Volume 1 – numéro 2 – 2019 : Crises contemporaines

Crise du droit et terrorisme. Retour sur le droit à un procès équitable des présumés terroristes

Hermann Nanan Lekogmo

 

Sur la question du terrorisme, Busino estime que « Les actions humaines […] sont explicables par une loi, celle fixée par la norme, impérative, obligatoire, bien que sans nécessité absolue. […] Le juriste utilise la norme pour qualifier le même comportement de légitime ou d’illégitime, de licite ou d’illicite » (1996, p. 215). Comment faire converger raison et rationalité en ce qui concerne le terrorisme? Un élément de réponse pourrait être trouvé dans l’exemple pris par Chomsky qui fait remarquer qu’

en 1986 les États-Unis ont été condamnés par la Cour internationale de justice pour « usage illégal de la force » (terrorisme international) et ont ensuite opposé leur veto à la résolution du Conseil de sécurité appelant tous les Etats (donc les États-Unis) à respecter le droit international (Chomsky, 2001, p. 27).

Le terrorisme est vécu en Afrique centrale comme un mal qu’il faut guérir. Pour Mbia Yebega (2015), une vision stratégique de ce phénomène montre bien que tout État doit essayer de répondre à l’aggravation progressive de certains phénomènes d’insécurité à l’instar du terrorisme par des solutions adaptées vu que les effets du sous-développement et de la pauvreté, l’insuffisance de l’analyse et les contraintes politiques et économiques engendrent des réponses prioritairement sécuritaires. Or, l’une de ces réponses multidimensionnelles dans un État de droit faisant face au défi du terrorisme est la sécurité juridique.

Déjà difficile à appréhender de façon conceptuelle, le terrorisme s’observe à travers les atrocités vécues par les populations victimes de diverses attaques. Au Cameroun et au Tchad par exemple, avec le phénomène Boko Haram, mais aussi en France avec les attaques perpétrées le vendredi 13 novembre 2015, l’on peut remarquer la difficulté à questionner les droits humains d’un individu prêt à se faire exploser et à causer ainsi la mort de plusieurs personnes. Cela semble constitutif d’une hypothèse de flagrance où la mort de l’individu incontrôlable serait préférable à toute autre option tant que son acte n’est pas perpétré ou que l’effet peut en être amoindri. Par contre, lorsqu’un individu soupçonné d’acte terroriste est arrêté, il ne peut connaître un sort quelconque que celui qui résulte de l’observation des lois et du respect des droits humains. Le terroriste: un humain? A-t-il des droits? C’est le propre de la justice de le présumer tel afin de lui assurer le droit à un procès équitable.

Le Cameroun et le Tchad, qui connaissent depuis quelques années les attaques de Boko Haram, semblent tous deux illustratifs pour mieux aborder les questions soulevées par la présente recherche. Selon l’Association Henri Capitant, Bâton Rouge-La Nouvelle Orléans (2008), le droit à un procès équitable trouve toute sa substance dans le droit processuel. Ce droit est défini par Guinchard et Debard (2012, p. 356) comme étant « des droits fondamentaux du procès qui composent un droit commun né des normes internationales […] et constitutionnelles ». Ainsi, les mesures préconisées au niveau international pour garantir ce droit sont entérinées dans le préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 en ces termes: « la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice ». Par ailleurs, il ressort que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie au cours d’un procès conduit dans le strict respect des droits de la défense ».

Au Tchad, cette garantie qui est mentionnée dans le préambule de la Constitution apparaît à l’article 70 puisque le Président de la République fait le serment « de tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les citoyens ». De même à l’article 24 de la constitution de ce pays, « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à la suite d’un procès régulier offrant des garanties indispensables à sa défense ». Les mesures relatives à la lutte contre le terrorisme nécessitent juste une harmonisation de l’arsenal juridique répressif, au niveau tant législatif que réglementaire, avec pour fondements la résolution 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Convention de l’OUA du 14 juillet 1999 sur la prévention et la lutte contre le terrorisme ou son Protocole du 08 juillet 2004 qui préconisent des actions fortes à l’encontre des auteurs et autrices d’actes de terrorisme.

Il est alors intéressant que la résolution 2178 engage les États à « veiller à ce que la qualification des infractions pénales dans leur législation et leur réglementation internes permettent […] d’engager des poursuites et de réprimer (les actes terroristes) ». La Convention, quant à elle, engage les États à « établir comme crimes des actes terroristes » tandis que le Protocole à la Convention du 8 juillet 2004 les invite à « prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les droits fondamentaux de leurs populations contre tous les actes terroristes ». Au Tchad, cette garantie qui est mentionnée dans le préambule de la Constitution apparaît à l’article 70 de la Constitution puisque le Président de la République fait le serment « de tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les citoyens ».

Dans le préambule de la Constitution camerounaise, il ressort clairement que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie au cours d’un procès conduit dans le strict respect des droits de la défense ». L’article 24 de la Constitution tchadienne considère que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à la suite d’un procès régulier offrant des garanties indispensables à sa défense ». Selon le Rapport du Ministère de la Justice sur l’état des droits de l’Homme au Cameroun (2009), la garantie se trouve dans la reconnaissance de droits aux présumé-e-s terroristes. En effet, l’expression ‘‘procès équitable’’ résume, en deux mots, les différentes garanties propres à assurer une bonne administration de la justice. Ces garanties concernent aussi bien la juridiction et l’instance que les droits spécifiques reconnus à la personne faisant l’objet d’un procès.

En vue d’accomplir son idéal de justice, il est garanti à tous et toutes le droit à un procès équitable. Ce moyen d’administration de la justice est problématique lorsqu’on parle de terrorisme. Dès lors, comment est ainsi garantie la justice à l’endroit des personnes présumées terroristes ? Malgré l’hypothèse de flagrance applicable en matière de terrorisme, cette personne est toujours « présumée terroriste ». La méthode juridique qui allie dogmatique et casuistique semble indiquée, pour mieux comprendre comment, dans les textes et les faits, que ce droit est assuré. À travers la qualification de « personne présumée terroriste », il est déjà offert à cette dernière la garantie d’un droit fondamental, lequel se prolonge seulement et se retrouve dans le procès équitable à travers la reconnaissance de la garantie d’accès à un tribunal. Ce dernier laisse néanmoins vague l’effectivité du contenu du droit à un procès équitable.

La reconnaissance de la garantie d’accès à un tribunal aux présumés terroristes

Pour Tronquoy,

L’accessibilité de la justice, la manière dont elle est rendue, les moyens qui sont consacrés à son fonctionnement, bien évidemment la réalité de son indépendance à l’égard du pouvoir en place constituent des critères majeurs pour apprécier la bonne marche d’une démocratie (Tronquoy, 2013, p. 1).

Il faut dire de prime abord que la garantie d’accès à un tribunal diffère du droit à un recours. La première intervient en début de procédure, alors que le second intervient quand le procès est ouvert ou même lorsqu’il y a déjà eu une solution au litige. Les textes tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et toutes les autres conventions internationales relatives à cette garantie d’accès à un tribunal dûment ratifiées par les États attachent une grande importance aux libertés fondamentales inscrites dans leur corpus. Le texte constitutionnel camerounais, dans son préambule, reconnaît cette garantie qui se traduit toutefois par une triple reconnaissance du droit à un juge, du droit à un tribunal et du droit au respect de la présomption d’innocence.

Le droit à un juge

S’agissant du droit à un juge, l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que toute personne accusée a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal. Ce dernier exerce un contrôle juridictionnel réel et suffisant. Le juge saisi a l’obligation de statuer sur l’accusation. À travers le droit à un tribunal se situe le droit à un (bon) juge qui doit statuer sur le bien-fondé de l’accusation, en toute impartialité et en toute indépendance, tout en étant un juge spécialisé. Cette spécialisation lui donne une compétence absolue pour connaître des faits de terrorisme. On remarque qu’une mesure comme la garde à vue est expressément encadrée. Doté d’un dispositif juridique contraignant contre des personnes soupçonnées d’appuyer des activités criminelles et surtout terroristes contre l’État, le Cameroun passe d’un délai ordinaire de 48 heures renouvelable à un délai spécial. Ainsi, l’article 11 de la loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme souligne que « le délai de la garde à vue est de 15 jours renouvelable [sic] sur autorisation du Commissaire du Gouvernement » compétent. L’article 12 de cette loi prévoit la saisine du Tribunal militaire « par ordre de mise en jugement direct du Commissaire du Gouvernement ». En l’espèce au Cameroun, il s’agira d’un juge du tribunal militaire, seule juridiction habilitée à statuer sur les crimes de terrorisme. Au Tchad, l’article 4 de la loi n° 034/PR/2015 du 05 août 2015 portant répression des actes de terrorisme prolonge le délai de garde à vue à trente jours renouvelable une ou deux fois sur autorisation du procureur ou de la procureure de la République. Le nouveau Code pénal tchadien de 2017 qui vient 30 années après la précédente loi montre bien que la garantie du droit à un juge se prolonge dans le droit à un tribunal.

Le droit à un tribunal

En effet, pour ce qui est du droit à un tribunal, les législateurs et législatrices prévoient, dans les affaires relatives au terrorisme, des juridictions dont la compétence d’attribution est déterminée par un texte précis; il s’agit des juridictions d’exception. Au Cameroun, il est prévu le Tribunal militaire alors qu’au Tchad on a la Cour criminelle spéciale. Le Tribunal militaire est la seule juridiction habilitée à connaître des poursuites judiciaires contre des personnes soupçonnées de participer au terrorisme. Mais avant d’y parvenir, il faut qu’un certain nombre de conditions de forme soient remplies, lesquelles permettent d’éviter que la procédure soit qualifiée d’irrégulière. En ce sens, la garde à vue doit être faite dans les formes afin de ne pas empiéter sur l’honneur et la liberté des accusé-e-s qui bénéficient encore de la présomption d’innocence. Aussi, les dispositions du Code pénal, du Code de procédure pénale et du Code de justice militaire au Cameroun qui devront s’appliquer lors de ces procès ne doivent pas être contraires à celles de la loi n° 2014/028 sur le terrorisme. Cela est à peu près similaire au Tchad. En cas de conflit de lois, c’est la loi spéciale, autrement dit la loi sur le terrorisme, qui s’applique en raison de la maxime latine « specialia generalibus derogant ».

Le droit au respect de la présomption d’innocence

Le droit au respect de la présomption d’innocence est consacré par la Constitution du Cameroun de 1996 qui prévoit que « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie à la suite d’un procès régulier offrant des garanties indispensables à sa défense. L’article 14 §2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques expose également cette garantie de la présomption d’innocence en ces termes: « toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

La personne appréhendée est présumée innocente jusqu’à ce que l’issue du procès en décide autrement. En matière de terrorisme, l’on note une tendance à la présomption de culpabilité, car malgré l’interruption de l’infraction ou de ses effets du fait de l’auteur-e ou du/de la complice d’un acte de terrorisme, ceux-ci ou celles-ci sont puni-e-s par l’article 7 de la loi n° 2014/028 et les articles 30 et 31 de la loi n° 034/PR/2015. Au Tchad par ailleurs, la personne est exempte de poursuite s’il n’y avait pas encore eu commencement d’exécution. La présomption d’innocence donne droit à l’assistance d’un avocat, même si accepter de défendre un terroriste n’est pas facile pour un-e avocat-e. On ne saurait envisager le mépris de la présomption d’innocence, car elle aide à mettre en évidence les droits de la défense qui sont un pilier de l’État de droit. Le droit, comme dans les affaires Merah et Abdeslam (Sud Radio, 2017) qui auront défrayé la chronique pour faits de terrorisme, se retrouve donc très souvent en crise dans l’application et la consécration de règles relatives aux faits de terrorisme.

En France, du fait de la menace terroriste perpétuelle, les législateurs et les législatrices en sont arrivés à s’y appuyer pour imposer une adaptation des moyens disponibles afin de faire face aux agissements criminels. L’on a pu assister à l’introduction des incriminations nouvelles dans le Code pénal et à l’accroissement des peines encourues en matière de terrorisme (Cassuto, 2016). Il en est quelque peu des cas du Cameroun et du Tchad qui auront plutôt œuvré dans le sens d’une harmonisation de leur législation, comme c’est le cas en matière de police, avec l’Acte Additionnel faisant du Comité des Chefs de Police de l’Afrique centrale (CCPAC) un organe spécialisé de la Communauté (CEMAC, 2000).

Le contenu flou de la garantie du droit à un procès équitable

Évoquer le contenu flou de la garantie revient tout simplement à montrer combien il est vague. Dès lors, la garantie d’accès à un tribunal doit être effective et concrète, comme cela semble être le principe en matière de justice administrative par exemple (Guimdo, 2007). Pour Renoux, il ne suffit pas que le droit d’accès à un tribunal soit formellement prévu dans la législation, encore faut-il qu’il puisse être effectivement mis en œuvre, ce qui implique que son exercice ne rencontre pas d’obstacles démesurés, notamment sur les plans matériels et financiers (Renoux, 1993, p. 367).

À cet effet, les États prévoient les moyens financiers et juridiques leur permettant de rendre effective une telle garantie qui aide nécessairement à la bonne exécution d’une décision de justice. Le droit à un procès équitable est un moyen d’administration de la justice qui se veut concrètement garantie tant par l’institution que par la personne qui en a la charge.

Une garantie institutionnelle à renforcer

La particularité pour le ou la présumé-e terroriste à être jugé-e par un tribunal d’exception lui accorde le bénéfice d’un bon nombre de garanties. Et la première garantie à toute personne soupçonnée d’avoir commis un acte terroriste à titre personnel, en complicité ou en coaction (voir articles 2, 3-9 de la loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014) ou soupçonnée d’exercer « des activités de financement, de recrutement, de blanchiment des produits du terrorisme, de soutien ou d’apologie des activités de terrorisme » est de lui accorder la qualité de personne présumée coupable. L’un des défis de la garantie de ce droit en Afrique centrale est, vu l’internationalisation du terrorisme, de passer par la coopération entre les États. C’est ce qui ressort du règlement n° 08/05-UEAC-057-CM-13 portant adoption de la Convention relative à la lutte contre le terrorisme en Afrique Centrale (CEMAC, 2005). Il est question de procéder à l’harmonisation des différentes législations nationales, voire à l’assise d’une instance communautaire qui connaîtrait des faits de terrorisme. Le procès des présumés terroristes ne devrait pas seulement être l’œuvre des juridictions nationales.

Toutefois, les États s’entendent pour mettre chacun sur pied un organe propre spécialisé dans les affaires relatives aux crimes de terrorisme. L’exemple de Ndjamena sur le jugement de présumés membres de Boko Haram est révélateur. Les « pays membres de la Commission du bassin du Lac Tchad dont les populations sont les principales victimes des exactions de Boko Haram, se sont donnés jusqu’à la fin de (cette année) 2015 pour en finir avec les insurgés de la secte islamiste. Mais avant d’y parvenir, chacun des pays en guerre contre Boko Haram […] juge les présumés membres de cette secte faits prisonniers » (Atangana, 2015, en ligne).

Ainsi, il découle de l’Arrêt criminel de la Cour d’Appel de Ndjamena, Répertoire n° 02/2015 du 28/08/2015 du mercredi 26 août au vendredi 28 août 2015 qu’en cette date, le Tchad jugeait les dix membres de l’État islamique en Afrique de l’Ouest, ex-Boko Haram. La mise sur pied de la Cour criminelle spéciale dont les décisions rendues sont des arrêts, et convoquée pour juger ceux-ci lors de sa session criminelle, avait permis de condamner à la peine capitale tous les accusés, même si le verdict a été prononcé à huis clos pour des raisons de sécurité.

Dès lors, à l’issue du huis clos de ladite Cour, un des avocats commis d’office confiera que la cour n’avait pas suivi la défense dans son verdict: « nous avons plaidé des circonstances atténuantes parce que tous ont reconnu ce qui leur était reproché. La plupart ont rejoint Boko Haram sous l’influence de facteurs externes qui sont soit leur milieu social soit des raisons économiques » (avocat des parties cité par RFI, 2015). L’institution de l’avocat, quand elle est acceptée, doit éviter de confondre les cadres dans lesquels elle officie tout en faisant attention aux menaces dont elle pourrait faire l’objet pour avoir défendu quelqu’un dont la clameur publique revendique la culpabilité. L’avocat de Mohamed Abdeslam en avait fait les frais au point de refuser de continuer à défendre son client avant de revenir sur sa décision (Franceinfo, 2018). L’article 14 §1 du Pacte stipule que la cause doit être entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi. Les débats doivent être publics, mais peuvent se tenir à huis clos lorsque les raisons le justifient.

Une garantie du juste à conforter

Le droit à un procès équitable renferme la garantie du juste qu’il importe de raffermir. En effet, dans tout litige, le juge doit désirer le juste (Dion, 1999, p. 195). À cet effet, Labbée (1995, p. 6) pense qu’amener le/la présumé-e terroriste devant le tribunal se fait dans un but de recherche d’» une certaine vérité » et de loyauté entre les parties à un litige. L’absence d’obstacle à garantir l’accès au tribunal crédite la juridiction d’impartialité et d’indépendance, l’impartialité se traduisant surtout par l’idée d’équité, au sens de justice et de neutralité. Est également pris en compte le respect des droits de la défense puisqu’il est une garantie élémentaire du droit à un procès équitable. Ce principe, expressément consacré par le préambule de la Constitution camerounaise et dans le corpus de la Constitution tchadienne, est considéré comme un droit de l’humain. Mais le juste ne saurait justifier l’irrationalité de l’acte à la raison de l’acte, car le droit trouve là la raison de situer le crime de terrorisme dans un ensemble d’éléments; on mentionnera entre autres l’hypothèse de flagrance, combinée à la violence d’une extrême rareté et à l’acte de nature militaire, ainsi que toutes les atrocités liées à l’acte de terrorisme.

Il ressort de l’affaire Ministère public contre Ayuk Tabe et compagnie, à son audience d’instance des 19 et 20 août 2019, que malgré la question de l’identification des accusés qui ont toujours renié leur nationalité camerounaise, le juge du tribunal militaire a condamné tous les dix leaders séparatistes à la prison à vie pour « complicité d’actes de terrorisme, apologie d’actes de terrorisme, recrutement et formation, financement d’actes de terrorisme, sécession, révolution, bande armée, insurrection, hostilité contre la patrie et propagation de fausses nouvelles » (Tribunal militaire de Yaoundé, 2019). Par ailleurs, dans l’extrait du plumitif, la garantie du juste à conforter trouve une assise dans l’évaluation du préjudice matériel subi du fait des exactions séparatistes dans les régions du Sud-Ouest et Nord-Ouest. Ce préjudice a été évalué à 700 milliards de FCFA par le Ministère public pour le compte de l’État du Cameroun. Toutefois, le juge l’a estimé, pour sa part, à 250 milliards de FCFA alloués à l’État du Cameroun au titre des dommages et intérêts.

Alors que l’acte de terrorisme ne se trouve pas encore totalement saisi par le droit, le ou la terroriste bénéficie déjà d’une certaine protection. En acceptant des notions et des concepts aux contenus diffus, le droit se trouve en perpétuelles transformations. « Lorsque la crise atteint le droit, elle se trouve déjà transformée. Mieux: si la crise atteint le droit, ce ne peut être qu’après transformation » (Arnaud, 1997, p. 9).

Conclusion

En somme, la question du terrorisme dans les démocraties met en avant les impératifs de sécurité et de liberté, principalement les libertés individuelles (Chopin, 2016). Aussi semble-t-il important de mettre toujours en lumière les trois éléments qui couvrent la justiciabilité d’un droit, à savoir: l’existence d’un cadre juridique, la primauté du droit, l’accès à la justice. C’est dire que la justice, dans sa composante juge et droit, doit être véritable quant à l’application de principes essentiels tels que le droit à un procès équitable et la présomption d’innocence. Garantir n’est donc pas seulement assurer, mais c’est aussi sécuriser. En effet, pour Pougoue, « la sécurité appelle une analyse plus fine encore. Elle nécessite des règles qui donnent à l’individu l’assurance qu’il pourra faire valoir ses droits dans les meilleures conditions. La sécurité devient ainsi une composante de la notion de l’État de droit » (2007, p. 1). Mais, même dans la justice, l’égalité peut être remise en compte parce que c’est le sens même de la justice. Ainsi selon Cadiet, la justice est la solution équitable des litiges par application des règles de droit. L’égalité devant la justice, c’est donc également l’égalité au regard des règles de fond. De ce point de vue, il ne peut y avoir égalité que si les plaideurs sont justiciables du même droit, ce qui suppose l’absence de règles substantielles particulières à certaines personnes, ou catégories de personnes et l’uniformité de leur application (Cadiet, 1997, p. 223).

Références

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Pour citer cet article

Nanan Lekogmo, Hermann. 2019. Crise du droit et terrorisme. Retour sur le droit à un procès équitable des présumés terroristes. ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 1(2), 69-84. DOI : 10.46711/adilaaku.2019.1.2.6

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La revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2019.1.2.6

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