Adaptation aux risques naturels et incertitudes climatiques en milieu soudano-sahélien au Cameroun

Frédéric SAHA

 

Introduction

Le climat est l’un des éléments du milieu biophysique difficilement saisissable (Lorenz, 1995). Cela est dû à la pluralité des facteurs déterminants et la variabilité spatiotemporelle. Depuis sa formation il y a 4 milliards d’années, la Terre a connu plusieurs phases climatiques marquées par des glaciations et des sècheresses. De nombreuses recherches engagées depuis près d’un siècle révèlent que l’ère actuelle connaît un accroissement des températures (GIEC, 2007). Les données disponibles ont permis de consolider les résultats sur cet élément du climat; même si des divergences sont notables dans l’évaluation de l’ampleur. Les projections sont encore plus hétéroclites. Les études s’accordent difficilement sur le sens de l’évolution (diminution et/ou augmentation) des précipitations, un élément du climat des plus inextricables. Il en est de même de l’ampleur et de la distribution spatiotemporelle des changements. L’Afrique est l’un des continents les plus touchés. Le milieu naturel des pays de la zone tropicale est fragile. L’économie primaire est notamment sensible aux fluctuations climatiques.

On parle de plus en plus de la recrudescence des évènements extrêmes et des risques naturels. Pour certain.e.s, la fréquence et l’intensité des évènements, à l’instar des inondations et de la sécheresse, sont de plus en plus préoccupantes. Cela exige, aux communautés vulnérables, plus d’efforts en termes d’adaptation pour limiter les dégâts. Seulement, en l’absence de données fiables sur le profil des changements, cette tâche est plus ardue. L’adaptation fait face à la complexité d’autres facteurs déterminants comme la démographie, la sécurité et les financements. La bonne maîtrise de la ressource est pourtant déterminante dans la planification et la mise en œuvre de l’adaptation. C’est dans ce contexte que cette étude interroge l’incidence des incertitudes climatiques sur l’adaptation aux risques naturels en milieu soudano-sahélien au Cameroun. Cette partie du pays a connu ces dernières années des grandes sécheresses et des inondations. Les acteurs et actrices qui se sont déployé.e.s sur le terrain à l’occasion de ces catastrophes ont-ils/elles convenablement cerné les changements climatiques pour les intégrer dans les stratégies d’intervention? Quelles sont les nouvelles exigences de l’adaptation dans ce contexte de fortes variabilités? Ces interrogations guideront la suite de ce travail.

Cadre de l’étude et démarche méthodologique

Cadre de l’étude

Le Cameroun est partagé entre deux zones climatiques : la zone équatoriale et la zone tropicale (Suchel, 1988). Cette dernière s’étale au-delà du 6e parallèle avec deux nuances. Au sud, sur le plateau de l’Adamaoua et la plaine de Bénoué, il est plus humide. Le domaine soudano-sahélien concerne spécifiquement la région de l’Extrême-Nord. Les précipitations y sont faibles et variables selon un gradient aussi bien latitudinal qu’altitudinal. La moyenne interannuelle des précipitations se situe autour de 700 mm au sud et 450 au nord. Le milieu naturel est aussi caractérisé par sa morphologie partitionnée en trois grandes unités : les monts Mandara, sa pédiplaine et la plaine.

Les monts Mandara sont un ensemble de moyennes montagnes avec des altitudes comprises entre 800 et 1500 m. Ils se caractérisent par des versants raides et des incisions vigoureuses avec des rivières qui compartimentent les différents massifs constitutifs. La pédiplaine est la zone de transition entre les monts Mandara et la vaste plaine qui constitue l’exutoire des cours d’eau de la zone. Elle est annoncée par la rupture de pente au pied de versants montagnards. La monotonie de la pédiplaine est rompue de part et d’autre par des collines hémisphériques sous forme de chaos rocheux, parfois pointus (Wakponou, 2004). Au-delà de la pédiplaine, les pentes s’amenuisent (20 cm/km); c’est le domaine de la platitude (Ngounou Ngatcha, 1993). L’hydrographie est dominée par le Logone et de nombreux cours d’eau intermittents (mayo).

Au plan humain, la région de l’Extrême-Nord est habitée par près de 4 millions de personnes (estimation à partir des données du troisième recensement général de la population et de l’habitat, BUCREP, 2010). À l’image du reste du Cameroun, il s’agit d’une population majoritairement jeune. Les moins de 15 ans représentent plus de 50% de l’effectif total. Pour une moyenne de 120 habitant.e.s par km², la zone montagneuse et les villes sont plus densément occupées. L’agriculture, l’élevage et la pêche sont les principales activités économiques. Le mil, le niébé, l’arachide et le maïs sont les quatre premières cultures en termes d’hectares occupés. La pêche est pratiquée sur les lacs (Maga et Tchad), le Logone et le grand Yaéré où la submersion pendant près de quatre mois permet aux poissons de se reproduire. L’élevage profite des savanes, des steppes et des prairies transformées en pâturages.

Figure 1. Localisation de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun (Source: Image Aster; Morin, 2000 et CBLT, 2010).

Lorsqu’on considère les indicateurs de développement, la région de l’Extrême-Nord est la plus en retard du Cameroun. 74% de la population vivent en deçà du seuil de pauvreté[1] (INS, 2015). En 2007, seulement 47,5% de la population de la région de l’Extrême-Nord (15-24 ans) était scolarisée; pourtant, ce taux se situe à 83,1% au niveau national. Le réseau routier est également de mauvaise qualité : 2% des routes sont revêtues. L’habitat est dominé à 69,47% par les constructions non durables (murs en tôle, en terre battue ou en paille; les toits en paille et/ou en chaume et les sols non revêtus). Le taux d’accès à l’eau potable est de 40%.

La région de l’Extrême-Nord du Cameroun, qui vient d’être succinctement présentée, est très vulnérable aux aléas naturels. La mise en place de la population se situe entre le 15e et le 17e siècle (Seignobos, 2000). Celle-ci a développé une multitude de techniques pour s’adapter, lesquelles se sont diversifiées et renforcées au fil des années avec l’amélioration en continu de la perception des risques. Cette région fait aujourd’hui face aux changements climatiques. Le phénomène n’est pas encore suffisamment cerné par l’ensemble des acteurs et actrices. Il s’agit alors d’un problème supplémentaire pour ces populations qui vivent déjà dans un état de vulnérabilité avancée.

Données et analyses

L’étude jumelle les données quantitatives et qualitatives. Constituées essentiellement des mesures des pluies journalières et des températures moyennes mensuelles, les mesures climatiques couvrent six stations pour une période variable entre 1948-2015. Le traitement de ces données permet de mettre en évidence les différentes tendances climatiques. Ces dernières sont observées au plan décennal, interannuel et saisonnier. Les applications XlStat, Excel et KhronoStat ont permis de calculer différents indices et de construire les figures qui accompagnent le texte. D’autres données sont issues des observations de terrain menées entre 2015 et 2018. L’application d’un questionnaire aux parties prenantes et les enquêtes semi-structurées constituent l’essentiel de ces investigations.

Il est à noter que la région de l’Extrême-Nord du Cameroun a fait l’objet d’un grand nombre d’études qui concernent aussi bien le climat que la vulnérabilité des populations aux aléas naturels. Pour ce qui est des risques, quelques travaux (Anougue Tonfack et al., 2013; Saha et al., 2017) relèvent différents facteurs de vulnérabilité. Le projet REPECC (Résilience des Populations aux Effets des Changements Climatiques) a produit aussi un ensemble de données sur le climat et les risques dans la région de l’Extrême-Nord. Ces données constituent le cadre de compréhension et d’analyse des résultats de cette étude. Il en est de même des données socioéconomiques et démographiques produites majoritairement par l’INS (Institut National de la Statistique) et le BUCREP (Bureau Central du Recensement et d’Études de la Population). Les plus récentes sont contenues dans les rapports du quatrième ECAM (Enquêtes Camerounaises Auprès des Ménages) et reprises par le rapport national sur les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) publié en 2015.

Résultats

Contexte général d’incertitude climatique

Il est aujourd’hui admis à plus de 90%, et ce malgré la réticence des climato-sceptiques, que le rythme et l’ampleur des changements que connaît le climat de la planète sont inédits. La responsabilité de l’humain dans cet état de choses est établie avec le même niveau de certitude. Seulement, l’évaluation des changements et les simulations sont frappées de la concordance/discordance des observations, des théories et modèles mis en œuvre (Kergomard, 2012). La difficulté des parties membres de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) rend compte des divergences quant aux enjeux. L’échec de la conférence de Copenhague en 2015 et le discrédit entretenu par certains milieux au sujet du GIEC (Groupe Intergouvernemental des Experts sur l’Évolution du Climat), reproché de parti pris, sont quelques angles de compréhension. Le GIEC s’est en effet rendu coupable d’une mauvaise appréciation de nombreux faits, la fonte des glaciers de l’Himalaya notamment. C’est dans ce contexte que les critiques des rapports de cette institution ont été produites avec une extrême sévérité. Ce débat est aussi alimenté par l’absence de scientificité des rapports des Organisations Non Gouvernementales (ONG) de protection de la nature qui font essentiellement un travail militant.

Néanmoins, on observe un consensus autour de plusieurs éléments. Tous les milieux s’accordent à reconnaître l’augmentation des températures. Le GIEC (2007) fait état d’une augmentation de 0,65 °C entre 1961 et 2003. Ce changement concerne plus les terres que les mers, l’hémisphère nord que l’hémisphère sud. La diminution des couvertures neigeuses est aussi une réalité. La banquise a perdu près de 40% de sa superficie en quatre décennies. La remontée du niveau de la mer suit un rythme de 1,8 mm/an entre 1961 et 2003 (GIEC, 2007) et affecte diversement les pays du monde. Le profil des précipitations est moins linéaire. Les zones géographiques du monde sont diversement affectées. L’Afrique, le bassin méditerranéen et l’Asie du Sud connaissent essentiellement la diminution des quantités tandis que le reste de l’Asie, l’Europe et les Amériques assistent aux augmentations. L’ampleur de ces changements affecte les précipitations et est moins maîtrisée : ces situations moyennes cachent bien de réalités internes à chaque région.

Les changements climatiques affectent l’Afrique à travers l’augmentation des températures et le dérèglement des précipitations. Notons qu’il s’agit de deux éléments du climat naturellement instables aussi bien aux échelles temporelles que spatiales. Les communautés disposent alors de quelques approches empiriques de prévision pour planifier leurs activités. Dans la zone du lac Tchad par exemple, le mouvement des étoiles et de la lune, le mouvement des oiseaux, l’orientation de leur nid et le moment de leur reproduction sont des facteurs qui permettent de faire les prévisions sur les précipitations jusqu’au pas de temps journalier. L’annonce des changements climatiques, avec l’entrée en scène de nouveaux facteurs, contribue au forçage du système et remet en cause ces techniques. En outre, les milieux scientifiques sont incapables de fournir à temps l’information pour orienter le système de production.

Incertitudes sur le climat de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun : divergences de perception

L’angle du passé et les prévisions sur le climat de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun permettent de mettre en exergue quelques dissonances. La pertinence de ces études tient de la place qu’elles occupent dans l’orientation des politiques économiques et d’aménagement de l’espace. La perception est la représentation que l’on se fait d’un objet. Elle est construite par la conscience à partir des sensations (Guillou & Moingeon, 2000). Cette entrée a permis de produire une importante littérature sur les changements climatiques; la climatologie met ainsi l’humain au centre des investigations. Dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, plusieurs institutions comme le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUD), le Ministère de l’Environnement, de la Protection de la Nature et du Développement Durable (MINEPDED) et la Coopération allemande (GIZ, 2013) ont consulté les populations pour avoir leurs appréhensions psychologiques et même leurs interprétations techniques des changements climatiques. Globalement, les membres des communautés consultées ne s’accordent que très peu sur l’évolution interannuelle de leur climat. Certains le trouvent plus chaud, d’autre plus froid, certains plus pluvieux, d’autres moins (figure 2). Certains critères (sexe, âge, activité, ambition, nombre d’années passées dans la zone,  etc.) sont évoqués pour expliquer ces divergences.

Figure 2. Perception des changements climatiques par les populations dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun.
Source : Enquête de terrain, 2017

Au plan spatial, une certaine variabilité du climat est observable à l’échelle de la région quoiqu’il se dégage aussi des divergences au sein des populations du même arrondissement. L’orientation des politiques de construction de la résilience des populations adopte forcément l’avis de la majorité qui perçoit le climat plus chaud et plus sec. Le problème vient du fait que ces stratégies pénètrent difficilement les populations aux avis contraires.

Divergence entre rapports et données d’observation

Les échelles saisonnières, interannuelles et décennales présentent un intérêt certain dans la planification des activités et l’aménagement du territoire. De manière rétrospective, on s’accorde sur l’existence d’une sécheresse qui a débuté au début des années 1970 dans toute la partie sahélienne de l’Afrique. On peut le voir avec les données de deux stations de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun (figure 3).

Figure 3. Test d’homogénéité sur les précipitations de Yagoua et Kaélé (Source : Frédéric Saha, figure originale).

Cette situation ressort de l’ensemble des données d’observation de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Une tendance au retour de l’humidité se dessine à partir du milieu des années 1990 sans que le niveau d’avant 1970 ne soit encore atteint (tableau 1).

Il faut remarquer que ces observations ne sont pas toujours en concordance avec les prévisions proposées par les différentes institutions. Le PNUD a conclu en 2008 à la baisse des précipitations au Cameroun suivant une cadence de -2,2% par décennie (depuis 1960) en ignorant ainsi le retour de l’humidité déjà assez documenté à l’échelle régionale. Dans la même orientation, le MINEPDED, dans la cadre du Plan National d’Adaptation aux Changements Climatiques (PNACC), parle d’une baisse de 4,07% par décennie au cours des six dernières décennies pour la zone soudano-sahélienne du Cameroun. En ignorant la spécificité de la période actuelle. Ces deux évaluations orientent les politiques vers l’adaptation à un environnement plus sec dans la région de l’Extrême-Nord; pourtant, la réalité est tout autre. Le milieu scientifique éprouve ainsi de la peine à se défaire de l’idée reçue et entretenue pendant la période de péjoration, laquelle considère avec caricature que la zone sahélienne est condamnée à la baisse des précipitations.

Sur le plan prospectif, le Climate Service Center (CSC) a proposé en 2013 différents scénarios sur le bassin du Congo. La zone soudano-sahélienne du Cameroun fait partir de la zone 1. Ici, l’orientation (baisse ou augmentation) du changement dans le scénario de faible émission comme celui de forte émission n’est pas connue. Ce sont des intervalles qui sont proposés : -4 à 17 à l’horizon 2050 et -14 à 18 pour 2100. Dans la mesure où leur période de référence est 1961-1990, on peut déjà faire quelques observations à la lumière des données disponibles (1991-2015).

Tableau 2. Projections des précipitations moyennes annuelles dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun (source : service régional de la météorologie de l’Extrême-Nord, 2017).
Station Référence 1961-1990 Observation 1991-2015 Taux (%) Projection en 2030 (-10 à 15)
Maroua 770 837 8,7 693 à 886
Yagoua 716 751 4,88 645 à 823
Kousséri 470 552 17,45 423 à 540
Kaélé 779 842 8,08 701 à 895
Mora 618 764 23,62 556 à 711
Mokolo 946 964 1,87 852 à 1088
Moyenne 716 785 10,77 645 à 823

Les six stations prises en compte font état d’une augmentation des quantités de précipitations dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Remarquons que les années 2016, 2017 et 2018 ont été également très humides. À l’horizon 2020, la question sur l’orientation des précipitations reste intacte. La largeur des intervalles rend compte de la prudence des expert.e.s et ne fournit malheureusement pas d’informations utiles. La question se pose aussi sur la variabilité du nombre de jours pluvieux, la durée des saisons, les fréquences des évènements extrêmes et des pauses pluviométriques qui sont autant de paramètres utiles à la planification de l’adaptation aux risques naturels.

Incertitudes climatiques comme contraintes à l’adaptation aux risques

Les trois dimensions de l’adaptation (préventive, réactive et de réhabilitation) sont autant de fenêtres de compréhension de l’incidence des incertitudes climatiques. Aucun.e acteur.rice n’échappe à cette réalité des faits. L’évaluation des risques est un axe majeur de la prévention des catastrophes. Différents cadres d’action (la décennie mondiale de la prévention des catastrophes, le cadre d’action de Yokohama, de Hyōgo et de Sendaï) la mentionnent comme relevant de la responsabilité des États. Au Cameroun, le plan national de contingence attribue cette responsabilité à l’Observatoire National des Risques (ONR). Mis en place en 2003, cet organisme a pour mission : « la collecte, la gestion et la diffusion des informations sur les risques naturels, technologiques, industriels et anthropiques » (Cameroun, Arrêté no 037/PM, 19 mars 2003, Art. 2, alinéa 1). L’ONR s’appuie sur les organismes techniques à l’instar du service de la météorologie, de l’Observatoire National sur les Changements Climatiques (ONACC), de l’Institut National de la Cartographie, de l’Institut des Ressources Géologiques et Minières (IRGM), du Centre des Recherches Hydrologiques (CRH), etc. En ce qui concerne le climat, aucune institution ne dispose à ce jour d’un solide réseau de collecte de données. Dans la région de l’Extrême-Nord, seulement 15% des stations climatiques et météorologiques sont fonctionnelles. L’État central n’a pas considéré à sa juste valeur le besoin de données dans la stratégie de réduction des risques. En outre, l’appropriation des données satellitaires est encore très faible. Dans ces conditions, l’ONR s’appuie essentiellement sur les prévisions des organismes tels que le PNUD et le CSC. Pourtant, leurs analyses sont imprécises et inappropriées à la prise de décision. Ainsi, la prise en compte des données climatiques dans la mise en place d’infrastructures est approximative. Quelques cas pratiques permettent d’étayer ce point de vue.

Les inondations de 2012 au Cameroun, Tchad, Nigéria, Niger, Burkina Faso et Sénégal restent dans la mémoire de nombreux Africain.e.s de la zone tropicale (OCHA, 2012). C’est l’une des plus graves catastrophes hydroclimatiques de ces dernières années. Dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, on a dénombré près de 20 morts et 20 000 déplacés avec des pertes matérielles estimées à plus d’un milliard de F CFA. Face à cette catastrophe, le gouvernement a alors pris acte du retour de l’humidité, mais aussi de l’état défectueux des ouvrages hydrauliques de protection. Le projet d’urgence de lutte contre les inondations (PULCI) est lancé en 2013. Il est question d’adapter les infrastructures au nouvel ordre climatique caractérisé par la fréquence d’années de pluviométrie excédentaire avec occurrence des phénomènes extrêmes. Le calibrage des digues est confronté à l’absence et/ou l’insuffisance de données hydropluviométriques de longue durée pour la modélisation. L’ouvrage mis en place par le Cameroun ressemble à celui du Tchad avec une surélévation de 2 cm. Notons cependant que le Tchad dispose d’une meilleure série de données sur les débits du Logone.

En 2013, 2015 et 2017, la région de l’Extrême-Nord du Cameroun est une fois de plus frappée par des inondations meurtrières. Les populations situées sur le long du Logone sont plus touchées. Si les arrondissements qui accueillent les ouvrages du PULCI ont été épargnés, ce sont les villages en aval de la digue (Patmangaï par exemple dans l’arrondissement de Zina) qui sont de plus en plus exposés. On pourrait parler d’un transfert de risque ou de mauvaise adaptation au vu de cette situation où la protection de certaines communautés condamne les autres. En effet, les arrondissements de Yagoua, Vélé, Kaikai et Maga ont connu, dans le cadre du PULCI, une réduction substantielle de leur vulnérabilité aux inondations. La commune de Zina, quant à elle, est plutôt de plus en plus touchée. Cela menace la vie et les moyens de subsistance de milliers d’agriculteurs et agricultrices, d’éleveurs et éleveuses et de pêcheurs et pêcheuses.

Dans leur débrouillardise, pour faire face aux excès et limitations de leur environnement, les populations sont aussi confrontées à cette incertitude climatique. Les populations de l’arrondissement de Zina ont décidé en 2016 de ne pas repiquer le riz par crainte d’excès pluviométriques (Laborde et al., 2018). Cette prudence s’est révélée inutile, car ce fut une année sans excès de précipitations. Ainsi, les sorties médiatiques sur les changements climatiques, sans véritable orientation, amènent les populations à perdre confiance en leurs connaissances ancestrales, c’est-à-dire à la compréhension de leur environnement qu’elles ont apprise auprès de leurs ancêtres. Les errements liés aux incertitudes climatiques sont d’autant plus préjudiciables dans le domaine économique. À l’échelle saisonnière, les données sur le retour des précipitations, la durée de la saison des pluies et l’existence de séquences sèches sont autant de paramètres vitaux à la planification de l’activité agricole, gage de la résilience.

Promouvoir les approches locales d’adaptation au détriment du top-down

L’adaptation est un processus suffisamment complexe. Lorsque la disponibilité des données n’est pas réelle, la mauvaise adaptation est inévitable. En outre, il faut faire la différence entre les projets géopolitiques comme les digues et les réponses aux besoins des populations (Magrin, 2016). La région de l’Extrême-Nord du Cameroun met en exergue l’échec des politiques de type top-down dans la plaine de Waza Logone (Laborde et al. 2018). Il s’agit d’un environnement assez complexe où l’État a entrepris quelques projets dont on pourrait questionner la pertinence. La lutte contre les inondations, soutenue par les autorités, s’inscrit en contradiction avec les aspirations des communautés locales qui entendent vivre avec celles-ci.

Cette divergence entre les aspirations des populations et l’orientation des politiques publiques est aussi observée dans la vaste campagne de construction de petits barrages le long du Mayo Tsanaga. Les populations de l’arrondissement de Bogo, en aval de ce cours d’eau intermittent, s’opposent à ces projets. En effet, ces derniers attendent l’arrivée de l’eau pour la recharge de la nappe phréatique et les cultures maraîchères. Les obstacles à l’écoulement du Mayo Tsanaga plongeraient les populations de l’arrondissement de Bogo dans la sécheresse. Ces deux exemples invitent à une meilleure collaboration entre les autorités et les communautés locales bénéficiaires. L’approche bottom-up, ou plutôt l’autonomisation des communautés locales, est un gage d’efficacité dans l’adaptation aux risques et à la construction de la résilience.

Conclusion

Ce texte avait pour objectif de mettre en évidence le contexte d’incertitudes climatiques en zone soudano-sahélienne au Cameroun dans l’optique de montrer leur incidence sur l’adaptation aux risques naturels. Il ressort qu’il est difficile de dresser le profil des précipitations dans cette zone. Les perceptions des communautés sont divergentes. Entre les données d’observation et les prévisions par les centres de recherche spécialisés, il est difficile de se faire une idée assez solide. Le Cameroun fait globalement face à un problème de disponibilité de données de longues durées aussi bien sur les paramètres climatiques qu’hydrologiques. Dans ce contexte, la prise de décision pour des actions préventives contre les risques naturels n’est pas suffisamment éclairée. L’annonce d’un changement de grande ampleur détourne les populations de leurs connaissances ancestrales sans qu’une véritable alternative leur soit proposée. Même si l’atmosphère est un KO, les pays en développement ont encore beaucoup d’efforts à faire pour affiner leurs prévisions. Or, les connaissances endogènes représentent un atout qui doit être valorisé pour faire face au problème.

Références

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Cameroun, Arrêté no 037/PM du 19 mars 2003 portant création, organisation et fonctionnement d’un Observatoire National des Risques.

CBLT. 2010. Création et vulgarisation d’une charte de l’eau du lac Tchad Phase 1 – Diagnostic A – Les défis de gestion de l’eau et des écosystèmes à relever en commun. Version définitive, 177p.

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Morin, Serge. 2000. Géomorphologie. Dans C. Seignobos et O. Iyébi-Mandjek (dir.), Atlas de la province de L’Extrême-Nord du Cameroun (p. 7-17). Paris : Editions de l’IRD.

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  1. Ce taux est de 37,5% à l’échelle nationale.

Pour citer cet article

SAHA, Frédéric. 2019. Adaptation aux risques naturels et incertitudes climatiques en milieu soudano-sahélien au Cameroun. NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables, 1(1), 157-173. DOI : 10.46711/naaj.2019.1.1.8

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La revue NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

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ISSN : Version imprimée

1840-9865

ISSN : Version en ligne

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