indurés ou encroûtés, ce qui augmente les surfaces cultivées.

Figure 5. Champs de sorgho avec aménagements de demi-lunes et de cordons pierreux.
Source : APIL et AFDR, 2017

Le bassin de collecte des eaux de ruissellement (BCER) (figure 6) est un ouvrage qui utilise les couloirs naturels d’écoulement des eaux de pluie pour constituer une réserve d’eau disponible pour l’irrigation. Une structure d’enrochement est disposée en amont de l’ouvrage pour disperser la force de l’eau et permettre la décantation des sédiments, ce qui évitera le comblement précoce de l’ouvrage. Ces structures s’avèrent particulièrement adaptées aux changements du régime des pluies : en captant l’eau des précipitations violentes, elles réduisent les risques d’inondation et d’érosion pour redistribuer cette eau durant les épisodes de sécheresse afin de régulariser et de sécuriser les cycles de production.

Figure 6. Bassin de collecte des eaux de ruissellement du Centre de formation agricole et artisanale du village Tangaye. Source : AFDR, 2017

L’agroforesterie est pratiquée selon une approche intégrée associant la régénération naturelle assistée, la production de plants en pépinière (figure 7) et le reboisement. Elle favorise la restauration des sols dégradés et la régularisation du cycle hydrologique et pluviométrique local. La régénération naturelle assistée (RNA) vise à stimuler le développement d’espèces ligneuses et leur intégration au sein des parcelles cultivées, de manière à accroître les rendements. Cette pratique est très appréciée des communautés, car même si elle exige relativement peu d’efforts et de connaissances techniques, elle produit des bénéfices à long terme.

Figure 7. Production de plants en pépinière.
Source : USCCPA, 2017

La production de plants en pépinière peut se concentrer sur des espèces endogènes adaptées aux conditions locales en plus d’offrir une source complémentaire de revenus. Les espèces ayant une valeur productive ou apportant différents types de services écologiques sont privilégiées : production fruitière ou ligneuse, valeur nutritive (comme celle qu’offre le Moringa oleifera), espèces fourragères, enrichissement des sols en azote, lutte contre l’érosion, infiltration des eaux de ruissellement, etc. Les plantules sont mises en terre par les productrices et producteurs autour des parcelles (pour réduire l’érosion éolienne) ou de façon dispersée – de manière à protéger les sols du rayonnement solaire tout en les enrichissant de matière organique. Des campagnes communautaires de reboisement sont également organisées pour conserver les espaces sensibles comme les zones de ruissellement, les environs des sources et des plans d’eau (ripisylves par exemple), les zones de recharge des nappes phréatiques ou les zones boisées restaurées. Les effets positifs sur la biodiversité contribuent en outre à l’équilibre des écosystèmes locaux et à la conservation des facteurs naturels de production.

Les semences améliorées à cycle court (figure 8) permettent de réduire considérablement la vulnérabilité des cultures aux sécheresses en raccourcissant le cycle cultural. Ces semences, issues de la sélection génétique mais sans modification du génome (sans OGM), s’avèrent plus résistantes au stress hydrique et permettent donc d’accroître ou sécuriser les rendements lorsque des poches de sécheresse affectent les plants, en particulier en période de germination. Le projet facilite ainsi l’acquisition de semences améliorées certifiées par le Service national des semences du Burkina Faso, mais appuie également le processus de sélection et de conservation de semences locales par la constitution de réserves familiales ou communautaires (dotation de silos et formations), ainsi que des banques de semences accessibles aux petits producteurs et productrices à des conditions privilégiées, afin de renforcer leur résilience face aux crises climatiques et économiques.

Figure 8. Semences améliorées à cycle court.
Source : USCCPA, 2017

Les biopesticides (figure 9), élaborés à l’aide de produits naturels disponibles localement comme la poudre de neem, l’oignon, l’ail, le piment, la cendre ou le savon, offrent une option respectueuse de l’environnement et de la santé humaine et facilement accessible aux productrices et aux producteurs à petite échelle. Associés aux fertilisants organiques, ils permettent de réduire les coûts de la production et d’accroître sa valeur ajoutée en particulier lorsque la filière biologique est certifiée. La production et l’utilisation de bioherbicides et de biofongicides complètent cette approche.

Figure 9. Biopesticides. Source : USCCPA, 2017

Les techniques d’élevage adaptées aux changements climatiques

La raréfaction du fourrage et la pression de plus en plus importante sur les ressources naturelles imposent le développement de l’élevage en contention (figure 10) associé à des techniques améliorées de conservation et de préparation du fourrage. Cette pratique présente également l’avantage de permettre un meilleur suivi de l’état de santé des animaux et de faciliter la collecte et la valorisation des déjections pour la production de fumure destinée à accroître la fertilité des parcelles. Ce type d’élevage est d’autant plus important qu’il occupe une grande place dans l’économie locale, tant par les revenus qu’il génère que par son rôle de réserve financière en cas de choc économique ou climatique. La vente d’un animal reste un capital mobilisable qui contribue à la résilience des ménages à faibles revenus en cas de dépenses imprévues : s’il faut par exemple relancer la production agricole à la suite d’un événement extrême ayant dévasté les champs.

Figure 10. Élevage en contention. Source : APIL, 2017

Les biodigesteurs permettent la production de biogaz (méthane) avec des excrétas animaux grâce au contrôle du processus de décomposition anaérobie dans une chambre d’un volume de 4 m3 par ménage. Par l’énergie qu’ils produisent, les biodigesteurs constituent donc un substitut au bois de chauffe pour les ménages ruraux. En plus de réduire la déforestation, ils contribuent à l’amélioration des techniques d’élevage, car ils exigent la mise en contention des animaux, ainsi que la récolte et la valorisation de la matière organique pour le fourrage et pour la préparation de fumure avec des effluents. Ceux-ci constituent un engrais organique d’excellente qualité, abondant (40 tonnes/an par biodigesteur) et accessible gratuitement.

Serge Somda, technicien du Programme national de biodigesteurs du Burkina Faso (PNB-BF), précise ceci :

L’engrais chimique utilisé régulièrement rend le sol acide, d’où l’appauvrissement du sol. Si nous voulons léguer nos terres aux générations futures, nous devons utiliser l’effluent ou les fertilisants naturels. L’utilisation d’un fertilisant naturel comme l’effluent transformé en compost grâce au biodigesteur permet de préserver nos sols.

Adou Traoré, producteur du village de Sembadougou, témoigne des avantages de cette technique :

L’effluent du biodigesteur est un vrai produit fertilisant, meilleur que l’engrais chimique ou que le fumier ordinaire, car plus facilement assimilable par les plantes. Avec lui, les plants résistent mieux aux poches de sécheresse et aux maladies.

Les biodigesteurs réduisent aussi de façon notable les émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion des matières ligneuses et à l’utilisation des engrais chimiques dont l’application libère du dioxyde de carbone (CO2), mais surtout de l’oxyde nitreux (N2O) qui a un pouvoir de réchauffement 298 fois plus élevé que celui du dioxyde de carbone.

L’accès des ménages ruraux aux biodigesteurs contribue enfin à l’amélioration des conditions de vie des femmes et des filles. Celles-ci, traditionnellement chargées des corvées de bois, sont vulnérables aux maladies respiratoires et oculaires liées à l’exposition répétée et prolongée aux fumées de combustion. Les biodigesteurs permettent de réduire la charge de travail et la pénibilité liées à la collecte du bois de chauffe, ainsi que le temps passé à cuisiner. Améliorant ainsi l’assiduité scolaire des filles, ils permettent en outre aux femmes de mener des activités génératrices de revenus et d’accroître leur participation à la vie communautaire. La participation des hommes à l’approvisionnement énergétique du foyer par la collecte et la préparation des déjections contribue également à réduire les inégalités au sein des ménages.

Après l’installation d’un biodigesteur, Mme Ouédraogo Habibou dit Sapoka, productrice dans le nord du pays, a établi en 2017 un nouveau restaurant à Bouli dans la commune de Thiou. Ce restaurant, où elle fait sa cuisson à l’aide du biogaz produit par son biodigesteur, répond aux besoins des membres de la communauté. De plus, la disponibilité de la source d’énergie (biogaz) et des produits frais (légumes), favorisée par les activités du projet IMSA, a été un facteur déterminant dans la création du restaurant.

La stratégie de conservation et de commercialisation des récoltes

La mise en marché collective est un mécanisme permettant aux petites productrices et petits producteurs agricoles de regrouper les excédents de leur production individuelle au sein d’une organisation paysanne en vue d’en faire une commercialisation groupée avec l’objectif d’améliorer les conditions de vente grâce à un meilleur pouvoir de négociation. Grâce à la conservation des récoltes dans les magasins de stockage, cette organisation peut aussi contrôler la mise en marché et vendre la production lorsque les prix sont favorables, ce qui permet d’accroître les bénéfices.

L’amélioration des moyens de conservation engendre une réduction sensible des pertes post récolte tout au long de la chaîne de valeur. Les études menées par l’AFDR en 2013 et le FAO (2015) au Burkina Faso montrent en effet que, chaque année, les pertes et le gaspillage alimentaires atteignent en moyenne 30% pour les céréales, de 40 à 50% pour les racines, les tubercules, les fruits et les légumes et 20% pour les oléagineux, la viande et les produits laitiers. Grâce à la conservation groupée des récoltes, les organisations paysannes peuvent aussi racheter des productions de céréales, les stocker puis les revendre à leurs membres à prix réduit lors des périodes de soudure.

Le manque d’équipements et de techniques de conservation était un facteur important de vulnérabilité des ménages ruraux aux chocs climatiques, car il leur enlevait la possibilité de recourir à leurs propres réserves alimentaires en cas de perte de la production ou de besoins financiers imprévus. Avant la mise en marché collective, les ménages vendaient à bas prix leurs surplus en période de récolte, lorsque l’offre était importante, et étaient contraints d’acheter des aliments de moindre qualité à un prix beaucoup plus élevé en période de soudure. Cela les exposait au risque d’insécurité alimentaire et mobilisait leur épargne qui n’était alors plus disponible pour relancer la production après un choc climatique.

Le système de mise en marché collective instauré par les partenaires burkinabés a, entre autres, les objectifs ci-après.

(i) La modification du rapport de force entre les producteurs/productrices et les commerçant-e-s, afin d’améliorer le pouvoir de négociation des productrices et producteurs en agissant sur le niveau ou la volatilité des prix du marché des produits agricoles.

(ii) L’intérêt collectif des productrices et producteurs basé sur le principe de l’équité dans l’accès au marché et sur la parité entre producteurs/productrices agricoles des différentes zones. Les frais liés à la commercialisation sont mis en commun pour que les producteurs/productrices situé-e-s loin des centres de regroupement des stocks ne soient pas défavorisé-e-s.

(iii) L’offre de produits de qualité, par l’instauration de règles de commercialisation basées sur la qualité (mise en place d’infrastructures et d’équipements de stockage et de conservation).

Ce système met les productrices et les producteurs au centre de toutes les actions de commercialisation des produits agricoles, pour qu’elles ou ils deviennent des actrices ou des acteurs incontournables du processus de vente. Le regroupement de l’offre repose sur leur engagement à livrer, au moment de la récolte, un volume d’excédents prédéterminé. Cet engagement est consigné par l’organisation à la base ainsi que par l’organisation faîtière. L’objectif de cette approche communautaire, soutenue par le Programme alimentaire mondial et la Société nationale de gestion des stocks de sécurité alimentaire, est d’arriver à créer un équilibre des pouvoirs basé sur la juste représentativité et la volonté des productrices ou des producteurs à la base.

Figure 11. Magasin de stockage du niébé.
Source : AFDR, 2017

La qualité des produits entreposés a une influence importante sur le prix de vente et des investissements. À cet effet, des formations techniques ont été mises en place pour améliorer les conditions de collecte et de conservation des produits agricoles et répondre ainsi aux exigences du marché. Dès lors, sacs à triple fond, silos métalliques, palettes, bascules et magasins (figure 11 supra) se sont répandus. Ces moyens ont permis de réduire les pertes liées à la détérioration des grains, aux attaques de rongeurs et d’insectes, aux pertes de poids et à la baisse de la valeur nutritionnelle des produits.

Les filières traditionnellement gérées par les femmes, comme celles du niébé et du bissap, ont été particulièrement appuyées. De plus, la représentation des femmes au sein des instances dirigeantes des organisations paysannes a été renforcée pour réduire les inégalités. Ainsi, la stratégie de commercialisation groupée du niébé, lancée par l’AFDR avec les productrices, a permis d’améliorer les prix de vente et les revenus, ce qui a eu un effet direct sur la scolarisation des enfants, l’alimentation et la santé. La commercialisation groupée constitue un levier important pour l’adaptation aux changements climatiques ainsi que pour la lutte contre les injustices sociales et la pauvreté en milieu rural.

Les mécanismes financiers et non financiers favorisant la résilience devant les changements climatiques

Dans une économie rurale qui repose presque exclusivement sur l’agriculture, et en l’absence de systèmes d’assurance agricole et climatique, l’épargne collective (tontines ou microfinance) constitue un important mécanisme de résilience, en particulier pour les femmes qui sont souvent exclues des programmes étatiques et des mécanismes institutionnels. Des outils financiers adaptés au contexte des changements climatiques ont donc été conçus et mis en place avec la collaboration d’institutions financières. Ils servent à constituer des fonds de garantie et à offrir une ligne de crédit dont les conditions répondent aux besoins des productrices et producteurs à petite échelle. Ces fonds facilitent le démarrage des campagnes agricoles ou la relance de la production après une crise climatique, notamment grâce à l’achat d’intrants (semences améliorées et matériel) ou au recours à une main-d’œuvre rémunérée. Le montant du prêt est basé sur une estimation prévisionnelle des rendements et sur l’appréciation des prix courants. Les producteurs s’engagent à livrer un volume donné pour rembourser, en argent ou en nature, le crédit contracté.

Les femmes sont les premières bénéficiaires de ce mécanisme, car faute de garantie foncière ou immobilière, elles ont difficilement accès au crédit agricole des institutions financières. Afin de renforcer la stratégie d’égalité des genres établie, les partenaires du projet IMSA appuient la mise en place de fonds de solidarité qui visent exclusivement des groupements de femmes. Les fonds de ce type utilisent l’approche du programme Épargne pour le changement (EPC) (figure 12) qui mobilise les femmes tout en les formant à la gestion collective de l’épargne afin de renforcer leurs capacités d’investissement. L’épargne investie collectivement est utilisée pour appuyer les initiatives économiques des membres, qui concernent le plus souvent l’agrotransformation ou la commercialisation, mais également, parfois, la réaction à un choc climatique ou économique. Le mécanisme d’octroi des prêts et la solidarité entre membres, qui sont des femmes liées par des liens communautaires forts, permettent de limiter les risques de surendettement et de garantir un taux de recouvrement très élevé. En effet, les femmes décident entre elles d’accorder un prêt et fixent ensemble les taux d’intérêt. Même si le risque d’endettement reste présent, il faut noter cependant qu’il est minime grâce à ce système collaboratif et au degré de solidarité qui facilitent le recouvrement de la quasi-totalité des sommes (souvent très modestes) empruntées.

Figure 12. Partage de l’épargne du groupement Basneré et Paligwendé, commune de Oula. Source : AFRD, 2017

Les mécanismes non financiers de solidarité, qu’ils interviennent entre membres d’une même famille ou entre producteurs et productrices, jouent également un rôle important dans les sociétés rurales qui font face aux crises. Ils renforcent aussi les capacités d’adaptation de l’agriculture à petite échelle vis-à-vis des bouleversements du climat. Partant de cette réalité, les partenaires burkinabés ont appuyé la structuration d’une Coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA), laquelle facilite l’accès aux équipements agricoles de qualité pour des personnes n’ayant pas les moyens de mécaniser leur production. La modernisation des techniques de culture, en particulier du labour sur des terrains de plus en plus indurés et difficiles à travailler sous l’effet de la sécheresse, représente un gain essentiel de temps et d’efforts qui permet notamment aux productrices et producteurs de consacrer davantage de temps à la mise en œuvre de techniques de conservation des sols ou à la production d’intrants écologiques. La mutualisation des moyens techniques est un levier important de solidarité pour lever les contraintes imposées par les aléas climatiques, mais elle suppose un bon niveau de structuration des coopératives et la définition de mécanismes de gestion équitables du matériel et des équipements.

Conclusion

Les changements climatiques sont une réalité qui affecte durement les populations rurales du Burkina Faso en particulier les producteurs et productrices à petite échelle qui pratiquent l’agriculture familiale durable. Mais les femmes sont davantage concernées puisqu’elles ne disposent pas des moyens techniques et financiers pour s’adapter aux crises climatiques et y faire face. Dans un contexte de grande pauvreté, il est indispensable de concevoir et de mettre en œuvre des approches de développement intégrées qui reposent sur la gouvernance et la mobilisation communautaires, pour renforcer durablement les capacités d’adaptation et de résilience aux changements climatiques.

Dans cette perspective, le modèle d’intervention élaboré et mis en œuvre par les partenaires burkinabés du projet Innovation et mobilisation pour la sécurité alimentaire de la FJPEL, c’est-à-dire l’AFDR, l’APIL et l’USCCPA/BM, associe à des mécanismes structurés de solidarité l’amélioration des techniques de production traditionnelles et la diffusion d’innovations culturales adaptées aux réalités des populations vulnérables. Cela permet la constitution de réserves alimentaires, une commercialisation plus juste et rentable des surplus ainsi qu’un accès plus équitable au crédit, aux intrants et à la machinerie agricole.

La philosophie du développement rural par la base, qui s’appuie sur le renforcement des capacités des populations locales et des acteurs du milieu, permet de rompre avec les logiques à court terme et parfois attentistes, inadaptées à des conditions climatiques et socio-économiques en perpétuel changement. Certes, l’adaptation exige une meilleure connaissance de l’évolution de son environnement et la maîtrise des techniques et des processus qui permettent d’y faire face. Mais elle suppose aussi, avant tout, le renforcement des mécanismes communautaires qui aident les populations concernées à devenir des acteurs de changement capables de choisir et de mettre en œuvre les stratégies de réponse et de développement qui s’accordent à leurs besoins et à leurs ambitions.

Références

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  1. Groupe de recherche composé du Dr Hugo Melgar-Quiñonez, du Dr Patrick Cortbaoui et de Diana Dallmann (doctorante), de l’Institut Margaret Gilliam pour la sécurité alimentaire globale de la Faculté d’agriculture et des sciences de l’environnement de l’Université McGill.
  2. Données du Ministère de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique du Burkina Faso (www.environnement.gov.bf).
  3. « Le Burkina Faso : Météo en 2017. Quel temps faisait-il? ». Consulté le 14-03-2017 du site https://www.historique-meteo.net/afrique/burkina-faso/2017/
  4. Programme alimentaire mondiale et Direction générale pour la promotion de l’économie rurale.
  5. Ministère de l’environnement et du cadre de vie du Burkina Faso, Secrétariat permanent du conseil national pour l’environnement et le développement durable.

Pour citer cet article

AFDR, APIL, USCCPA/BM et Fondation Jules et Paul-Émile Léger. 2019. Des communautés rurales s’organisent pour contrer les effets des changements climatiques au Burkina Faso. NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables, 1(1), 175-207. DOI : 10.46711/naaj.2019.1.1.9

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La revue NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/naaj.2019.1.1.9

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ISSN : Version imprimée

1840-9865

ISSN : Version en ligne

2630-144X