La dynamique des températures et ses risques pour les populations de Djibouti dans le contexte du réchauffement global

Moustapha NOUR AYEH

 

La communauté scientifique s’accorde de plus en plus sur la question du réchauffement de notre planète, phénomène déjà envisagé en 1896 par le Suédois Svante Arrhénius[1] : « On a effectivement observé une augmentation de la température moyenne du globe estimée à 0,8°C (à plus ou moins 0,2°C près), depuis un peu plus d’un siècle » (Petit, 2016, p. 5). Dans le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le réchauffement du climat est « sans équivoque ». Le défi de limiter à 2 °C cette hausse de la température du globe est de plus en plus hors de portée. Pourtant, ce réchauffement du climat est responsable de plusieurs anomalies thermiques qui ont des conséquences catastrophiques sur les populations. L’élévation des températures est la plus évidente; le centre national de données climatologique de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) indique que les 5 années les plus chaudes depuis 1880 se concentrent à partir de 2012. Ce réchauffement s’accompagne d’événements extrêmes de plus en plus fréquents (vagues de chaleur, dilation des océans et risques côtiers, fonte des glaciers, cyclones plus puissants, sécheresses catastrophiques).

Malgré de très faibles émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique est considérée comme la principale victime du réchauffement climatique (GIEC, 2018). Pour la grande région de l’Afrique de l’Est (du Soudan à la Tanzanie), la synthèse qui a été faite sur les tendances climatiques montre une décroissance des précipitations corrélative à une augmentation des températures (Philip Aming’o Omondi et al., 2014).  La station de Djibouti, selon la classification de Kopping, est dans la zone aride bien qu’elle se trouve seulement à mi-distance de l’équateur et du tropique du cancer (11,4° N). En pleine zone tropicale, cette ville devrait particulièrement être exposée au problème de l’augmentation des températures. Les tendances à la raréfaction des précipitations, surtout depuis les vingt dernières années, ont été démontrées (Ozer et Mahmoud, 2013). D’un point de vue thermique, la dangerosité des températures a été évaluée (Nour Ayeh et Ali Sougueh 2015, p. 2017). Pourtant, une approche globale sur la température qui approfondit la question à la lumière du réchauffement climatique n’a pas encore été appliquée. Cette connaissance est fondamentale en termes de santé publique. En effet, « la mortalité est l’un des impacts sociétaux directs de la chaleur » (OMM, 2015, p. 4). Cet article se propose donc d’évaluer l’évolution des températures et leur éventuelle augmentation sur au moins une cinquantaine d’années, tout en esquissant les problèmes qu’elle pose à la population.

Pour une première approche des questions thermiques, nous disposons des températures enregistrées à la station de Djibouti aérodrome de 1960 à 2015 (sur 54 ans précisément) par l’agence météorologique de Djibouti. Ces températures concernent les maximales, les minimales et les moyennes. En théorie, nous disposons un peu plus de 62 000 valeurs de température. En outre, nous y associerons les relevés d’humidité relatifs aux dix dernières années (2006-2015) pour mieux estimer les vagues de chaleur et le risque qu’elles peuvent représenter pour les populations. L’étendue de la période d’étude devrait permettre de dégager, si possible, des tendances. La première partie consistera à dégager les caractéristiques thermiques de la station qui seront appréciées dans un contexte régional. La seconde partie s’articulera sur l’évolution des températures moyennes annuelles, maximales et minimales.

Djibouti, une ville déjà caniculaire

Répartition des températures dans la corne de l’Afrique

Au niveau de la planète, les températures se répartissent d’une manière zonale avec une décroissance de l’équateur aux pôles. Cette répartition s’explique par le fait que les basses latitudes reçoivent plus d’énergie solaire par rapport aux régions de moyenne latitude et, encore plus, par rapport aux régions polaires. Dans quelques régions du globe, cette règle (organisation latitudinale des températures) n’est pas respectée, on parle alors d’anomalie climatique ou d’azonalité du climat.

Figure 1. Distribution de la température en Afrique de l’Est.
Source : Données climat-data, cartographie Nour Ayeh, sur Qgis, interpolation IDW

La grande région de l’Afrique de l’Est est bien connue dans ces exceptions. En effet, elle présente une distribution des températures longitudinales (figure 1). L’ensemble de la côte connaît des températures moyennes annuelles supérieures à 29°C avec des étés particulièrement caniculaires. Ce sont surtout les rivages de la mer Rouge (où se situe Djibouti) et du golfe d’Aden où les températures sont les plus élevées. La température moyenne la plus élevée (30,3°C à Assab en Érythrée) est donc relevée sur ces rivages de la mer Rouge. Le régime des températures présente une distribution classique avec des étés très chauds (36,65°C en juillet à Berbera) et des hivers relativement cléments (25°C de moyenne en janvier à Berbera).

En revanche, les zones centrales sont particulièrement tempérées, au sens climatologique du terme. Addis-Abeba a une température moyenne annuelle de 16,3°C, Dessié – un peu plus au nord – enregistre une moyenne 15,2°C et 16,8°C pour Eldoret au Kenya. Dans les deux premières villes, la température du mois le plus chaud ne dépasse pas 18°C, limite « proposée par W. Köppen au début du XXe siècle, l’isotherme 18°C pour le mois le plus frais est la plus communément admise pour délimiter la zone chaude » (Planchon, 2003, p. 3). Par cette seule caractéristique, cette zone d’Afrique de l’Est échappe donc au domaine tropical (où aucun mois n’enregistre une valeur inférieure à 18°C). D’ailleurs, dans la classification de Köppen, ces régions de hautes terres éthiopiennes et kényanes sont classées comme tempérées (Cw). Pourtant, elles présentent un régime thermique de type tropical. En effet, les températures maximales se concentrent avant le solstice d’été, comme les stations tropicales classiques (à Addis-Abeba, le mois le plus chaud est mars comme à Eldoret).

Là où les températures sont les plus faibles, dans les régions centrales précisément, l’amplitude thermique annuelle est aussi très faible (4,3°C à Dessié, 3°C à Addis). Elle se rapproche de celle observée dans une station équatoriale (Kisumu, 1,9°C) et reste largement en deçà de l’amplitude diurne. Ce comportement est conforme au principe de Troll selon lequel l’amplitude diurne « dépass[er]ait l’amplitude annuelle, approximativement, pour tout l’espace compris entre les Tropiques » (Péguy, 1961, p. 1). Les régions centrales ont donc encore une caractéristique tropicale.

Par contre, les régions très chaudes présentent les amplitudes thermiques annuelles les plus fortes (11,7°C à Berbera et 10,2°C à Massawa) au point d’équivaloir aux amplitudes diurnes. Si l’on se penche sur les différences entre températures maximales et minimales, nous avons une autre information intéressante. L’écart entre les deux (max. et min.) est bien plus important dans les zones tempérées centrales que dans les zones chaudes de la mer Rouge et de l’océan Indien. Les deux dernières zones n’ont pas pourtant le même profil. Les stations de la côte somalienne ont plus un comportement de type équatorial, c’est-à-dire qu’elles sont marquées par de fortes chaleurs (sans excès pour autant) sur l’ensemble de l’année. Par contre, les stations de la mer Rouge (Assab, Berbera, Djibouti) présentent des étés particulièrement caniculaires (avec des moyennes dépassant les 34°C). La faiblesse des différences entre les maximales et les minimales en mer Rouge laisse supposer un fort effet de serre de la vapeur d’eau issu de la forte évaporation; d’autant plus que la mer Rouge reste une des mers les plus chaudes du globe, surtout dans sa partie sud. Évoquant la mer Rouge et le Golfe persique, Sanlaville note que « leur présence ne contribue qu’à augmenter l’humidité atmosphérique […] qui rend alors la chaleur particulièrement pénible » (Salanville, 1988, p. 13). Il y a une sorte d’ambiance de sauna qui se crée sur ces rivages, particulièrement en été.

Cette organisation longitudinale des températures découle totalement de l’organisation du relief mis en place par le Grand Rift est-africain qui a faillé l’Afrique de la mer Rouge au Mozambique il y a 30 millions d’années. « Dans cette Afrique des rifts, à structuration méridienne plus que latitudinale, les terres d’altitude sont généralement qualifiées de hautes terres quand il s’agit de plateaux élevés » (Bart, 2006, p. 235) et parsemés de pics volcaniques très élevés eux aussi (Mt Dachan à 4 620 m, Mt Balé à 4 307 m, Mt Kenya à 5 200 m. Les zones fraîches, pour ne pas dire froides, se calent dans les hautes terres d’Éthiopie et du Kenya. Les zones caniculaires, quant à elles, se trouvent en contrebas de ces hautes terres, dans une situation d’abri, par rapport aux masses d’air humides.

Djibouti : des températures non conformes à sa latitude

Au niveau thermique, la ville de Djibouti enregistre des valeurs les plus élevées. Avec 30,2°C de moyenne annuelle, c’est la capitale la plus chaude d’Afrique et au niveau régional, elle est à peine dépassée (0.01°C) par sa voisine Assab. L’amplitude thermique annuelle est une des plus importantes de la région (10,2°C) au point où elle dépasse les amplitudes diurnes. Le mois de juillet, le plus chaud (plus de 36°C) est caniculaire. Les hivers restent assez doux (25°C de moyenne en janvier). Sur une année, seulement de 7,01°C sépare la moyenne des maximales et la moyenne des minimales. Cela résulte de la température minimale encore plus élevée relativement aux températures maximales des autres villes. L’effet de serre, dû à la vapeur d’eau, joue donc un rôle primordial à Djibouti.

À la latitude de Djibouti (11,5°N), le climat dominant devait être le climat de type tropical à deux saisons (une saison des pluies et une saison sèche). Lorsqu’on étudie l’évolution des températures mensuelles, comparée à une station tropicale à double saison (figure 2), nous remarquons que les mois les plus chauds se retrouvent en été (de juin à septembre). La ville tropicale connaît des maxima de température juste avant le solstice d’été. À la même latitude en Afrique de l’Ouest, l’arrivée du solstice d’été coïncide avec l’hivernage. La nébulosité réduit donc la radiation solaire et abaisse les températures.

Figure 2. Températures moyennes à Djibouti et à Bamako.
Données : climat-data

Pour Djibouti, si les masses d’air viennent bien du sud-ouest (sorte de mousson d’Afrique de l’Est), elles sont freinées par la masse des hautes terres éthiopiennes. Sur ces terres, un fort effet orographique favorise une forte nébulosité et des précipitations abondantes qui abaissent les températures (figure 3). Une fois cette barrière franchie, ces masses d’air ont deux caractéristiques défavorables à Djibouti : elles sont sèches et subsidentes. Dans cette configuration géographique, les masses d’air descendant des montagnes se réchauffent « davantage dans leur descente qu’elles ne se sont refroidies dans la montée, car le gradient adiabatique, obligatoirement sec dans cette descente est plus grand que le gradient en partie humide (et plus faible) de la montée » (Jouxtel, 2009, p. 89). Autrement dit, les masses d’air connaissent un réchauffement intense lors de leur descente dans la dépression de l’Afar où se situe Djibouti. Cette dernière connaît donc une augmentation de la radiation solaire (solstice d’été oblige) et des vents secs subsidents qui empêchent la formation de nuage. Ce double phénomène est responsable des canicules estivales.

Figure 3. Situation climatique en été dans la zone où se situe Djibouti (7 juillet 2018).
Croquis : Nour Ayeh, données Windy

Des risques sanitaires évidents

Nous nous sommes basé sur deux indices pour évaluer le risque que présente la chaleur pour les populations : l’indice d’inconfort et l’indice de chaleur. Les deux indices sont assez pratiques parce qu’ils ne combinent que deux paramètres climatiques (les températures et l’humidité relative). Ils partent du constat que l’humidité joue un rôle dans l’impact des températures sur les corps, car « l’effet de la température sur la mortalité est modifié par l’humidité qui a tendance à l’amplifier » (Slama, 2018). Par exemple, une forte humidité rend plus dangereuses les fortes chaleurs parce qu’elle contrecarre le processus régulateur de la sudation. Pour le calcul, nous avons utilisé les mêmes données d’humidité et de température de tous les jours entre 2006 et 2015

Inconfort des températures

L’indice d’inconfort de Thom ou indice thermo-hygrométrique (THI) combine les deux paramètres avec la formule suivante (équation 1). Toute la population ressent un inconfort lorsque l’indice dépasse 29. « Par convention, le seuil critique (medical emergency level) est fixé à 32°C pour DI » (Besancenot, 2002, p. 226). Autrement dit, un indice dépassant les 32 met en danger médical les populations. Pour notre station, pour les dix années (2006-2015) dont nous avons les données de température et d’humidité, pour chaque année, plus de la moitié des jours présente un indice supérieur 29. Et un tiers des jours dépasse le seuil de 32. Ces jours se concentrent durant les mois d’été (mai, juin, juillet, août, et septembre). Plus préoccupant, c’est l’augmentation de la fréquence des jours où l’indice ne passe pas sous les 29 durant toute la journée (figure 4). L’on sait que la mortalité est plus élevée dans deux conditions : d’abord en zone urbaine (à cause de l’îlot de chaleur que représentent ces entités géographiques) et durant la nuit en cas de maintien de la chaleur qui empêche les personnes de récupérer. En considérant ces deux conditions à Djibouti, nous pouvons en déduire que la situation climatique y est indubitablement délétère. Les trois plus importants indices ont été enregistrés en 2012, 2013 et 2015 et montrent une forme d’aggravation de la chaleur.

Équation 1. Indice thermo-hygrométrique

Figure 4. Nombre de jours avec un THI supérieur à 29 à l’aube.

Des indices de chaleur élevés

Pour estimer la température ressentie, nous avons utilisé l’indice de chaleur en nous basant sur le modèle de Steadman (équation 2). « L’indice de chaleur est couramment utilisé aux États-Unis d’Amérique et il est tout particulièrement pertinent quand la température est supérieure à 26°C (80°F) et que l’humidité relative atteint au moins 40% » (OMM, 2015, p. 18). D’après ce modèle, les êtres humains sont en situation de danger lorsque l’indice (qui se veut comme une approximation valable de la température que ressent le corps) atteint 40. Et lorsque l’indice dépasse les 50, les individus se trouvent en situation de danger absolu. Nous sommes à la recherche de deux informations : la récurrence de vague de chaleur (le calcul de l’indice de chaleur est à 15h), la persistance de cette chaleur dure toute la journée (et donc l’indice de chaleur est à 6h).

Équation 2. Indice de chaleur (HI)
Hi = c1 c2T c3R c4TR c5T² c6R² c7T²R c8TR² c9T²R²

où T = la température en Fahrenheit

R = l’humidité relative

c1 -42.379 c5 = -6.83783. 10-3
c2 2.04901523 c6 = -5.481717.10-2
c3 10.14333127 c7 = 1.22874.10-3
c4 -0.22475541 c8 = -1.99.10-6

L’indice de chaleur dépasse les 40 sur plus de 50% des jours de l’année (le maximum est de 57% pour 2015). Par contre, cette chaleur dangereuse impacte inégalement les mois de l’année. Si décembre et janvier sont largement épargnés (moins de 1% de leurs jours sont affectés par cette chaleur), les mois d’été restent particulièrement pénibles. Plus de 92% des jours de mai à septembre (inclus) ont un indice de chaleur supérieur à 40. Autrement dit, la quasi-totalité des jours sur cinq mois affiche des températures (ressenties) humainement insupportables. Et durant ces mêmes mois, pour un tiers de ces jours, la valeur d’extrême danger où toute activité doit cesser (HI > 50) est dépassée (figure 5). Cette chaleur déborde sur les mois d’octobre et d’avril, et même novembre, où plus de la moitié des jours sont thermiquement pénibles.

Figure 5. Nombre de jours thermiquement dangereux pour les populations (HI 40).

Ces valeurs de température (issues de l’indice de chaleur) interrogent même la notion de vague de chaleur à Djibouti, notion qui ne semble plus pertinente ici. Les vagues de chaleur sont des « épisodes de temps inhabituellement chaud et sec ou chaud et humide qui commencent et prennent fin de manière imperceptible [et] qui durent au moins deux à trois jours » (OMM, 2015, p. xiii). Faute d’élaboration d’une définition nationale, nous ne pouvons que constater que la définition de l’OMM[2] ne s’applique pas à Djibouti. La persistance sur des mois (et sans interruption aucune) de forte chaleur nous incite plus à penser que nous avons à faire à une sorte de « sauna climatique » sur l’ensemble de la ville durant au moins cinq mois de l’année.

Un autre élément qui confirme la dangerosité des températures de la station de Djibouti est la persistance de la chaleur durant toute la journée. En cela, les calculs de l’indice de chaleur à 6h du matin sont formels. En 2006, nous n’avions que 6 jours avec un HI supérieur à 40. Ce chiffre a régulièrement augmenté jusqu’à 27 en 2012 avant de s’établir à 5 en 2015 (année qui enregistre pourtant le troisième HI le plus important de la décennie). Ces valeurs indiquent que, durant toute la journée, les corps sont dans l’incapacité de récupérer (hors climatisation).

L’indice de chaleur va dans le même sens que l’indice d’inconfort (THI). L’évolution des températures, dans le cadre du processus de réchauffement, est donc potentiellement porteuse de catastrophes encore plus dramatiques. Mais à quel degré ces températures ont-elles augmenté depuis les cinq dernières décennies?

Djibouti, une ville de plus en plus caniculaire

Il existe deux façons de rendre compte de l’évolution des températures. La première est de suivre l’évolution des températures de 1961 à 2015 et calculer accessoirement l’augmentation (en %) de ces températures. La seconde est de considérer les anomalies thermiques, c’est-à-dire l’écart à la moyenne de la période, des températures moyennes annuelles.

Augmentation généralisée des températures

L’évolution des températures sur plus de 50 ans montre une augmentation régulière des trois types de températures retenues (T°max, T°min et T°x). Les trois tendances sont quasiment identiques. En étudiant les droites de régression linéaire, les pentes affichent toutes 0,027, soit 2,7°C d’augmentation en 100 ans. Entre le début de la période et la fin de cette même période, la température moyenne annuelle a pris 1,46°C (28,68 dans la décennie 60 contre 30,14 durant la dernière période). Par période pourtant, cette augmentation est loin d’être régulière pour les trois types de température. L’étude approfondie (tous les cinq ans) montre une légère accélération des températures minimales (tableau 1). Les variations thermiques (rendues en % par glissement quinquennal) montrent une légère accélération des températures minimales ( 0.53% tous les 5 ans) par rapport aux températures maximales (0.48%). C’est surtout depuis les années 90 que ces températures minimales ont eu tendance à s’accroître plus vite que les autres.

Tableau 1. Évolution des températures à la station de Djibouti 1961-2015 (source : données agence météo de Djibouti)

T° moyenne

T°C max

T°C min

61-65

29,68

33,5

25,9

2011-2015

31,14

35

27,3

% d’augmentation quinquennale

1961-2015

0,48%

0,44%

0,53%

En utilisant les équations issues de ce modèle, nous pouvons dégager la tendance sur les 50 prochaines années, à condition que le réchauffement ne s’accélère pas dans cette région. Dans ces conditions, vers 2065, nous risquons d’avoir, à la station de Djibouti, une température moyenne annuelle de l’ordre de 34°C, ce qui correspond globalement à la moyenne des maximales actuelles. La température moyenne maximale montera à 36,6°C. Quant à la température minimale, elle devrait se situer à 32°C, soit une température supérieure de 1,8°C par rapport à la température moyenne actuelle.

Cette tendance des températures permettra une double extension (du point de vue temporel) des vagues de chaleur. Dans la journée, les nuits risquent d’être plus chaudes et empêcher une bonne dissipation de la chaleur. Et dans l’année, les nuits du mois d’été risquent donc de s’étendre aux mois considérés pour l’instant comme relativement frais. Cette double extension de la chaleur pourrait transformer les risques sanitaires en catastrophes sanitaires.

Figure 6. Évolution des températures 1961-2015. Source : Données fournies par l’agence météo de Djibouti

Anomalies thermiques

Pour mieux faire sortir les tendances thermiques, le calcul des anomalies des températures a été très utile. Ces anomalies sur l’ensemble de la période donnent deux indications (figure 7) en ce qui concerne les périodes. Avant les années 90, les températures moyennes étaient plus fraîches que la normale de la période. Avant 1975 même, aucun mois n’est chaud et sept des huit années les plus fraîches se concentrent de 1961 à 1974). Après les années 90, c’est exactement le contraire qui se produit, la station enregistre rapidement des températures moyennes annuelles élevées par rapport à la normale. Les cinq années les plus chaudes du pays se retrouvent après l’an 2006 (l’année 2013 est la plus chaude jamais enregistrée sur un demi-siècle ( 2,4°C par rapport à la moyenne de la période).

Seconde indication, les profils des deux périodes sont si opposés que nous pouvons avancer que, du point de vue de la température, Djibouti a changé de climat. Et le basculement s’est fait rapidement au début des années 90. Les anomalies sont très importantes entre les deux périodes au point de considérer que l’on a à faire à deux climats différents.

Figure 7. Anomalies thermiques 1961-2015.

Zéro = symbole de la température moyenne de la période 1961-2015

Conclusion

Les valeurs de température que nous disposons indiquent déjà que la station de Djibouti reste une des plus chaudes de l’Afrique (avec plus de 30°C de moyenne annuelle). Cette ville caniculaire est aussi impactée par le réchauffement global. Les températures élevées, qui posent dès maintenant un risque sanitaire aux populations, se sont renforcées depuis les 50 dernières années (d’au moins 1,48°C pour la température moyenne). Et si cette tendance se poursuit, toutes les températures (moyennes, maximales et minimales) devront s’accroître de plus de 2°C pour la température moyenne dans un horizon de 50 ans. Le réchauffement climatique est donc une réalité dans cette ville, si les études – comme celles du GIEC, la dernière en date précisément – pointent les conséquences sur la productivité ou la multiplication de phénomène extrême, à Djibouti la situation pourrait devenir invivable. Pour l’instant, avec les températures ressenties que nous avons calculées avec le modèle de Steenman, seuls les mois d’été ont des températures mettant en danger la vie des êtres humains. Les premières indications montrent que les autres mois ne seront pas épargnés et pour cela, les Djiboutien-ne-s devraient suivre les tendances en matière de température.

D’un autre côté, nous avons noté que l’extension des valeurs dangereuses en matinée pourrait aussi se généraliser. Il nous manque à affiner notre analyse en observant de près les mois impactés par ce réchauffement et étendre l’analyse de la pénibilité des températures sur au moins 50 ans. Une chose est sûre, ces vagues de chaleur posent un problème de santé publique, d’autant plus qu’elles se produisent dans une zone urbaine avec une économie centrée sur les transports. Les chaleurs sont délétères. La canicule de 2003 en Europe a causé, durant la première quinze d’août de cette année, une « augmentation des décès par rapport à la moyenne [qui] a atteint 60% en France entre le 1er et le 20 août selon l’INSERM, soit 14 802 décès supplémentaires » (Bessemoulin et al. 2004, p. 31). Certes le contexte est différent à Djibouti, mais les niveaux de température dans cette ville, ainsi que leur durabilité dans le temps, sont bien plus importants qu’en Europe. Et il serait difficile que cette chaleur laisse indemnes les populations djiboutiennes. Paradoxalement, la mortalité induite par cette chaleur n’est pas enregistrée, ce qui ne permet pas une évaluation exacte de ses conséquences sanitaires. Par conséquent, aucune politique de santé publique n’a été mise en place à ce propos : cela donne donc l’impression que ce risque n’existait pas. Les préoccupations nationales en termes de risques naturels se focalisent sur les inondations (assez marginales) et la sécheresse (qui a plus d’effets négatifs sur les 80% de la population nationale vivant dans les villes), deux risques qui impactent beaucoup moins de population que les températures élevées.

Références

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  1. On the Influence of Carbonic Acid in the Air upon the Temperature of the Ground, Philosophical Magazine, 41, 237-276.
  2. Organisation Mondiale de Météorologie.

Pour citer cet article

NOUR AYEH, Moustapha. 2019. La dynamique des températures et ses risques pour les populations de Djibouti dans le contexte du réchauffement global. NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables, 1(1), 137-155. DOI : 10.46711/naaj.2019.1.1.7

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La revue NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/naaj.2019.1.1.7

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