Représentations et pratiques langagières plurilingues des jeunes tunisien·ne·s

Safa BEN BRAHIM

 

Introduction

L’architecture linguistique plurielle qui caractérise la Tunisie représente un terrain favorable pour une étude sociolinguistique de la pluralité linguistique. En effet, l’idée de ce travail a émergé d’une interrogation incessante sur le paradoxe qui consiste en l’omniprésence d’un métissage de langues chez les locuteur.trice.s tunisien·ne·s d’une part, et le discours puriste et ardent remarquablement présent d’autre part. À la lumière de ces avancées, le présent travail est issu d’une enquête de terrain menée en 2017 auprès de jeunes étudiant·e·s en première année de français à l’Institut supérieur des sciences humaines de Tunis. Le cadre scientifique dans lequel nous travaillons est celui de la sociolinguistique avec une approche sociolangagière qui étudie la conception sociale de la langue et qui s’intéresse aux pratiques linguistiques hétérogènes et sociales de jeunes étudiant·e·s. De ce fait, le choix de l’université comme terrain d’étude ne rélève point du hasard. Il a découlé d’une grande réflexion puisque l’université regroupe les deux pôles majeurs de la recherche qui sont le plurilinguisme et le purisme véhiculés par les jeunes et les enseignant·e·s. En effet, cette étude a pour objectif principal de décrire et comprendre le fonctionnement et le choix du système linguistique pluriel chez des étudiant·e·s de première année fraîchement arrivé·e·s à l’Institut. En deuxième lieu, nous explorerons comment ils ou elles perçoivent ce plurilinguisme en dégageant les représentations et l’image qu’ils ou elles se font de cette richesse linguistique. Enfin, ce qui nous intéresse est le regard que portent les puristes, à savoir certain·e·s enseignant·e·s, sur les productions langagières des étudiant·e·s en essayant de comprendre leurs points de vue vis-à-vis de ce plurilinguisme.

Nous partirons d’un éclairage sociolinguistique sur la situation tunisienne. Nous expliquerons ensuite la méthode de collecte des données et poursuivrons avec la présentation des résultats de l’enquête. Pour finir, nous formulerons une synthèse et une réflexion sociodidactique sur les résultats.

La sociolinguistique tunisienne entre plurilinguisme et purisme

Le parler tunisien, nommé darija, est essentiellement composé de trois langues de « communication quotidienne » : l’arabe, le berbère et le français. Précisons cependant que le français occupe une place de « langue étrangère privilégiée » (Marzouki, 2007) dans la configuration du plurilinguisme en Tunisie. La darija est une sorte de parlure mixte non uniforme et sans orthographe codifiée, une langue qui est parfois « stigmatisée aux yeux de ses propres locuteurs » (Laroussi, 2002, p. 130) et absente de la communication écrite formelle en Tunisie, à savoir de l’enseignement, l’administration, la justice, la politique, etc. Avant 2014, les langues véhiculaires, et notamment le français, se manifestaient davantage à l’écrit qu’à l’oral. Aussi, la langue arabe accaparait formellement les médias, ce qui exposait moins la langue française aux oreilles des Tunisien·ne·s dans les médias locaux. En revanche, suite à la Révolution[1], un changement fondamental s’est opéré à travers un nouveau paysage médiatique et un chamboulement de la situation linguistique en Tunisie : la variété linguistique tunisienne a pu enfin sortir au grand jour, sans tabou. La langue française est désormais employée sans complexe dans les médias (Ben Amor et Mejri, 2013). D’autres facteurs ont contribué de façon importante au changement du paysage linguistique : il s’agit des réseaux sociaux, Facebook et Twitter notamment, ainsi que des SMS et des applications pour smartphone (Bouziri et Chenoufi, 2013). Les jeunes évoluent dans un contexte planétaire d’interactions et de communications dans toutes les langues, au sein duquel l’écrit a peu à peu perdu sa valeur et ses normes. Par conséquent, l’oral s’est libéré de diverses manières (Bouziri et Chenoufi, ibid.).

Cependant, l’idée du plurilinguisme en Tunisie se heurte au discours puriste omniprésent face aux bouleversements occasionnés par la Révolution. Bien que la darija soit la langue vernaculaire par excellence, il n’y a toujours pas de reconnaissance de la légitimité des parlers populaires (Grandguillaume, 2004). Comme le signale Riahi, le phénomène de l’alternance codique est interprété comme étant un signe d’incompétence linguistique en langue française (Riahi, 1970).

Certain·e·s chercheurs et chercheuses ont même décrit le bilinguisme maghrébin (arabophone/francophone) comme médiocre. Pour Garmadi (1972), le bilinguisme parfait arabo-français est ainsi l’exception et non la règle et se limiterait aux élites et à quelques individus doués en langues.

Cadre méthodologique

Nous avons mené cette enquête suivant une méthode empirico-inductive qui « consiste à s’interroger sur le fonctionnement et sur la signification de phénomènes humains qui éveillent la curiosité du chercheur, à rechercher des réponses dans les données » (Blanchet, 2012, p. 30). Afin de bien mener l’enquête, la présence sur le terrain était spontanée. Je me dissimulais derrière le rôle d’une future enseignante observant la manière dont se déroule l’enseignement dans son cadre naturel. Sans matériel sophistiqué, j’ai essayé de comprendre le fonctionnement du mécanisme étudié à partir du système lui-même et des observations réalisées. Le but était d’en extraire le sens plutôt que d’établir des lois à travers la collecte quantitative des données. Les observations ont été menées avec quatre groupes de première année de Licence Fondamentale de Langue, Littérature et Civilisation Française. Chaque groupe comportait une vingtaine d’étudiant·e·s, soit un total approximatif de quatre-vingts étudiant·e·s en première année. La tranche d’âge se situe entre 18 et 21 ans avec une majorité féminine. En revanche, la présence masculine était très minime, moins d’une dizaine, car, traditionnellement, les filières littéraires sont plus fréquentées par les filles[2]. Pour finir, la langue première de tou·te·s les étudiant·e·s est la darija et ils ou elles ont suivi toute leur scolarité dans l’enseignement public. Il est par conséquent fortement probable que ces étudiant·e·s aient reçu approximativement la même formation linguistique à l’école.

Outils de collecte des données

L’observation participante en classe, les questionnaires écrits pour les étudiant·e·s, les entretiens semi-directifs pour les enseignant·e·s, les entretiens collectifs ainsi que les enregistrements spontanés pour les étudiant·e·s et les questionnaires semi-directifs via les réseaux sociaux pour un échantillon plus large sont les moyens utilisés pour mener à bien cette enquête.

L’observation participante s’est déroulée pendant un mois avec une présence journalière auprès de quatre groupes de première année. En effet, nous avons essayé d’observer les phénomènes de l’intérieur tels qu’ils sont produits dans des contextes spontanés avec une prise de notes sur le vif ou en décalé, c’est-à-dire hors de la classe dans un souci de discrétion. Nous avons également mis en place une grille d’observation pour repérer la présence du plurilinguisme en classe, les interactions entre plurilingues et puristes, ainsi que les interactions intraplurilingues ou encore la réaction des enseignant·e·s vis-à-vis de ces pratiques langagières hybrides. Nous précisons cependant que les cours observés sont des cours de français et d’anglais pour recueillir davantage de matière sur les productions langagières. Outre l’observation participante, nous avons opté pour des enquêtes semi-directives en choisissant des questionnaires qui garantissent l’anonymat. Les questions étaient ouvertes afin que les étudiant·e·s se sentent à l’aise pour s’exprimer comme à leur accoutumée. Il s’agissait d’une alternative aux entretiens qui ne s’avéraient pas concluants au regard de la réticence des étudiant·e·s à se faire interviewer. Cependant, nous avons pu tout de même effectuer des entretiens collectifs et des enregistrements spontanés. En effet, les entretiens se sont déroulés dans des contextes informels lors des pauses et des échanges spontanés. Ceux-ci servaient essentiellement à récolter un matériel concret. D’autre part, nous avons effectué des entretiens collectifs dirigés en proposant à des groupes de jeunes de mener une interview enregistrée. Les enregistrements ont été réalisés directement sur l’ordinateur vu que nous n’avions pas besoin d’un matériel sophistiqué.

Concernant les enseignant·e·s, nous avons opté pour des entretiens semi-directifs individuels. Dans le but d’éviter une stérilité fonctionnelle des constatations faites sur l’ensemble des observables et des questionnaires semi-directifs, nous avons eu recours aux questionnaires semi-directifs via les réseaux sociaux. Nous avons pu interroger différentes tranches d’âge avec une large proportion de jeunes issu·e·s de parcours différents et de diverses universités. C’est un choix qui sert essentiellement à éviter l’éventuelle confirmation artificielle des idées préconçues (Blanchet et Chardenet, 2011). En somme, le corpus final recueilli se compose des notes des observations, de 11 entretiens avec les enseignant·e·s, de 40 questionnaires écrits des étudiant·e·s, de 25 questionnaires administrés via les réseaux sociaux et de 13 entretiens collectifs avec les étudiant·e·s de différents contextes. À ce matériau, nous avons parfois ajouté l’enregistrement des discussions spontanées ou d’entretiens dirigés.

La méthodologie d’analyse

Nous avons procédé à une analyse de contenu afin de réaliser une description dépourvue de subjectivité du corpus recueilli. Nous avons en premier lieu écouté et réécouté les entretiens, puis dressé des tableaux qui regroupent les grandes thématiques de la recherche pour avoir une visibilité optimale. Nous avons ensuite transcrit des parties qui semblent être plus importantes que d’autres. L’objectif était de sélectionner les informations saillantes pour en extraire les significations et dégager du sens afin de répondre à notre questionnement de départ.

Résultats de l’enquête semi-directive

Résultats généraux de l’observation participante

Les résultats de l’observation participante ont révélé l’omniprésence du plurilinguisme chez les étudiant·e·s ainsi que chez les enseignant·e·s. Ce plurilinguisme a été observé durant toute la période de l’enquête, notamment en dehors des cours. Nous allons commencer par les résultats des observations en classe de français, suivi de celles en classe d’anglais, puis l’attitude des enseignant·e·s face aux langues de participation en classe. Enfin, nous terminerons par les observations en dehors de la classe.

En classe de français, les interactions entre les étudiant·e·s étaient dans la majorité des cas des chuchotements. Quant aux interactions entre étudiant·e·s et enseignant·e·s, cela dépendait de l’enseignant·e. Dans la majorité des cas, l’enseignant·e accapare la parole et la participation des étudiant·e·s est alors minime. D’emblée, nous avons observé, et ce de façon récurrente, une grande hésitation à prendre la parole chez les étudiant·e·s; et lorsqu’ils/elles décidaient de s’exprimer en cours de français, c’était exclusivement en français sans recours à d’autres langues. Les étudiant·e·s préfèrent donc formuler des bouts de phrases incomplètes plutôt que de mélanger la darija et le français par exemple.

Contrairement aux comportements décrits précédemment en cours de français, les étudiant·e·s paraissaient beaucoup plus à l’aise en cours d’anglais avec une meilleure participation. Nous avons remarqué aussi à plusieurs reprises qu’ils ou elles se permettaient d’avoir recours à la darija quand leur vocabulaire en anglais leur faisait défaut. Il faut particulièrement souligner le cas d’une enseignante qui n’a jamais contesté cette introduction de la darija pendant les cours. Cependant, elle répondait exclusivement en anglais aux questions posées en darija . Cela ne l’empêchait pas parfois d’expliquer ses propos en français, mais jamais en darija, une langue méprisée en contexte officiel et ce même par ses propres locuteur·trice·s.

Concernant l’attitude des enseignant·e·s face aux langues de participation en classe, au cours de français notamment, les enseignant·e·s imposent clairement leurs lois et interdisent de parler une autre langue que celle du cours. Cependant, certain·e·s enseignant·e·s n’imposent pas cette règle en classe, mais il est communément admis qu’en classe de français, on ne parle que français. Cette convention tacite est ancrée chez les étudiant·e·s tout au long de leur scolarité depuis qu’ils ou elles ont commencé à apprendre les langues étrangères. D’ailleurs, en un mois d’observation, s’exprimer en darija ne s’est produit qu’une seule fois en cours de français. Quant aux cours d’anglais, le recours plus fréquent au tunisien s’accompagne d’une participation plus importante des étudiant·e·s.

Incontestablement, les observations en dehors de la classe étaient riches et remplies de signaux et d’informations intéressantes. Nous avons pu observer des discussions purement plurilingues avec les enseignant·e·s à l’instar de celles qu’ils ou elles ont avec les étudiant·e·s. Les observations ont globalement révélé une large primauté de la darija sur les autres langues, le français étant la deuxième langue d’échange et l’anglais arrivant en troisième position.

Résultats généraux des questionnaires écrits et des entretiens

À la question « Utilises-tu plusieurs langues en même temps? », la majorité des étudiant·e·s interrogé·e·s se sont déclaré·e·s bi ou plurilingues. Nous émettons tout de même des réserves en ce qui concerne les personnes s’estimant monolingues en ne parlant que la darija qui est, comme indiqué précédemment, inévitablement mélangée avec du français. Nous avons posé la même question via les réseaux sociaux pour élargir l’échantillon et vérifier le plurilinguisme des jeunes à une échelle plus grande. Les réponses ont révélé un nombre de réponses conséquent de personnes qui mélangent les langues au quotidien pour diverses raisons.

Auto-évaluation du plurilinguisme et représentation personnelle de la compétence linguistique

À l’aide des questionnaires écrits, nous avons posé la question suivante aux étudiant·e·s : « Te sens-tu plurilingue? ». Contrairement à la question précédente « Utilises-tu plusieurs langues en même temps? », peu d’entre eux ou elles se considèrent effectivement plurilingues contre une majorité qui se présente comme des non-plurilingues. Nous n’avons pas été surpris par ces réponses, car elles sont à l’image de leur définition du plurilinguisme qui tend vers le sens de la juxtaposition des monolingues, ce qui signifie l’obligation de maîtriser parfaitement deux ou plusieurs langues.

Quant aux informateur.trice.s virtuel.le.s, la majorité d’entre eux ou elles se considèrent plurilingues contre peu qui ne se considèrent pas ou moyennement plurilingues.

En dépit du fait que la majorité des étudiant·e·s ne se considèrent pas plurilingues, les réponses écrites que nous avons reçues à la question « Que penses-tu de ta façon de parler? » ont été intéressantes dans la mesure où la majorité porte un regard positif sur leur façon de parler. Il s’avère que la majorité des étudiant·e·s sont satisfait·e·s de leurs productions langagières. Certain·e·s étudiant·e·s considèrent même leur façon de parler plutôt plaisante, car pour eux ou elles, parler français est prestigieux et ils ou elles en sont fier·e·s. En revanche, les étudiant·e·s qui se voient parler d’une façon excellente ne représentent qu’une infime partie de la totalité des enquêté·e·s.

Lors des entretiens collectifs oraux, nous avons constaté que des étudiant·e·s n’avaient jamais remarqué que le parler tunisien est un mélange permanent de plusieurs langues. Ces étudiant·e·s éprouvent un réel sentiment de tristesse quant à l’usage des langues en Tunisie et ne voient aucun avantage à cette diversité linguistique, bien au contraire. Ils ou elles trouvent cette façon de parler le tunisien inacceptable, une façon qui, selon eux ou elles, dénigre totalement la culture et la langue « arabe ».

Un autre résultat lié à une auto-évaluation négative du mélange des langues consiste au fait que ce mélange leur a été imposé selon eux ou elles contre leur gré. Ils ou elles sont en effet tellement habitué·e·s à s’exprimer ainsi qu’ils ou elles ne peuvent pas faire autrement. Cette vision se rapproche donc de la vision précédente. En effet, ces étudiant·e·s considèrent que la majorité des Tunisien·ne·s ne sont pas vraiment plurilingues. Est mise en cause la notion répandue selon laquelle il importe, pour se qualifier de la sorte, de maîtriser deux ou plusieurs langues. Ils ou elles estiment que les Tunisien·ne·s ne sont bons ni en français ni en anglais. L’enquête a révélé également que certain·e·s étudiant·e·s éprouvent un sentiment d’instabilité identitaire, car ils ou elles parlent de leur langue arabe avec un peu d’amertume. Ils ou elles se comparent avec les peuples des autres pays, notamment de la France, qui sont monolingues et parlent essentiellement le français. Pour finir, concernant les réponses fournies sur internet, nous distinguons trois catégories. Une première catégorie majoritaire qui pense avoir une façon de parler moyenne, une deuxième trouve son parler « bien » et une dernière, peu significative, qui pense avoir une mauvaise façon de parler.

Représentations liées au répertoire linguistique personnel

Suite à la description de l’auto-évaluation globale du plurilinguisme des étudiant·e·s, nous allons catégoriser, dans cette partie, les langues dans lesquelles les étudiant·e·s se sentent bien et moins bien, ainsi que les différentes raisons ou représentations relatives. Nous avons procédé au tri de toutes les langues mentionnées par les étudiant·e·s dans le but de les classer afin d’extraire les différentes représentations attribuées à chaque langue. Les représentations sont liées aux trois langues les plus mentionnées à savoir la darija, le français et l’anglais.

Le plus grand pourcentage est celui des étudiant·e·s qui se sentent à l’aise en parlant la darija, leur langue première. Toutes les réponses ou presque se rejoignent sans surprise sur les thèmes de l’identité, la religion et l’origine. L’image que les étudiant·e·s se font de leur langue première est une image d’attache, de forte appartenance et d’affection.

Quant aux représentations liées au français, nous avons pu déduire que l’image que les étudiant·e·s ont de cette langue est celle d’une langue du quotidien. Notons tout de même qu’ils ou elles ont avancé aussi des raisons affectives. Cette relation affective semble peut-être née de l’exposition à cette langue des enfants tunisien·ne·s depuis leur plus jeune âge. En troisième position viennent les raisons liées à la reconnaissance mondiale qui procurent un sentiment de satisfaction vis-à-vis de l’appartenance à une langue internationale, comprise par beaucoup de personnes sur Terre.

À l’image du français, beaucoup d’étudiant·e·s aiment la langue anglaise pour son caractère international. L’image qu’ils ou elles ont de l’anglais est très valorisante. Selon eux ou elles, cette langue mérite d’être étudiée en priorité, car c’est la première langue mondiale. D’autres la considèrent passionnante et agréable à apprendre et à parler. En somme, l’anglais reflète à leurs yeux la beauté, le prestige et la passion.

Représentations aux yeux des enseignant·e·s

Dans cette partie, nous explorons l’idée que les étudiant·e·s se font de l’a priori des professeur·e·s sur leur façon de parler. À la question « À ton avis, quel est le regard que portent les enseignant·e·s sur la façon de parler des jeunes? », il ressort, d’après les réponses fournies, que les jeunes semblent manquer de confiance en eux ou elles, notamment au sujet du regard de leurs enseignant·e·s. Peu d’étudiant·e·s questionné·e·s ont répondu qu’ils ou elles pensaient que les enseignant·e·s étaient satisfait·e·s de la façon de parler des jeunes. Un nombre plus important estime que le regard que portent les enseignant·e·s sur la façon de parler des jeunes dépend de l’enseignant·e. En revanche, la grande majorité considère que les enseignant·e·s n’acceptent pas leur façon hybride de parler.

Enfin, les réponses des enquêté·e·s sur internet viennent confirmer l’avis des étudiant·e·s qui estiment que les enseignant·e·s refusent le parler jeune et le trouvent dégradant.

Le regard des enseignant·e·s sur le plurilinguisme des jeunes

Les entretiens avec les enseignant·e·s ont révélé des avis divergents vis-à-vis du plurilinguisme des jeunes. Nous les avons classés par catégorie. La première concerne une « acceptation totale » pour certain·e·s. Selon eux ou elles, le plurilinguisme social est permis, communément admis et ne pose aucun problème. Certain·e·s confirment même le fait que le plurilinguisme est une nécessité pour réussir la communication avec autrui. La deuxième catégorie, qui représente une « acceptation conditionnée », ne nie pas le mélange des langues bien présent dans le parler tunisien. Ils ou elles y ont recours eux-mêmes ou elles-mêmes au quotidien. Pourtant, ces mêmes professeur·e·s émettent des réserves quant à ce plurilinguisme qui risque d’affecter la qualité du discours quand une personne s’adresse à un·e interlocuteur.trice qui ne connaît qu’une seule langue. La troisième catégorie est celle de l’« acceptation forcée ». Selon les enquêté·e·s de cette catégorie, pour optimiser la communication avec autrui, certaines personnes n’ont pas le choix et se doivent de mélanger les codes comme l’ensemble des Tunisien·ne·s dans un souci d’adaptation et d’intercompréhension. Néanmoins, opposés à cette pratique linguistique, les enseignant·e·s sceptiques préfèrent que les gens parlent soit l’arabe, soit le français sans mélanger les deux langues. Cette façon de parler pourrait selon eux ou elles affecter l’identité de la langue et de la personne en question. Pour eux ou elles, le plurilinguisme ne reflète pas le niveau de la personne en langue. Mais, malgré toutes ces appréhensions, ils ou elles estiment cependant que cette pratique est si imprégnée dans notre société que l’on ne peut l’exclure.

La quatrième catégorie que nous avons pu déceler est celle que nous avons appelée l’« acceptation évidente ». Ces enseignant·e·s adhèrent pleinement à la façon de parler des jeunes et s’y complaisent parfaitement. Le plurilinguisme reflète même selon eux ou elles une réelle « ouverture d’esprit ». La dernière catégorie est celle de l’« acceptation implicite » avec un déni franc. En effet, lors de nos discussions informelles à l’Institut ou de nos échanges via les réseaux sociaux, nous avons constaté que les enseignant·e·s mélangent clairement les langues. À notre grande surprise, certain·e·s se sont abstenu·e·s de les mélanger pendant l’interview alors qu’avant et après l’enregistrement ils ou elles le faisaient sans complexe. Quand nous leur avons demandé leur avis sur cette pratique, ils ou elles ont clairement répondu qu’ils ou elles la refusent et ne l’apprécient pas. Cette catégorie d’enseignant·e·s considère que dans un contexte plus ou moins formel, on se doit de ne parler qu’une seule langue conforme au contexte donné. Nous avons aussi pu relever dans leurs discours des termes assez sévères et radicaux quant aux pratiques langagières des jeunes.

Toujours d’après les entretiens avec les enseignant·e·s, l’enquête a révélé différents points de vues sur le plurilinguisme. Certain·e·s considèrent qu’il constitue un danger au niveau académique quand il interfère avec le cadre scolaire ou universitaire et quand il devient visible dans les copies d’examen. D’autres dénigrent le plurilinguisme des étudiant·e·s en le décrivant avec des termes peu glorieux, parfois tentés de violence ou de mépris. Pour eux ou elles, le plurilinguisme des jeunes est le signe d’un faible niveau en langue et non d’une richesse exploitable. Ils ou elles déplorent que les étudiant·e·s ne fassent que répéter les mots qu’ils ou elles entendent, n’introduisent que quelques mots dans leurs discours et sont incapables de converser de façon fluide dans une langue X ou de construire des phrases complètes et correctes. Une dernière catégorie émet une réserve quant au plurilinguisme. Selon eux ou elles, être plurilingue nécessite de maîtriser des langues, ce qui n’est pas le cas de ses étudiant·e·s tunisien·ne·s. Donc, le plurilinguisme est automatiquement associé à la notion mythique de maîtrise de langues.

Discussion

Coste (2010) indique que le plurilinguisme est presque la règle dans le monde et que le monolinguisme est l’exception. Ceci confirme la conclusion selon laquelle les enseignant·e·s tout comme les étudiant·e·s sont plurilingues et qu’aucun·e d’entre eux ou elles ne nie son plurilinguisme. En revanche, les entretiens ont mis en exergue une vision des enseignant·e·s du plurilinguisme jeune purement liée à la culture. Cela rejoint ce que Boyer (2017) appelle une dynamique sociolinguistique à caractère conflictuel vu que plusieurs langues sont constamment en contact et ne pourront jamais être égalitaires, mais plutôt en compétition. En effet, selon certain·e·s enseignant·e·s, le plurilinguisme des jeunes s’avère être ni un signe de connaissance approfondie en langues, ni un outil pour améliorer leurs niveaux. Néanmoins, ils.elles considèrent leur propre plurilinguisme comme un signe de savoir-faire dû à une bonne connaissance en langue. Le plurilinguisme est cependant globalement toléré dans la vie quotidienne, mais banni la plupart du temps en classe. Ainsi, les méthodes d’enseignement adoptées, restent relativement anciennes et prônent le monolinguisme, d’où l’émergence d’un purisme linguistique essentiellement présent dans le cadre de l’apprentissage. Les directives du Ministère de l’éducation assumeraient une partie du purisme chez les « Tunisien·ne·s ». Voici par exemple ce qui est indiqué pour le cas de l’enseignement de la langue italienne au lycée : « La méthode doit être globale et inductive, essentiellement communicative. Dès le début de l’apprentissage, seul l’italien sera employé, les élèves s’exprimeront par phrases entières »[3]. Ainsi même pour une langue étrangère enseignée comme matière optionnelle au lycée, le monolinguisme est recommandé, voire obligatoire, et le plurilinguisme social est proscrit.

L’alternance codique, phénomène développé au contact des langues, est très présente dans le parler tunisien qui est une parlure mixte. Selon Di Pietro (1977), le code switching correspond à l’utilisation de plusieurs codes dans une même conversation ce qui a été observé clairement durant l’enquête. De même, pour Gumperz, l’alternance codique représente une « juxtaposition à l’intérieur d’un même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux » (Gumperz, 1989, p. 58). Cet aspect a été observé lors des conversations quotidiennes des jeunes et des enseignant·e·s.

Il est vrai que l’objectif principal de cette enquête est de diagnostiquer le parler des jeunes et d’en dégager les représentations. Cependant, le lieu du stage nous a quasiment imposé une réflexion sociodidactique que nous décrivons brièvement. Bien que les enseignant·e·s étaient quasiment tou·te·s indulgent·e·s et compréhensif.ve.s vis-à-vis des lacunes des étudiant·e·s, les méthodes employées et l’atmosphère d’apprentissage nécessitent une réforme profonde. L’ambiance en classe est très rigide; l’étudiant·e ne semble y avoir aucune marge de liberté pour s’exprimer avec le code qu’il préfère. En cours de français, les enseignant·e·s imposent clairement leurs lois et interdisent de parler une autre langue que celle du cours. Même dans les cas où les enseignant·e·s n’imposent pas cette règle en classe, il est communément admis qu’en classe de français on ne parle que français. Cette règle tacite pourrait contribuer à développer un sentiment d’insécurité linguistique voire un échec scolaire (Blanchet, Clerc, Rispail, 2014). Selon les travaux de Gueunier, Genouvrier et Khomsi publiée en 1978, il a été émis l’hypothèse d’une relation entre l’insécurité linguistique et la norme de la langue imposée par l’école et par la classe dominée, soit l’existence d‘une relation étroite entre insécurité et diglossie[4].

En effet, le paradoxe existant entre l’acceptation du plurilinguisme hors de la classe et son refus strict à l’intérieur représente un élément perturbateur pour les étudiant·e·s. À l’issue de cette enquête, nous avons remarqué l’existence d’une configuration linguistique en classe opposée à la vie réelle. On pourrait facilement tomber d’accord sur le fait qu’un paradoxe énorme subsiste dans la configuration linguistique des Tunisien·ne·s. Les pratiques langagières des enseignant·e·s et des étudiant·e·s sont complètement différentes et en rupture totale avec ce qui se passe en classe et en dehors de la classe. Linguistiquement parlant, la porte de la classe de cours constitue une barrière étanche entre deux pratiques linguistiques assez hétérogènes. En d’autres termes, il existe une palette linguistique colorée qui s’éclipse dès que l’enseignant·e ou l’étudiant·e franchisse la porte pour devenir une palette unicolore et figée. Encore une fois, ceci pourrait créer un sentiment d’insécurité linguistique qui remonterait en effet au début de la scolarisation et continuerait à être alimenté tout au long de la scolarisation. En effet, plusieurs publications ont mis l’accent sur les causes et effets de l’insécurité linguistique en éducation comme l’ouvrage collectif dirigé par Garnier (2014). De même, Blanchet, Clerc et Rispail (2014), dans leur étude précitée sur l’insécurité linguistique chez les élèves au Maghreb, ont signalé que la situation d’insécurité est aggravée par la coupure totale entre leurs usages linguistiques quotidiens et la langue de l’enseignement. Ils doivent acquérir un savoir dans une langue qui n’est ni leur langue première ni leur langue d’usage. Certains élèves peuvent se sentir tiraillé·e·s entre leur langue première (arabe dialectal ou berbère) jugée illégitime dans le milieu scolaire et la langue valorisée, normée et enseignée à l’école. Ces constats conduisent à favoriser une autre approche didactique de la pluralité sociolinguistique présente au Maghreb (Blanchet, Clerc et Rispail 2014). À ce propos justement, ce travail a montré que l’atmosphère propice à l’emploi de la variété tunisienne en cours de langue, cours d’anglais en l’occurrence, favorise la participation en classe. En revanche, son interdiction en classe, quel que soit le motif, diminue la participation et la vivacité du cours.

Une des solutions possibles consisterait à organiser des journées de sensibilisation des jeunes et des enseignant·e·s sur le plurilinguisme et les pratiques langagières hétérogènes qui semblent être pratiqués, mais ignorés théoriquement. Une autre solution serait de mettre en place une approche plurielle quant à l’enseignement des langues qui aiderait à restaurer le sentiment de sécurité linguistique chez les étudiant·e·s par la valorisation de leur plurilinguisme. Cette dernière consisterait, d’une part, à les amener à accepter leur façon hybride de parler et, d’autre part, à améliorer leur niveau académique en langue. Cette approche peut se justifier par le fait que les jeunes se servent de plusieurs variétés de langues dans la vie de tous les jours (Grosjean, 2004). La Tunisie est loin d’être un pays purement arabophone comme le stipule l’article premier de la Constitution : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime »[5].

Conclusion

Pour ce travail, il nous a fallu approcher le fonctionnement du système langagier tunisien à travers son histoire avant d’explorer les différentes représentations qui lui sont intrinsèques. Bien que les étudiant·e·s soient tous plurilingues, très peu d’entre eux ou elles en sont conscient·e·s. Ils ou elles sont toutefois globalement satisfait·e·s de leur façon hybride de parler et s’estiment particulièrement habiles dans leurs communications quotidiennes, quelles que soient l’origine ou la nationalité de leurs interlocuteur·trice·s. En revanche, dans le cadre universitaire, ce niveau de satisfaction est moindre. Ils ou elles expriment un manque de confiance en eux ou elles, notamment au sujet de leur maîtrise des langues, et se sentent profondément en insécurité linguistique. En effet, les représentations des pratiques langagières plurilingues des jeunes diffèrent d’une langue à une autre. La darija, toujours confondue avec l’arabe classique, reste la langue de l’affectif et de l’identité par excellence. Le français, pour sa part, est la langue aimée et affectionnée. Quant à l’anglais, les notions qui lui sont attribuées sont la mondialisation, la technologie et l’émancipation.

Les enseignant·e·s sont plurilingues et leur degré d’acceptation du plurilinguisme des étudiant·e·s diffère d’un·e enseignant·e à un·e autre. Certain·e·s acceptent le volet social du plurilinguisme, d’autres le déplorent en le considérant comme du bricolage linguistique plutôt que comme un plurilinguisme véritable. En revanche, ils ou elles se rejoignent sur le fait qu’il est à bannir en contexte académique.

En somme, le plurilinguisme en Tunisie est un fait social globalement accepté dans la vie quotidienne. Quant au purisme, il ressort de l’enquête qu’il se manifeste globalement dans les contextes académiques. Ce travail atteste en fin de compte d’une grande diversité linguistique en Tunisie et d’une mutation permanente du paysage sociolinguistique qui mérite d’être étudiée sous différents angles.

Références

Ben Amor, Thouraya et Mejri, Salah. 2013. La situation linguistique en Tunisie : Les enjeux actuels. Les technolectes au Maghreb : Éléments de contextualisation (p. 129‑140). Tunisie : CNRST.

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Blanchet, Philippe et Chardenet, Patrick (dir.). 2011. Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures : Approches contextualisées. Archives contemporaines.

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  1. La Révolution tunisienne s’est déroulée en décembre 2010 et janvier 2011. C'est une révolution non violente qui se résume en des sit-in qui ont abouti à la chute du dictateur Ben Ali.
  2. http://www.ada-online.org/frada/spipfa00.html?rubrique123
  3. Page 27 du « programme des 3ème langues étrangères » disponible sur le site du ministère de l’éducation : http://www.education.gov.tn/index.php?id=1119#.
  4. La diglossie est la coexistence de deux variétés linguistiques génétiquement parentes sur un même territoire. Néanmoins, pour des raisons diverses, politiques ou historiques, les deux variétés n’occupent pas les mêmes fonctions sociales. L’une est considérée comme langue de prestige noble et, par conséquent, de « variété haute ». Quant à l’autre, elle est considérée comme inférieure, péjorée, mais populaire et parlée par le plus grand nombre de la population. C’est la « variété basse » (Ferguson, 1959).
  5. Constitution de la République de Tunisie version 2014, disponible en ligne : http://www.legislation.tn/sites/default/files/news/constitution-b-a-t.pdf

Pour citer cet article

Ben Brahim, Safa. 2020. Représentations et pratiques langagières plurilingues des jeunes tunisien·ne·s. MASHAMBA. Linguistique, littérature, didactique en Afrique des grands lacs, 1(1), 11-33. DOI : 10.46711/mashamba.2020.1.1.1

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La revue MASHAMBA. Linguistique, littérature, didactique en Afrique des grands lacs est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

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https://dx.doi.org/10.46711/mashamba.2020.1.1.1

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ISSN : Version en ligne

2630-1431