Volume 2 – numéro 1 – 2022 : Législation pénale et rapports sociaux en Afrique

La détermination du nouveau régime des contraventions par voie réglementaire : une délégation ou une délégalisation de la compétence?

Stella CHAKOUNTÉ NJAMEN

 

Introduction

Aussi paronymiques qu’ils puissent paraître, les termes « délégation » et « délégalisation » n’ont pas la même racine encore moins la même signification. Le vocable « délégation » est un emprunt au latin « delegatio » qui signifie « procuration » (Dubois, Mitterand et Dauzat, 2014, p. 226). Ce nom est issu du verbe « delegare » qui veut dire « confier » ou « charger d’une mission selon le Trésor de la langue informatisé. En droit administratif, la délégation de pouvoirs est définie comme étant le transfert, à une autorité délégataire désignée par sa fonction, d’une compétence que le délégant ne pourra plus exercer tant que la délégation n’aura pas été rapportée (Cornu, et Association Henri Capitant, 2013, p. 314). Il s’agit d’un tempérament apporté aux règles de compétence pour faciliter la tâche des autorités normalement compétentes. Si le principe de la délégation de compétence reste le même, quelle que soit la matière juridique concernée, les conditions exigées pour sa validité ou pour son opposabilité varient d’une matière à l’autre.

En matière pénale, deux formes de délégation de la compétence par le pouvoir législatif ont été envisagées. La première est d’origine constitutionnelle et permet au Parlement de confier certaines matières de sa compétence normative au Président de la République (Minkoa She, 1999, p. 38; République du Cameroun, Constitution du 18 janvier 1996, article 28). La seconde forme est d’origine législative et se fait à l’initiative du Parlement qui, après avoir défini, dans la loi élaborée un cadre général d’incrimination et de sanction, charge le pouvoir réglementaire d’y apporter des précisions. C’est de cette forme qu’il est question dans la présente étude.

Pour ce qui est du substantif « délégalisation », il est un dérivé de la forme verbale « délégaliser », lui-même formé à partir de la base « légaliser » auquel on a adjoint le préfixe de privation « de- ». Légaliser est dérivé de l’adjectif « légal », un emprunt au latin legalis, « relatif ou conforme aux lois » (Dubois, Mitterand et Dauzat, 2014, p. 418). La délégalisation est comprise comme le fait de retrancher du domaine de la loi stricto sensu une matière autrefois attribuée. La délégalisation dans cette hypothèse n’est pas le contraire de la légalisation qui est l’action de rendre un comportement légal. Dans la délégalisation en effet, un comportement initialement autorisé par un texte n’a pas cessé d’être licite, c’est plutôt le Parlement qui a perdu le mandat pour qualifier un comportement de licite ou non et/ou de le sanctionner. La délégalisation ne consiste pas non plus à disqualifier tout ou partie d’une incrimination ou d’une sanction, tel que réalisé par les procédés de la décriminalisation, de la dépénalisation, de la criminalisation, de la correctionnalisation et de la contraventionnalisation. En France, une procédure de délégalisation a par ailleurs été aménagée, pour faire sortir du domaine de la loi, les matières normalement attribuées au règlement qui s’y seraient intruses et qui n’auraient été constatées qu’après l’entrée en vigueur de ladite loi (cf. article 37, alinéa 2 de la Constitution française de la Ve République). Cette procédure française est instituée dans le but de défendre le domaine réglementaire contre les intrusions législatives. Elle permet au gouvernement de saisir le Conseil constitutionnel, lequel, s’il estime que le domaine réglementaire a été violé par la loi, autorise la modification de ladite loi par décret. Dans le cas où la loi querellée est antérieure à 1958, un simple avis du Conseil d’État suffit pour en autoriser la modification par décret. Tel n’est pas le cas du Cameroun. En effet, seule la Constitution camerounaise, qui opère la répartition de compétences entre les trois pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, peut décider de délégaliser au sens de ce travail de recherche. Délégaliser, c’est donc confier un domaine soustrait de la compétence législative à une autre autorité. Si le législateur peut délibérément déléguer une partie de sa compétence à l’exécutif, il ne peut, par contre, jamais procéder à une délégalisation.

Savoir si la détermination du nouveau régime des contraventions par voie réglementaire résulte d’une délégation ou d’une délégalisation de la compétence, c’est se prononcer sur l’épineuse question du détenteur initial de la compétence normative en matière contraventionnelle. Autrement dit, les comportements contraventionnels ont-ils été qualifiés et sanctionnés par le décret n° 2016/319 du 12 juillet 2016 portant partie réglementaire du Code pénal définissant les contraventions en vertu d’une compétence qui est propre à l’autorité réglementaire ou qui lui a été consentie par l’autorité législative? Cette question n’est certes pas nouvelle (Yawaga, 2000, p. 101; L’huillier, 1959, p. 174; Delmas Saint-Hilaire, 1995-1996; Levasseur, 1959, p. 124; Sockeng, 1995, p. 4; Desportes, et Le Gunehec, 1997, p. 134), mais la réforme du Code pénal camerounais opérée le 12 juillet 2016 lui donne, plus que par le passé, un retentissement nouveau.

À la suite de son nouvel article 1, la loi n° 2016/007 précise au titre 4 du livre 2 : « les dispositions des articles 362 à 370 définissant les contraventions sont fixées par voie réglementaire ». Prenant acte du renvoi législatif (cf. le visa du décret n° 2016/319 du 12 juillet 2016), le Président de la République en tant que détenteur du pouvoir réglementaire, va signer le même jour le décret portant partie réglementaire du Code pénal, comme il l’avait autrefois fait (Robert, Olivier et Guermann, 1965, p. 278-280; cf. aussi le décret n° 66-DF-237 du 24 mai 1966 portant première partie réglementaire du Code pénal; le décret n° 66-DF-485 bis du 29 septembre 1966 relatif aux dispositions transitoires applicables au Cameroun oriental en matière de contravention; le décret n° 67-DF-322 du 20 juillet 1967 portant partie réglementaire du Code pénal définissant les contraventions). De plus, l’article 362 du Code pénal autrefois élaboré par le Parlement pour définir les classes de contraventions est désormais l’œuvre du pouvoir réglementaire. Paradoxalement, l’article 17 du Code pénal, qui donne force au pouvoir législatif, n’a pas été modifié. Ce qui suscite un double intérêt pour la question.

Sur le plan théorique, cette réflexion propose, d’une part, une interprétation de l’article 26 de la Constitution qui se situe à mi-chemin entre les deux thèses doctrinales en présence (pessimiste et optimiste; Yawaga, 2000, p. 101). D’autre part, elle suggère une nouvelle réforme des deux principales parties du Code pénal dans le sens de les rendre conformes à cette interprétation. Il s’agit de la partie législative issue de la loi n° 2016/007 citée plus haut, et de la partie réglementaire issue du décret n° 2016/319 ci-dessus cité. Sur le plan pratique, cette analyse permettra d’être fixé sur la nature et l’étendue de la compétence réglementaire en matière pénale.

À la lumière de l’exégèse, de la dogmatique, de la casuistique et de la méthode comparative employées pour mener les recherches, il appert que, seule l’incrimination des contraventions relève de la compétence autonome du pouvoir réglementaire. La délégalisation est limitée à l’incrimination. Par conséquent, le pouvoir réglementaire bénéfice d’une simple délégation législative quant au régime des sanctions contraventionnelles.

La délégalisation limitée à l’incrimination des contraventions

L’incrimination est une mesure de politique criminelle consistant, pour l’autorité compétente, à ériger un comportement déterminé en infraction. Dans la pratique, le texte d’incrimination donne aux faits une qualification légale et détermine les conditions de la responsabilité pénale en précisant tous les éléments constitutifs de l’infraction retenue. En matière contraventionnelle, la Constitution du Cameroun n’énumère pas les contraventions parmi les infractions susceptibles d’être définies par l’autorité législatrice. Ce qui a pour conséquence de laisser l’incrimination des contraventions à la compétence du pouvoir réglementaire. Si la réforme du Code pénal de 2016 semble faire droit à cette répartition bipartite entre le législatif et l’exécutif, l’étendue de la délégalisation reste toutefois bien circonscrite.

Le domaine concerné : la détermination des catégories de contraventions

La compétence autonome du pouvoir réglementaire apparaît, plus ou moins clairement, de certaines dispositions même si cette délégalisation a été limitée, par la pratique, au droit pénal spécial de l’incrimination des contraventions.

S’agissant du fondement de la compétence réglementaire autonome, l’ambiguïté entretenue lors de l’interprétation doctrinale de l’article 26 de la Constitution semble avoir été levée par le nouvel article R. 362 du Code pénal. En effet, contrairement à la conception classique du principe de la légalité criminelle (Claverie-Rousset, 2011; Van De Kerchove, 2001; Zérouki, 2001) qui attribue une compétence exclusive au Parlement pour la répression de toute infraction et qui est incidemment consacré dans le préambule de la Constitution camerounaise, l’article 26 du corps de la Constitution n’énumère, dans le domaine de la loi, que les crimes et les délits. D’après le préambule en effet :

Le Peuple camerounais […] Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations-Unies, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées, notamment aux principes suivants : […] – La loi ne peut avoir d’effet rétroactif. Nul ne peut être jugé et puni qu’en vertu d’une loi promulguée et publiée antérieurement au fait punissable.

La Déclaration universelle des droits de l’Homme (articles 9 à 11), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 15), ainsi que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (articles 6 et 7(2)) consacrent également le principe de la légalité criminelle dans sa conception matérielle (exigence de la préexistence d’un texte) et formelle (exigence d’une norme juridique dans les textes onusiens, exigence d’une loi dans le texte africain).

Les auteurs dits optimistes (L’Huillier, 1959, p. 174; Delmas Saint-Hilaire, 1996) y ont vu une omission fortuite des contraventions en s’appuyant sur deux arguments que sont les dispositions du préambule qui reconnaît la souveraineté de la loi et les dispositions du Code pénal (l’article 4 du Code pénal de 1810, lequel correspond actuellement à l’article 17) qui la confirment.

Il ne faut cependant pas faire dire à la norme constitutionnelle ce qu’elle n’a pas dit. Par conséquent et d’un commun accord avec les pessimistes, l’omission des contraventions faite à l’article 26 est intentionnelle. Elle a été faite dans le but de retirer l’incrimination des infractions les moins graves du domaine législatif au profit du domaine réglementaire qui relève du droit commun.

Cette interprétation sera immédiatement confirmée par le gouvernement français en 1958 à l’aide de deux décrets. Celui du 15 décembre 1958 et celui du 23 décembre 1958 qui introduisent une partie réglementaire dans le Code de la route et dans le Code pénal. Il en sera de même de la jurisprudence Société Éky (Conseil d’État, 12 février 1960; Vedel, 1960; Pradel et Varinard, 2009, p. 35) et de la décision du Conseil constitutionnel n° 63-22 L du 19 février 1963. Les juges français en concluent, d’une part, que la légalité criminelle reste le principe en matière de crimes et de délits stricto sensu. D’autre part, ces magistrats précisent que le principe admet une exception en matière de contravention. Pour évacuer tout doute sur cette question, le Code pénal français du 1er mars 1994 prévoit premièrement, en son article 111-3, que seuls la loi et le règlement constituent des sources formelles du droit pénal. Secondement, il précise que le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contraventions (article 111-2).

Dès l’accession du Cameroun à l’indépendance et après l’adoption de son premier Code pénal en 1965 – celui-ci n’organisait que le droit pénal général –, la transition du droit pénal spécial des contraventions va être assurée par le pouvoir réglementaire à travers la signature du décret n° 66-DF-485 bis du 29 septembre 1966. Après l’adoption du livre 2 du Code pénal de 1967 (par la loi n° 67-LF-1 du 12 juin 1967 portant institution portant institution d’un Code pénal)  destiné au catalogue des infractions, les contraventions vont continuer à être déterminées par décret, notamment le décret n° 67-DF-322 du 20 juillet 1967 portant partie réglementaire du Code pénal. Il en sera ainsi jusqu’au jour d’aujourd’hui.

Cependant, une erreur va être entretenue dans cette pratique constante, celle de laisser à la partie législative du Code pénal le soin de déterminer non seulement les quatre catégories de contraventions en son article 362, mais aussi la contravention spéciale de l’article 101, alinéa 2.

La réforme opérée en 2016 présente alors l’avantage de restituer au domaine réglementaire une partie de la compétence qui lui a été méconnue. Ainsi, l’article 362 qui, en substance, n’a subi aucune modification ne figure néanmoins plus dans la loi; elle est désormais l’œuvre du pouvoir réglementaire et devient l’article R.362 du Code pénal. Telle est la première innovation du décret portant partie réglementaire du Code pénal qui s’est enrichi de deux articles au total par rapport à l’ancien décret (articles R. 362 et R.363). C’est une nouveauté d’ordre formel ou structurel.

Si la loi de 2016 restitue dans son article 362 au règlement la détermination des quatre classes des contraventions, elle n’est cependant pas allée au bout de son ambition, car l’article 17 aurait également dû être modifié. Pour mémoire, l’article 17 énonce le principe de la légalité criminelle tel que conçu par ses fondateurs et fondatrices au XVIIIe siècle en ces termes : « les peines et les mesures sont fixées par la loi et ne sont prononcées qu’à raison des infractions légalement prévues ». L’histoire du principe de la légalité criminelle retient qu’il a été formulé de façon solennelle et générale au XVIIIe siècle; d’abord par Montesquieu (1748), ensuite par Beccaria (1991) et enfin par Servant, avocat général, qui dans son fameux discours de 1766, prononcé devant le Parlement de Grenoble, avait déclaré : « les lois criminelles doivent offrir au magistrat un tableau si exact des délits et de leur châtiment qu’il n’ait plus qu’à choisir sans peine et sans incertitude, à mesure que les maux de la société se présentent, le remède indiqué par la loi » (Servant, 1767, en ligne). Telle est l’économie du célèbre adage « nullum crimen nulla poena sine lege ». Le principe se fondait sur l’argument du libéralisme selon lequel la compétence pénale du Parlement est la garantie des libertés individuelles des justiciables contre l’arbitraire de l’Ancien régime (Jeandidier, 1991). Si la délégalisation reste acquise à la faveur de la doctrine pessimiste, il est dès lors convenable de procéder à une nouvelle réforme pénale pour rendre l’article 17 du Code pénal conforme à l’article 26 de la Constitution.

Seul le droit pénal spécial de l’incrimination est toutefois concerné par cette pratique de la délégalisation. Le décret de 2016, à l’exemple de ses prédécesseurs, se limite en effet à l’incrimination de 43 comportements contraventionnels sans aucune précision relative au régime général, tout en confirmant le droit, pour le maire ou la maire, le préfet ou la préfète qui en assure la tutelle, et les autres autorités administratives, de modifier la classification des contraventions relatives aux faits qualifiés dans les articles R. 369(10) et 370(12).

Le domaine exclu : la détermination du droit commun de l’incrimination

À la lecture du décret de 2016, le droit commun de l’incrimination semble ne pas relever du domaine réglementaire autonome. Ce qui n’est pas conforme à l’article 26 de la Constitution même si certaines circonstances se prêtaient à cette restriction. Deux circonstances peuvent expliquer pourquoi toutes les règles relatives à l’incrimination des contraventions n’ont pas été incluses dans le nouveau décret portant partie réglementaire.

Premièrement, l’identité de règles applicables à toutes les trois catégories d’infractions rendrait surabondante une reprise desdites règles dans la partie réglementaire.

Il s’agit principalement des règles portant sur l’application de la norme pénale dans l’espace et dans le temps; également, celles relatives aux causes qui empêchent l’obéissance à l’autorité légale (article 83 du CP), telles que l’exécution de la loi (article 76 du CP), la légitime défense (article 84 du CP) et la nécessité (article 86 du CP); ou encore celles n’empêchent pas la qualification d’infraction (exemple de l’article 75 du CP sur l’ignorance de la loi et le mobile).

Deuxièmement, malgré la diversité confirmée de ses sources formelles, le Code pénal demeure un tout indivisible qui a opté pour un plan binaire, en réservant un livre 1er au droit pénal général et un livre second au droit pénal spécial. Le droit pénal général a été depuis 1965 entièrement élaboré par l’autorité législatrice tandis le catalogue des infractions a été dressé à la fois par les législateurs et législatrices en ce qui concerne les infractions les plus graves, et par le pouvoir réglementaire en ce qui concerne les contraventions (Anazetpouo, 2016, p. 20; Melone, 1974, p. 47). C’est cette tradition qui s’est perpétuée au fil des réformes pénales. La structure et l’enchaînement des idées du Code pourraient dès lors être modifiés s’il fallait faire intervenir le décret à chaque disposition générale portant sur une contravention. C’est ainsi que la loi de 2016 continue, comme son prédécesseur, à définir les conditions de la responsabilité pénale en cas de contraventions (l’article 74, alinéa 4 du CP) et les causes d’irresponsabilité.

Cette restriction du domaine de l’incrimination du décret n’est-elle pas critiquable à la lecture de la Constitution qui a entendu délégaliser? Nous le pensons. Si le pouvoir réglementaire est autonome effectivement, l’exécutif était le seul à pouvoir disposer librement de sa compétence au profit de la loi et au moyen d’une délégation interne de compétence. De deux solutions l’une : soit le décret portant partie réglementaire du Code pénal devrait faire disparaître cette lacune en déléguant expressément cette mission de définir les conditions générales de l’incrimination aux législateurs et législatrices ou en ratifiant les dispositions législatives figurant dans le livre 1, soit la loi de 2016 devrait être modifiée pour que les limites de sa compétence soient respectées. Mais nous pensons que la première solution présente une meilleure garantie pour assurer non seulement l’unité du Code dans la diversité de ses sources, mais encore pour éviter les répétitions des mêmes dispositions générales. C’est au prix d’une telle réforme que la délégalisation pourrait effectivement valoir son pesant d’or qu’il a coûté à la légalité criminelle.

En toute hypothèse, la limitation de la délégalisation au régime de l’incrimination des contraventions rend nécessaire la délégation de son régime de sanction.

La délégation nécessaire de la sanction des contraventions

L’infraction a toujours été considérée comme un comportement interdit par la loi, sous la menace d’une peine (Stefani, Levasseur et Bouloc, 2007, p. 94. La doctrine est allée jusqu’à soutenir qu’une incrimination sans peine ne constitue pas une infraction (Yawaga, 2000). La détermination de la sanction étant donc le corollaire de l’incrimination – attribuer à deux autorités autonomes la mission d’incriminer pour l’une, de sanctionner pour l’autre – n’est pas sans conséquence négative pour l’unité du droit pénal. La Constitution ayant opté pour une délégalisation du régime d’incrimination, il paraissait alors nécessaire pour la législation pénale de déléguer la sanction des contraventions à l’autorité attitrée pour l’incrimination. Cette délégation législative est longtemps passée sous silence, certainement par mimétisme du droit français qui, en ce qui le concerne, a pourtant ultérieurement délégaliser la sanction par principe. La délégation obtenue par le pouvoir réglementaire a cependant été méconnue dans le nouveau décret de 2016.

La délégation obtenue du législateur pénal

La délégation obtenue de la législation pénale par le pouvoir réglementaire tire sa raison d’être des textes et elle se manifeste diversement. Les signes de la présence d’une délégation de la compétence législative au profit de l’exécutif sont multiples aussi bien au regard de la Constitution de 2016 que du décret de 2016.

La consécration constitutionnelle de la compétence législative pour déterminer les sanctions contraventionnelles ne fait l’ombre d’aucun doute à la lecture de son article 26 qui attribue au domaine de la loi : « l’institution des peines de toute nature ». Fort de cette compétence exclusive, l’autorité législatrice de 2016 désigne le pouvoir réglementaire pour encadrer la sanction des contraventions en son article 1(c), lequel dispose :

Le Code pénal comprend :

a) Le livre I, constitué des articles 1 à 101;

b) Le livre II, constitué des articles 102 à 361;

c) Le décret portant partie réglementaire du Code pénal définissant les contraventions, des articles 362 à 370 »;

d) Les articles 371 et 372 fixant les dispositions transitoires et finales.

Comme c’était déjà le cas avec l’ancien alinéa 1(c) de la loi de 1967, il faut y voir une certaine légitimation de l’intervention du pouvoir réglementaire. À la suite de son nouvel article 1 (c), la loi n° 2016/007 précise au titre 4 du livre 2 que « les dispositions des articles 362 à 370 définissant les contraventions sont fixées par voie réglementaire ».

Prenant acte de ce mandat, le décret de 2016 non seulement mentionne dans son visa la loi qui justifie sa compétence, mais il rappelle en plus, en son article 2, que ses articles 362 à 370 font partie intégrante du Code pénal « conformément aux dispositions de l’article 1 de la loi n° 2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal ».

Il faut dire que le mandat donné à l’article 1 de la loi de 2016 n’est pas spécifique à la sanction. Cependant, nul ne pouvant transférer plus de droits qu’il n’en a, cette délégation ne peut porter que sur le régime de sanction, car celui de l’incrimination ne lui est pas attribué. Il faut aussi relever que cette compétence déléguée pouvait bien aller au-delà de la matière contraventionnelle pour porter sur le régime répressif des crimes et des délits. Mais le choix a été porté uniquement sur les contraventions.

Quoiqu’il en soit, la délégation de compétence ainsi opérée est louable dans la mesure où il serait inconvenant d’avoir des incriminations dans un texte réglementaire et de se référer à un texte législatif pour connaître les sanctions afférentes. En droit pénal de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) où cette répartition bipartite de compétence est également consacrée, mais entre les législateurs et législatrices national·e·s et supranational·e·s, on constate que l’autorité législatrice chargée de la sanction reprend pratiquement toutes les incriminations avant de définir sa sanction; autre preuve de la difficulté qu’il y a à détacher sanction et incrimination (Fopi Tetjouon, 2020). Ainsi, la délégation législative, loin d’attenter à l’exigence de précision du texte (qui découle de la légalité criminelle) comme le font la technique d’incrimination par renvoi et celle de la sanction par renvoi, elle la renforce plutôt et la double de l’unicité textuelle.

En exécution de la délégation, les articles R.367 à R.370 prévoient des sanctions attachées aux différentes incriminations retenues. Ces sanctions sont conformes au quantum prédéterminé à l’article 21 du Code pénal pour les contraventions (« Sont qualifiées contraventions les infractions punies d’un emprisonnement qui ne peut excéder dix jours ou d’une amende qui ne peut excéder 25 000 francs » article 21, alinéa 1 c.). Tout le régime des sanctions antérieur à la réforme a été reconduit à l’exception de deux règles figurant dans les articles R.364 et R.366. Dans le droit commun, les contraventions de première classe sont en effet punies de [200-1 200 F], celles de la deuxième classe de [1 400-2 400 F], celles de la troisième classe de [2 600-3 600 F] et celles de la quatrième classe de [4 000-25 000 F] et/ou [5-10 jours de prison].

L’innovation de l’article R.364 est constituée par l’augmentation de la durée de la contrainte par corps prononcée en vertu d’une condamnation pour contravention.

En ce qui concerne la seconde innovation consacrée à l’article R.366, l’état d’insolvabilité de la personne condamnée qui faisait autrefois jouer en sa faveur une courte durée de contrainte par corps a été supprimé. L’exercice du pouvoir délégué donne ainsi le droit au pouvoir réglementaire de se comporter comme l’autorité législatrice l’aurait fait, en rendant le régime de sanction plus doux ou plus rigoureux. En l’espèce, la nouveauté substantielle est plus sévère. Mais cette autorité a-t-elle seulement respecté les limites de son mandat?

La délégation méconnue par l’autorité réglementaire

N’en déplaise aux partisans et partisanes de la conception classique qui chérissent le principe de la légalité criminelle, la compétence normative est partagée en matière pénale entre le Parlement et l’exécutif. Point de doute, ce dernier n’a pas de compétence autonome pour déterminer la sanction des contraventions, aussi faible qu’elle puisse être. Investi au moyen d’une délégation expresse, le bénéficiaire ou la bénéficiaire des pouvoirs délégués est tenu·e de respecter les limites de son mandat. Le décret présidentiel devait dès lors se limiter à prévoir des sanctions applicables aux faits contraventionnels. Pourtant, il inquiète dans une double mesure.

Premièrement, la délégation de l’alinéa 1 (c) de la loi de 2016 a pour objet essentiel le droit pénal spécial des contraventions. En prenant en compte la démonstration selon laquelle l’incrimination des contraventions relève du pouvoir réglementaire autonome, cette délégation ne porte plus que sur le régime des sanctions contraventionnelles. Cependant, le décret de 2016 comporte outre les sanctions contraventionnelles, des indications relatives à la procédure pénale. Rien ne justifie donc que les articles R.364 et R.366 se soient étendus sur l’exécution des décisions pénales, notamment au sujet de la contrainte par corps même s’il s’agit de consacrer des durées spécifiques aux contraventions. L’article R.364 dispose en effet que « 1) La contrainte par corps a lieu pour le paiement de l’amende. 2) Elle est fixée à vingt (20) jours pour les contraventions de 1ère, 2e et 3e classe et à trois (03) mois pour les contraventions de 4e classe ».

Quant à l’article 366, il prévoit que « Les restitutions, indemnités et frais entraînent la contrainte par corps et le condamné garde prison jusqu’à parfait paiement ». Cette précision est par ailleurs surabondante vu que le Code de procédure pénale a justement fait de la contrainte par corps un moyen de pression sur les personnes condamnées pour s’exécuter (articles 557 et suivants).

Deuxièmement, ces dispositions réglementaires portant sur la procédure consacrent un régime plus contraignant pour les condamné·e·s que celui du Code de procédure pénale. En effet, selon l’article 564 du Code de procédure pénale, pour toutes les contraventions punies d’une amende comprise entre quatre mille (4 000) et dix mille (10 000) francs inclus d’une part, et d’autre part entre dix mille exclus (10 000) et vingt mille (20 000) francs inclus, la durée légale de la contrainte par corps est respectivement de 20 et de 40 jours. Par contre, le règlement allonge à trois mois ce même délai (article 364, alinéa 2 du Code pénal). On aurait bien pu penser que le spécial déroge au général, cependant le respect de l’étendue de la compétence déléguée exclut une telle conclusion.

Conclusion

Eu égard de ce qui précède, la délégation de compétence est le principe consacré en matière de sanction des contraventions et la délégalisation est celui qui est appliqué à leur incrimination. Cependant, le décret de 2016 a outrepassé la compétence qui lui a été déléguée de même que la loi de 2016 retient encore le droit commun des contraventions malgré la délégalisation consacrée. La compétence réglementaire est pour ainsi dire partagée entre une délégalisation atypique et une délégation méconnue. Ce qui est de nature à inquiéter. Cette inquiétude est d’autant plus légitime que Minkoa She (1999, p. 38), reprenant les propos de Roujou de Boubée, relève : « dépourvu de toute indépendance, le règlement n’est que l’humble serviteur de la loi à l’ombre de qui il vit ». La délégation de la sanction des contraventions au profit de l’exécutif devrait avoir pour effet de faire du règlement l’humble serviteur de la loi. De même, la délégalisation fait du règlement un collaborateur attitré qui ne jouit cependant pas du même degré d’autonomie que la loi. Chaque fois que la volonté générale désirera refondre le Code pénal camerounais par le biais des parlementaires, la partie réglementaire du Code attribuée au Président de la République ne pourra pas être modifiée par cette instance; si cette partie n’est pas aussitôt séparément réformée, il peut y avoir divorce entre les deux. En définitive, la compétence réglementaire ne devrait-elle pas tout simplement disparaître?

Références

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Cornu, Gérard et Association Henri Capitant. 2013. Vocabulaire juridique. Paris : Presses Universitaires de France.

Delmas Saint-Hilaire, Jean-Pierre. 1995-1996. Premières leçons de droit pénal. Cours polycopié, leçon IV-5, n° 4. Université de Bordeaux.

Desportes, Frédéric et Le Gunehec, Francis. 1997. Le nouveau droit pénal. Tome 1 : Droit pénal général. Economica.

Dubois, Jean, Mitterand, Henri et Dauzat, Albert. 2014. Nouveau dictionnaire étymologique et historique. Paris : Larousse.

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Jeandidier, Wilfrid. 1991. Droit pénal général. Paris : Montchrestien.

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Pour citer cet article

Chakounté Njamen, Stella. 2022. La détermination du nouveau régime des contraventions par voie réglementaire : une délégation ou une délégalisation de la compétence? ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 2(1), en ligne. DOI : 10.46711/adilaaku.2022.2.1.9

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https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2022.2.1.9