Volume 1 – numéro 1 – 2019 : Nation et République sous le prisme des défis contemporains

À propos de la crise des critères de définition de l’État en droit international contemporain

Carole Valérie NOUAZI KEMKENG

 

La notion d’État est l’objet d’une construction théorique menée par les constitutionnalistes et les internationalistes. Pour les constitutionnalistes Georges Burdeau et Claude Leclercq,  l’État représente respectivement « le pouvoir institutionnalisé » (Burdeau, 1969, p. 119) et « une personne morale titulaire de la souveraineté » (Leclercq, 1995, p. 56). Les travaux de Hans Kelsen, effectués dans une perspective internationaliste, sont déterminants dans la construction moderne de l’État. Pour lui, la hiérarchie des normes et son respect constituent le fondement de l’État de Droit centré sur l’autolimitation de l’État en tant que puissance publique (Kelsen, 1945/1997). La conception selon laquelle l’État doit se soumettre au droit connaît une limite dans la mesure où l’État lui-même pourrait échapper à la sphère du droit, car disposant de certaines prérogatives. C’est dans ce sillage que s’inscrivent les développements effectués par Jelinek (2005) et Carré de Malberg (1962, p. 231).

Quant aux internationalistes, ils voient en l’État « une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumise à un pouvoir politique organisé » (Mouton, 1994, p. 80)[1]. C’est un sujet de droit international qui désigne un groupement humain établi de manière permanente sur un territoire, ayant une organisation politique propre, dont l’existence politique dépend juridiquement de lui-même et relevant directement du droit international (Salmon, 2001, p. 454; Kamto, 2007, p. 25; Daillier & Pellet, 2002, p. 405; Decaux, 2004, p. 105). Il s’agit donc une institution juridique qui représente à la fois un phénomène politico-social et un phénomène juridique. L’État est perçu comme une réalité intangible et stable (Vercauteren, 2001, p. 294).

Toutefois, depuis le début du XXe siècle, l’image d’intangibilité et de stabilité (Brunet, 2003, p. 87-110) est singulièrement ternie (Kelsen, 1945/1997, p. 237 et p. 242; Troper, 1994, p. 173) au regard de l’évolution du droit international (Doumbe Billé  & Thouveni, 2016). Le constat d’une perte de contrôle progressive d’un État fragilisé par des phénomènes comme la globalisation économique et l’accroissement des relations transnationales n’échappe pas aux analystes. Le débat sur la crise de l’État est désormais explicitement ouvert, souvent posé en termes de déclin, de décadence, de décrépitude, d’infléchissement, d’effritement, de mutation, de transformation, de variation, d’évolution, de réinvention, etc.  Ce dynamisme conceptuel de l’État permet de constater non seulement son évolution, mais aussi sa déconstruction théorique. La remise en cause de la théorie définitionnelle de l’État constitue aujourd’hui un signe évident. Les rapports entre l’État et le droit ont subi une profonde évolution du XIXe siècle à nos jours (Kelsen, 1932, p. 124. En l’état actuel de l’évolution du droit international,  la notion d’État fait face à un certain nombre de défis qui affectent ses éléments constitutifs classiques (Kamto,  2016, p. 29). Dès lors, la présente étude tente d’apporter une meilleure visibilité de la déconstruction théorique des éléments constitutifs de l’État, lesquels permettront d’envisager une redéfinition de cette notion en droit international et d’analyser l’émergence de ses nouveaux critères de définition en droit international. En d’autres termes, il s’agit de mettre en lumière les traits qui déterminent l’État moderne en tant que structure sociopolitique, originale et distincte de la Nation.

Une question centrale sous-tend la présente étude: les variations de la perception de l’État intervenues au cours des dernières décennies auraient-elles entrainé une déconstruction théorique de cette notion en droit international? S’il semble possible d’y répondre par l’affirmative, il faut noter toutefois que cela n’aiderait pas à comprendre le pourquoi. En effet, la notion d’État, au regard des différents travaux, est une notion en crise. Pour  le montrer, nous combinerons plusieurs méthodes. En effet, la méthode juridique nous permettra d’analyser les textes juridiques; elle oscille entre le dogmatique (qui permet de comprendre le sens formel de la règle de droit) et la casuistique (qui a vocation de renseigner sur la confrontation de la règle de droit au réel, c’est-à-dire la référence à des États ayant fait l’objet d’une construction ou d’une déconstruction) (Grawitz, 2001). La méthode historique, en tant que démarche fondamentale, servira à appréhender la théorie générale de l’État. À celles-ci, l’on associera la méthode sociologique pour comprendre les relations internationales faites d’un ensemble de phénomènes et le comportement des États face à la mise en œuvre du droit international (Durkheim, 2009). Pour faire émerger les nouveaux critères définitionnels de l’État, dans une approche historique, l’analyse des phénomènes observés sur la scène internationale procédera par déduction. Dès lors, nous pourrions ainsi dégager les transformations actuelles de l’État, lesquelles ont entraîné une déconstruction de la théorie des critères définitionnels en droit international et une certaine reconstruction d’un point de vue pratique.

Une déconstruction de la théorie

La règle de droit international qui admet qu’une entité accède à la qualité d’État dès lors qu’elle réunit les trois éléments constitutifs est une règle très souple. Au regard de la pratique du droit international, les situations limites aux franges d’une définition stricte de cette notion se sont considérablement multipliées face à un certain nombre de facteurs qui influencent la société internationale aujourd’hui. Cette dernière impose une autre vision de l’institution étatique plus perceptible à travers les contingences sociologiques. Ces dernières affectent la stabilité  du territoire et la variabilité des critères juridiques de définition de l’État.

Les contingences sociologiques affectant la stabilité du territoire

Parmi les contingences sociologiques qui affectent aujourd’hui les attributs de l’État, l’on peut relever la déterritorialisation qui entraîne une perte de l’autorité de l’État dans les zones frontalières. À ce facteur, l’on ajoutera le phénomène de construction des solidarités transnationales et l’existence des peuples sans territoire.

La « détérioration apparente » du concept classique du territoire

Du point de vue sociomatériel, l’État comporte un territoire et une population. Maurice Hauriou le définissait comme étant une corporation à base territoriale qui a une emprise géographique délimitée par de frontières. Pour Carré de Malberg (1962, p. 77), « le territoire ne fait pas partie de l’avoir de l’État, mais de son être ». Quant à Joseph Owona (2010, p. 18), le territoire de l’État est un droit réel régi par un droit de propriété d’ordre presque patrimonial. Pour lui, il est difficile d’envisager un gouvernement  sans territoire, car même les gouvernements en exil ont toujours une projection sur un territoire déterminé (Owona, 2010, p. 17). Le territoire sert de limite à l’autorité du gouvernement. Il est le champ d’exercice des compétences de l’État conçu comme une simple zone de domination de l’État. C’est dans ce sens que Pierre Marie Dupuy (2000, p. 33) souligne que « le territoire est l’assise spatiale de la souveraineté ». La souveraineté territoriale est conçue comme une compétence exclusive sur l’ensemble de son territoire. Il s’agit d’un principe affirmé dans l’affaire de l’île des palmas en ces termes: « La souveraineté dans les relations entre États signifie l’indépendance. L’indépendance relativement à une partie du globe est le droit  d’y exercer, à l’exclusion de tout autre État, les fonctions étatiques » (CPA, 1928, p. 281). Il convient de relever que la tendance dominante  a été celle de la stabilisation des situations territoriales acquises. Cela s’est marqué par le principe de l’inviolabilité territoriale posé par la Charte des Nations Unies, principe du maintien des frontières héritées de la décolonisation pour les États qui accèdent à l’indépendance. Ce principe a été garanti en Afrique, par l’OUA/UA en 1963 et en Europe, c’est l’acte d’Helsinki qui a défini le statu quo territorial en 1975.

Toutefois, l’appréhension de la notion de frontière a connu des évolutions assez remarquables depuis les dernières décennies. Aujourd’hui, le lien entre le territoire et l’État est toujours sujet à réflexion (Owona, 2010, p. 18). Le territoire d’un État n’a qu’une stabilité aussi relative que contingente (Badie et Smouts, 1996). De cette appréhension, il est à noter que la crise de la territorialité aurait pour principaux indicateurs la transformation des périphéries en espaces de recomposition territoriale (Sourna Loumtouang, 2015, p. 33). Dans la pratique, il convient de relever que l’absence d’une frontière n’est pas une condition nécessaire pour qu’un État soit reconnu comme tel. Il existe des États sans frontières comme la Palestine et l’Israël. En outre, de la confrontation entre égales souverainetés résulte tout aussi la nécessité d’une délimitation qui fait apparaître la frontière destinée à empêcher les empiétements sur la souveraineté d’un autre État (Flory, 1996, p. 2). On assiste aujourd’hui à des différends frontaliers terrestres et maritimes entre États (Protiere, 2008, p.  121) comme dans les affaires opposant le Tchad à la Libye (CIJ, 1994), ou le Cameroun au Nigéria (CIJ, 2002). Cela peut aussi être des revendications par un groupe à l’indépendance tel que l’Érythrée, la Somalie, le Kosovo, le Soudan du Sud.

À cette détérioration apparente du concept classique de territoire, qui traduit une fragilité des zones frontalières étatiques, s’ajoute le phénomène de la « déterritorialisation » du droit international.

Les nouvelles solidarités « transterritoriales »

L’État souverain, qui trouve son accomplissement dans l’État-nation, apparaît dans le monde d’aujourd’hui souvent trop étroit. On assiste au phénomène de la « déterritorialisation » du droit international qui interroge les effets de la multiplication des échanges mondiaux et immatériels sur la pertinence d’un droit, lequel dépend largement de la volonté d’État au pouvoir territorial (Fleury Graff, 2015, p. 41;  V. B. Badie et M.-C. Smouts, 1996, p. 537, Ruiz-Fabri, 1999, p. 187). De l’avis de la plupart des auteurs, la mondialisation de l’économie, l’existence de superpuissances continentales obligent les États à s’organiser en se regroupant (Flory, 1996, p. 4). Dans la logique des nouvelles solidarités « transterritoriales », « le marché mondial venant se superposer et bientôt se substituer à la géographie des États » (Badié, cité par Abescat, 2015, § « Les frontières gommées », en ligne). Les frontières sont devenues  purement « symboliques » de par la globalisation inéluctable (Vettovaglia, 2017). Or, il s’agit d’un phénomène essentiellement territorial que  Bertrand Badié (1995) illustre en parlant de la « fin des territoires ». Pour lui, « le territoire ne fait plus sens parce qu’il n’est plus un obstacle, ni un support aux échanges entre les individus » (Badié, cité par Abescat, 2015, § « Les frontières gommées », en ligne).

Comme le souligne Thibaut Fleury Graff, cette dissociation de l’État et du territoire résulte principalement de la création de deux organisations internationales – l’ONU et l’UE – dont la territorialisation de certaines compétences permet sinon d’outrepasser tout à fait, du moins de mettre de côté, la souveraineté de l’État territorial (Fleury Graff, 2015, p. 50). Avec le marché commun au sein de l’UE, il est difficile de déterminer d’un point de vue commercial les frontières d’un État à un autre. En effet, l’intégration européenne a donné lieu à un espace sans frontières intérieures, fait de réseaux, de flux permis par des infrastructures multimodales – tous supports confondus. Pour les  besoins du marché intérieur, les frontières au sein de cet espace ont été abolies et des réseaux de toutes natures se sont établis ou renforcés entre ses différentes parties, tout en le structurant. En réalité, les frontières n’ont pas disparu du jour au lendemain, mais certaines de leurs fonctions ont été transformées, supprimées ou délocalisées, dans des domaines précis, afin de rendre possibles les libertés de circulation et de faciliter ainsi les mouvements et les échanges (Rousseaux,  2012, p. 23).

L’existence des peuples sans État

Dans le passé, le territoire d’un État, n’a qu’une stabilité aussi relative que contingente. Aujourd’hui, il existe des phénomènes essentiellement territoriaux qui affectent le lien entre le peuple et le territoire.  Les frontières ont perdu une grande partie de leur sens (Merle, 1996).  Comme nous l’avons relevé en amont, pour Bertrand Badie (1995), le territoire ne fait plus sens parce qu’il n’est plus un obstacle, ni un support aux échanges entre les individus. On assiste aujourd’hui de par le monde à l’existence des nations ou peuples sans État tels que les Kurdes ou les Palestiniens dont les membres sont dispersés sur le territoire de plusieurs États. Le peuple Kurde est dispersé entre la Turquie, l’Irak et l’Iran. Le peuple  palestinien, dont les membres sont dispersés sur le territoire de plusieurs États, n’a pas de territoire clairement constitué et internationalement reconnu. L’État disparaît avec la perte totale de son territoire. Il s’agit d’une situation observée en  Lettonie, en Lituanie (indépendante en 1918), entre 1940 et 1991, annexion soviétique en vertu du pacte Germano-soviétique du 23 août 1939, en l’Estonie (indépendante en 1920), entre 1940 et 1991, mais aussi avec le partage de la Pologne: 1772 (Russie, Autriche, Prusse); 1793 (Russie, Prusse); 1795 (Russie, Autriche, Prusse), suppression du nom du pays; 1939 (Allemagne, Union Soviétique).

Outre ces cas, il importe de relever que malgré l’imposant corpus d’instruments internationaux relatifs à l’acquisition, la perte ou le déni de citoyenneté[2], des millions de personnes dans le monde sont des apatrides. L’apatridie peut découler de diverses causes dont des lois contradictoires, des cessions de territoire, les lois sur le mariage, les pratiques administratives, la discrimination, le défaut de déclaration de naissance, la déchéance (lorsqu’un État retire sa nationalité à une personne) et la renonciation (lorsqu’une personne refuse la protection d’un État). Un grand nombre d’apatrides dans le monde sont également victimes de déplacements forcés. Les personnes arrachées à leur foyer sont en effet guettées par l’apatridie, notamment lorsque leur déplacement s’accompagne ou est suivi d’un redécoupage territorial (UNHCR, 1995, p. 3).

La variabilité des critères juridiques de définition de l’État

La notion de souveraineté est critiquée par une grande partie de la doctrine qui la considère comme une notion trop systématique, trop absolue et même dangereuse pour les citoyens et les autres États (Owona, 2010, p. 20). Le critère de souveraineté est aujourd’hui effrité au plan  international au regard d’un certain des mutations d’ordre juridico-international (Bal, 2012) qui ont tendance à dominer la conception classique de l’État. C’est sur cette base que le discours sur le « déclin » de la souveraineté étatique s’est progressivement imposé au regard d’un certain nombre de facteurs.

La mondialisation des échanges et l’émergence de nouveaux problèmes mondiaux

Récemment, l’État s’est vu confronter à la mondialisation. Le développement des firmes dites « multinationales », les nouveaux moyens de communication (internet), l’émergence de modes d’action politique extérieurs aux États (organisations non gouvernementales), le rôle des religions et les organisations internationales soulèvent ainsi de nombreuses questions sur l’avenir de l’État dont le cadre national se trouve désormais outrepassé.

Le flottement de masses considérables de capitaux et le développement des réseaux de communication ignorant les frontières ont contribué à modifier l’essence de la notion de souveraineté nationale. L’État se trouve confronté à de sérieux risques de remise en cause de son autonomie en matière de politique commerciale, monétaire, voire dans la définition de ses priorités en matière fiscale, sociale ou plus généralement régalienne (Fleiner-Gerster, 1986). En établissant un lien entre les mutations de l’État et le capitalisme, Albert Ogien (2015) souligne dans un entretien que « Les frontières des États n’ont plus de sens quand le capital n’a plus de limites, quand la finance s’est autonomisée, quand la libre circulation est devenue la norme, quand les entreprises sont multinationales ».

L’État postmoderne est ainsi caractérisé par divers types de circulation: la circulation des marchandises, de la finance, de l’information ou encore celle des populations par le biais des migrations. Le problème de l’État-nation est qu’il n’arrive plus à maîtriser ces flux. Que peut-il faire seul face aux problèmes liés aux migrations (Moine, 2013, Dubuy, 2013), aux déséquilibres économiques mondiaux, aux questions aussi vastes que celles du dérèglement climatique et des menaces qui pèsent sur l’environnement (Abélès, 2014)? La globalisation a remplacé « la logique de souveraineté par celle d’interdépendance » (Badié, cité par Abescat, 2015,  « Les frontières gommées », en ligne).

Cette globalisation a des effets sur la situation économique à l’intérieur des entités étatiques et elle stimule, dans le même temps, la crise de l’État en tant que notion. Celui-ci apparaît dépassé par des mouvements et des flux économiques qui échappent entièrement ou en partie à son contrôle. Il est donc certain que la mondialisation apparaît aujourd’hui comme un défi de taille pour l’État (Siroën, 2006; Cohen, 2008). Il se trouve confronté à de sérieux risques de remise en cause de son autonomie en matière de politique commerciale, monétaire, voire même dans la définition de ses priorités en matière fiscale, sociale ou tout simplement régalienne.  Le droit de regard des institutions internationales sur la situation financière d’un État traduit à suffisance cette relation d’interdépendance qui va parfois jusqu’à l’ingérence dans les affaires internes.

Les guerres, à l’heure actuelle, n’opposent plus uniquement des armées classiques, mais impliquent aussi des groupes armés non étatiques. Elles sont donc souvent asymétriques, ce qui signifie que les belligérants disposent des capacités militaires très inégales. Cependant, ces conflits tombent sous le coup du droit international humanitaire que les parties en présence (étatiques ou non étatiques) reconnaissent ou non.

La régionalisation, l’emprise des organisations internationales et le mouvement de construction communautaire

Au regard du mouvement d’intégration des États, le débat sur la crise de l’État est désormais explicitement ouvert. Le succès  du  régionalisme  s’explique  par  l’impérieuse  nécessité  qu’éprouve  un nombre  limité  d’États,  généralement  unis  par  la  proximité  géographique  ou  par  un ensemble  d’affinités  ethniques,  religieuses,  politiques,  économiques  et  culturelles,  à coopérer plus étroitement qu’au niveau mondial (Burgorge-Lassen, 2003). Avec le développement des organisations continentales[3], les individus sont désormais détenteurs d’identités multiples, sociale, économique et l’on assiste à l’émergence de nouveaux types de citoyenneté à travers les mouvements altermondialistes ou l’écologie politique. Cette transformation de la citoyenneté entraîne la crise du lien politique. La citoyenneté n’est plus appréhendée dans sa conception traditionnelle: l’appartenance au corps social de la nation en tant que seule et unique identité politique, conférant des droits politiques et civiques, est désormais révolue.

La citoyenneté postmoderne offre une conception plus souple (Chevalier, 2014).  Elle crée de nouveaux droits, est plus tolérante dans la mesure où le multiculturalisme nécessite l’acceptation du pluralisme et s’ouvre principalement aux espaces transnationaux. À titre d’illustration, la citoyenneté européenne (Debard, 2002, p. 134), reconnue par le traité de Maastricht, est une citoyenneté subsidiaire, aux droits politiques limités, qui se superpose à la citoyenneté nationale (Chevalier, 2014).

Pour ce qui est du mouvement de construction communautaire fondé sur l’intégration économique des États au niveau sous régional, il convient de noter qu’il affecte fortement les critères de l’État. La création en 1950-1957 de trois communautés européennes progressivement unifiées et élargies a conduit à une intégration des pays membres de plus en plus poussée. La France est ainsi passée des limitations de sa souveraineté que nécessitait la bonne marche des relations internationales à des transferts purs et simples de cette dernière. La Constitution n’interdit pas en effet les limitations de souveraineté: le 1er alinéa du préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation de la défense et à la paix » – consentement conforme à l’adhésion de la France au monisme qui affirme la continuité entre les ordres national et international. La loi constitutionnelle du 25 juin 1992 va plus loin et constitutionnalise les transferts de souveraineté[4] selon les termes mêmes de la décision Maastricht I du Conseil constitutionnel en date du 9 avril 1992:

Le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à la conclusion d’engagements internationaux en vue de participer à la création et au développement d’une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l’effet de transferts de compétence consentis par les États membres.

Au niveau du continent africain,  avec la transformation de l’OUA en UA en 2002, l’intégration africaine a connu un nouvel élan. Le paysage d’intégration actuelle de l’Afrique est composé de plusieurs  communautés économiques régionales, dont huit reconnus comme  la base de construction de l’Union Africaine (la CEMAC, la CEEAC, la CEDEAO, l’UMA, la CEN-SAD, le COMESA, l’IGAD et la SADC) (Olinga, 2013; Burgorge-Lassen, 2003). Dans le cadre de la CEMAC par exemple, les égoïsmes nationaux ne favorisent pas toujours l’intégration régionale. Les chefs d’État y continuent à brandir le sacro-saint principe de la souveraineté.

La protection internationale des droits de l’homme et les interventions humanitaires

La soumission de l’État au droit international lui permet de conclure des conventions dans la mesure où la souveraineté n’est pas un argument valable pour se soustraire aux termes d’un accord. L’obligation de respecter les droits de l’homme incombe à tout État vis-à-vis de la communauté internationale dans son ensemble (Cohen-Jonathan, 1998). Le concept d’impérativité place l’homme au centre des obligations de l’État. Les États se sont ainsi portés garants d’un certain nombre de valeurs fondamentales au rang desquelles la primauté accordée à la dignité de l’homme, à la reconnaissance, à la protection et à l’exercice de ses droits et libertés. Ainsi, l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 – texte fondamental qui jette ainsi les principes du droit international des droits de l’homme[5] – constitue une étape décisive dans la prise en compte de l’individu et de ses droits dans la sphère des relations internationales, frappées jusqu’alors du sceau de la souveraineté (Nouazi Kemkeng,  2016, p. 7).

Dans le contexte du nouvel ordre mondial des droits de l’homme (Mourgeon, 1992, p. 188), la préoccupation majeure de la communauté internationale est la situation de violations graves flagrantes et systématiques des droits de l’homme dans des États qui tentent parfois de s’opposer à l’action extérieure en se réfugiant derrière l’écran de la souveraineté (Tehindrazanarivelo, 2013, p. 44). Cette barrière étant franchie aujourd’hui, les États peuvent  être conduits devant les juridictions internationales (Aldjima Namountougou, 2011; Decaux, 2002). Il faut dire dans ce sens que l’accès de l’individu à la justice internationale est une exception qui a contribué à l’ériger au rang de sujet de droit international (Nouazi Kemkeng,  2016, p. 7). Cette « révolution ontologique » se produit avec l’adoption d’instruments internationaux ou régionaux, au premier rang desquels la Charte des Nations Unies qui reconnait la primauté des droits de l’homme (Chrestia, 1999, p. 716), mais ces instruments réservent le soin à l’État souverain qui les aurait ratifiés d’en assurer la garantie. Les droits de l’homme sont protégés dans le cadre du système universel et des systèmes régionaux.

En outre, la souveraineté de l’État est censée la protéger non seulement contre les interventions armées, mais contre toute ingérence étrangère, c’est-à-dire contre toute « immixtion  d’un autre État dans les affaires relevant de la compétence d’un ou de plusieurs autres États en vue d’en influencer le cours » (Virally, 1983, p. 107). Mais la sollicitation extérieure de l’État dénature la souveraineté, la transforme en opération d’assistance et conduit aux relations de dépendance qui rendent la souveraineté de plus en plus fictive (Charpentier, 1994, p. 27).

Largement à l’encontre de la volonté des États, et étoffant en ce sens le champ du droit international classique, se sont développées récemment des pratiques comme les « interventions d’humanité » (Boustani, 1994, p. 103; Dupuy, 1999) puis un véritable droit d’ingérence humanitaire. Au cours du 20e siècle, les interventions humanitaires ont diminué en raison du Pacte de la SDN et de la Charte des Nations Unies qui accordent une importance primordiale au respect de la souveraineté des États et à son corollaire qui est la non-ingérence dans les affaires intérieures des États. Le contexte de guerre froide va aussi contribuer à faire respecter ce principe de non-ingérence. Le rapprochement entre l’Ouest et l’Est et la chute du bloc communiste ont amené au-devant de la scène l’idée selon laquelle une puissance peut aller commettre des actes humanitaires dans le territoire d’un autre État.  C’est ainsi que la notion de droit d’ingérence humanitaire a été lancée à la fin des années 1980 par Bernard Kouchner (homme politique français, un des fondateurs de Médecins sans frontière) appuyé entre autres sur le plan scientifique par Mario Bettati, mais cette notion connaît tout de même l’opposition du courant de pensée « souverainiste ». Selon ces deux personnalités, il était temps de s’opposer à la théorie archaïque de la souveraineté des États, sacralisée en protection des massacres.

Au regard de tous ces facteurs, l’État est-il appelé à disparaître ou à se maintenir  (Sivvi’k, 1978)? On constate qu’au niveau mondial ou régional, le souci de structurer la coopération et d’assurer la sécurité tend à réduire les marges de décision des États et de limiter leur souveraineté. Comme le souligne Flory, le droit international d’aujourd’hui ne se conçoit pas sans territoire, car à une détérioration apparente du concept classique du territoire répond sa pérennité juridique (Flory, 1996, p. 2). C’est dire que, quelle que soit la déconstruction des conditions d’existence de l’État, celui-ci devrait rechercher une certaine unité et un certain équilibre (Mouton, 1994, p. 79) qui constituent une quête permanente afin d’assurer sa pérennité.

Une reconstruction par la pratique

Dans le domaine des relations internationales, les États apparaissent comme des entités juridiques que personne ne saurait remettre en question. Même si le droit international a aujourd’hui tendance à faire peser sur l’État un certain nombre d’obligations (respect des droits de l’homme, etc.), c’est bien l’État qui a l’obligation de préserver ses attributs essentiels. On assiste donc à la montée en puissance des États postmodernes qui subsistent face aux nouveaux facteurs qui influencent la scène internationale à travers leurs propres moyens de survie.

L’expression de la volonté de l’État comme socle de la survie de l’État

Le fait pour l’État de souscrire aux engagements internationaux  ou de se soustraire constitue l’expression même de sa souveraineté.

La volonté de l’État comme fondement du droit international

Le droit international existe par la volonté des États. C’est la base du positivisme volontariste mis en exergue dans l’affaire Lotus en ces termes:

Le droit international régit les rapports entre les États indépendants. Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifeste dans les conventions ou les usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs. Les limitations de l’indépendance des États ne se présument donc pas (CPJI, 1927)[6].

À l’origine, la souveraineté a contribué non seulement à la formation des États et du droit international classique, mais aussi a entraîné l’exclusion de l’homme en tant que tel, de l’ordre juridique international (Chrestia, 1999, p. 715). Le droit international a pendant des siècles été un droit interétatique fait par les États pour les États. Cette approche statocentrique et volontariste des fondements du droit international a conduit à l’idée selon laquelle la force obligatoire de ce droit repose nécessairement sur la volonté et le consentement des États (Kamto, 2007, p. 61; Daillier & Pellet, 2002, p. 98; Mahiou, 2004, p. 11).

Dans cette logique, l’État serait la source unique du droit et par conséquent, celui-ci ne peut que dépendre de sa seule volonté (Daillier et Pellet, 2002, p. 78). La justice internationale était une prérogative de l’État qui était seul habilité à l’exercer à propos de tout évènement survenant sur son territoire et un État ne pouvait être soumis à aucune autre juridiction à moins qu’il ne donne son accord (Mahiou, 2004). Aucune cour, aucun arbitre au plan international ne peuvent se saisir d’un litige sans le consentement de l’État. Selon cette théorie, les accords tirent leur force obligatoire de la règle pacta sunt servanda (Kelsen, 1932, p. 124)[7] dès lors que l’État a formellement manifesté sa volonté d’être lié (Anzilotti, 1999, p. 74; Kamto, 2007, p. 62).

Il est vrai qu’en droit international, « les États sont à la fois les pourvoyeurs et les fossoyeurs des droits de l’homme » (Mourgeon, 2003, p. 10). C’est dire que la liberté conventionnelle confère à l’État et aux parties contractantes un large pouvoir discrétionnaire en matière de détermination du contenu des normes (Ranjeva, 1990,  p. 284). L’action internationale des individus reste subordonnée au consentement préalable des États qui craignent de se voir condamnés devant une juridiction internationale. Le principe fondamental en matière d’acceptation de la compétence d’une juridiction internationale est en effet celui du consensualisme, lui-même dérivé de la souveraineté des États. Le consentement de l’État est la condition sine qua non à la compétence de toute juridiction internationale quel que soit le moment auquel le consentement est exprimé et la manière par laquelle il est exprimé. Le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à la conclusion d’engagements internationaux en vue de participer à la vie internationale. La soumission de l’État au droit international lui permet de conclure des conventions, dans la mesure où la souveraineté n’est pas un argument valable pour se soustraire aux termes d’un accord. L’on constate une primauté de la volonté de l’État  sur tout engagement international (Nouazi Kemkeng,  2016, p. 4).

Le retrait comme acte de volonté de l’État

En droit international, l’on ne doit pas priver, en dehors de toute considération impérieuse, les États d’une prérogative ou opportunité d’amendement que leur reconnaissent le droit international en général et le droit international des droits de l’homme en particulier (Olinga, 2013, p. 123). La résistance de l’État passe par le maintien de la référence à la souveraineté nationale qui se traduit par l’attachement à l’acceptation les décisions des instances internationales et la réticence à accepter les limitations même conventionnelles de l’indépendance nationale. Les États peuvent à un moment donné, et surtout lorsque leurs intérêts sont en jeu, affirmer leur désamour vis-à-vis de leurs engagements internationaux auxquels ils ont préalablement souscrit. Même si le retrait peut parfois être perçu comme une sanction du comportement d’un État, il est beaucoup plus un acte ou une manifestation de la souveraineté de l’État qui peut être une dénonciation unilatérale d’une clause spéciale. À ce titre, il convient de relever qu’en matière des droits de l’homme, le retrait du Rwanda de la déclaration de l’article 34 (6) du Protocole de Ouagadougou portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la suspension du Tribunal de la SADC constituent deux faits majeurs en Afrique.

Sur le premier cas, en droit international général, comme tout acte rédigé unilatéralement, la déclaration est soumise au régime de la souveraineté et de la compétence discrétionnaire des États (Gharbi, 2002, p. 471). La nature facultative de la déclaration et son caractère unilatéral découlent du principe de souveraineté des États qui leur permet de s’engager, mais également de retirer leurs engagements (Hoeffner, 2016, p. 839). Rien ne s’oppose donc à ce qu’un État puisse retirer valablement sa déclaration. En fait, après le génocide rwandais, la politique rwandaise consistait en la reprise des relations internationales en vue d’une meilleure visibilité: elle a consisté à faire de nombreuses réformes sur les plans politique, économique juridique et des droits de l’homme.  La souscription à la  déclaration d’acception de la juridiction obligatoire de la Cour africaine par le Rwanda le 22 janvier 2013 (Banzeu, 2013) est venue consolider ces relations. Toutefois, le retrait de la République du Rwanda du Protocole de Ouagadougou en février 2016 à la suite de l’introduction devant la Cour de la requête n° 003/2014 en l’affaire Ingabire Victoire Umuhoza (Cour AfDHP, 2016, § 56-59) vient relativiser cette vision.

En ce qui concerne le second cas, il convient de souligner que la décision du Tribunal de la SADC de fermer le prétoire aux recours individuels, en matière des droits de l’homme, est un cas rare d’évolution régressive dans l’histoire des juridictions internationales comme le souligne Alain Didier Olinga (2013, p. 116).

En droit pénal international dont la mise en œuvre fait l’objet de multiples réserves, on a noté le retrait massif des États africains du Statut de Rome (récent retrait du Burundi (11 octobre 2016), la Gambie (25 octobre 2016) et de l’Afrique du Sud (le 21 octobre 2016). En fait, la partialité de la Cour pénale internationale est vastement déplorée en Afrique. Le peuple africain et leurs dirigeants estiment de prime à bord que c’est tout le continent qui est en jugement et que la CPI est anti africaine (Nouazi Kemkeng,  2012, p. 107). C’est dans ce sens que certains auteurs ont pensé que la CPI constitue un « instrument d’impérialisme judiciaire » (Manirakiza, 2009, p. 34). Ils accusent l’occident d’instrumentaliser la CPI pour inculper les leaders, présidents africains, les plus nationalistes ou ceux qui contesteraient leur choix.

La quête permanente de la paix, de la sécurité et de la stabilité internationales

Étant donné que la paix et la sécurité internationales constituent les finalités du droit international, l’État postmoderne a l’obligation d’assurer la maîtrise des phénomènes qui semblent faire vaciller ou annihiler les critères qui conditionnent son existence à travers des moyens pacifiques ou coercitifs.

Les moyens pacifiques

Si la souveraineté confère aux États une liberté de comportement vis-à-vis des autres sujets de la société internationale, au premier rang desquels les autres États, cela est naturel dans le respect des règles du droit international, notamment l’interdiction de l’ingérence dans les affaires intérieures, la prohibition du recours à la force, etc.

L’obligation de règlement pacifique des différends tend à un rapprochement des points de vue opposés des protagonistes jusqu’à l’acceptation d’une solution commune. Elle peut être utilisée pour tous les litiges qu’ils soient de nature juridique ou politique et permet de faire appel à tous les arguments de fait ou de droit. Dans ce sens, l’article 33 de la Charte de l’ONU énonce les procédures auxquelles doivent recourir les États pour régler pacifiquement leurs différends. Il précise que

les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales […] se trouvent ainsi dans l’obligation de […] rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la diplomatie militaire au Cameroun face aux menaces à la paix et à la sécurité. En effet, comme l’a déclaré le Ministre des Relations Extérieures (MINREX), elle constitue l’un des axes majeurs d’intervention qui doit prendre en compte les principes moteurs fondés sur la non-ingérence dans les affaires d’autres États, l’indépendance, le non-alignement et la coopération. Tous ces principes doivent être sous-tendus par la quête perpétuelle de la paix et le renforcement de la solidarité internationale (Mbella Mbella,  2017). La diplomatie militaire doit davantage contribuer au rayonnement du Cameroun et s’impliquer dans la consolidation des acquis.

Les moyens coercitifs

L’État détient le monopole de la violence légitime à l’intérieur de son territoire. Ainsi, le rôle de l’État dans la régulation des conflits internationaux et des échanges économiques demeure primordial. En dépit de la montée en puissance des acteurs transnationaux, les États postmodernes demeurent les principaux fournisseurs des moyens en matière sécuritaire. Seuls ou collectivement, ce sont les États qui ont la charge de protéger leurs citoyens et d’assurer leur sécurité. Affirmer que les États ont « perdu le monopole de la violence légitime » relève d’un discours convenu. Face à la menace terroriste aujourd’hui, le recours à la puissance publique apparaît comme le seul rempart contre la menace diffuse. L’État est plutôt mis au défi et il en sort renforcé (Cohen, 2008).

En outre, il existe des sanctions en cas de violation de la légalité internationale. Lorsqu’un critère juridique de l’État semble être détruit par des phénomènes qui ne sont pas conformes à la légalité internationale, il y a des sanctions qui sont prévues par le droit international. L’on peut dans ce sens noter des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement (Mfoyouom, 2015). Conformément à l’article 23  de la  Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance (CADEG), toute utilisation des moyens comme les coups d’État ou toute intervention de mercenaires, de groupes dissidents armés ou de mouvements rebelles pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union Africaine.

Conclusion

En conclusion, la crise de la notion d’État en droit international est un fait évident. Il ressort de la présente étude que les mutations actuelles du droit international ont entrainé une déconstruction de la théorie des critères de définition de l’État. Par ailleurs, la pratique du droit international atteste que les États assurent leur pérennisation. Ils conservent leurs attributs essentiels tels que la souveraineté de l’État qui demeure le caractère exclusif de l’expression de l’État. Même si le mouvement d’internationalisation comme les aspirations régionales portent atteinte à sa suprématie par le haut et par le bas, l’État reste le cadre prédominant de structuration de la société par le droit (Debard, 2002, p. 134). Même si on parle de souveraineté « atténuée », « diminuée » ou « amoindrie » (Kamto, 2007), l’État continue  d’avoir la maîtrise des phénomènes qui semblent faire vaciller, annihiler les critères qui conditionnent son existence. Donc, la souveraineté de l’État demeure le caractère exclusif de l’expression de l’État. Il reste et demeure cependant l’acteur essentiel sur la scène internationale. Il continuera de participer à la normalisation et à la régulation juridique et commerciale au travers des institutions internationales. Il sera aussi un repère pour les individus face aux risques et menaces. On assiste aujourd’hui à une transformation du système international et un équilibrage des pôles politiques et économiques dans le monde.

Un système international pragmatique fondé sur une plus grande diversité d’acteurs, de liens et de nouveaux critères est mis en place. Il verra la coexistence de plusieurs pôles de puissance, d’institutions internationales, d’organisations régionales ou thématiques autour des sujets clés, d’accords ad hoc bi ou multilatéraux, d’acteurs non étatiques et de réseaux transnationaux divers. Ce système devrait offrir une grande souplesse dans la gestion des enjeux majeurs comme l’environnement, les ressources naturelles, la démographie, la criminalité, le terrorisme ou la prolifération d’armes nucléaires. La tâche de la théorie générale de l’État consiste donc à dégager une notion de l’État qui soit concevable ou adaptable pour notre époque. Le discours sur le déclin de l’État doit être nuancé. La notion d’État fragile est révélatrice de grandes évolutions affectant la société internationale et son droit (Mouton, 2012, p. 15; Mouton, 1994, p. 93). Ainsi, la mondialisation ne peut exister sans les États, et inversement, sa dynamique n’en est pas moins nécessaire au développement de l’État. Si la mondialisation redéfinit le rôle de l’État, elle ne le tue pas bien au contraire, elle révèle juste sa nécessité. Cependant, elle invite à faire preuve d’adaptation et d’imagination, de lucidité et de détermination dans le décèlement des défaillances historiques de certains États. La solution passe alors, non par le dépassement, mais par la reconstruction de l’État, lequel demeure une forme d’organisation politique insurpassable et est en quelque sorte l’horizon indépassable de la société internationale (Sur, 2005-2006, p. 891).

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  1. Voir aussi l’Avis n°1 de la Commission d’arbitrage de la Conférence pour la paix en Yougoslavie, 29 novembre 1991, RGDIP, 1992, p. 264.
  2. Voir la convention de la Haye sur certaines questions relatives aux conflits entre les lois sur la nationalité de 1930, notamment l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, la convention de 1954 relative au statut des apatrides, la convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, etc.
  3. Les pères fondateurs de l’organisation des  Nations  Unies  ont  d’ailleurs  tenu  compte  de  cette  réalité  puisque  la  Charte  de l’organisation prévoit tout à la fois, le droit de légitime défense collective et les accords régionaux,  pourvu  qu’ils  soient  compatibles  avec  les  buts  et  les  principes  des Nations Unies. Ces dispositions et l’histoire des alliances ont, par conséquent, abouti à la constitution d’un grand nombre d’organisations continentales (Conseil de l’Europe, UE, UA, OEA, OTAN, OCDE).
  4. Art. 88-1 de la Constitution: « La France exerce en commun certaines de ses compétences » dans le cadre de l’UE.
  5. Ces principes du droit international des droits de l’homme sont les suivants: le principe de l’égalité de tous les hommes et l’identité de la personne humaine, le principe de l’universalité des droits de l’homme et le principe de la compétence du droit international en matière des droits de l’homme.
  6. Voir aussi Tchikaya, 2010, p. 33.
  7. À propos de la pacta sunt servanda, Hans Kelsen (1932, p. 124) précise que « tout ordre juridique consiste dans un complexe de normes qui tirent leur valeur obligatoire d’une norme fondamentale, à laquelle se ramènent toutes, directement ou indirectement, le principe de la pacta sunt servanda… Ce qui distingue l’ordre juridique international, c’est que, dans cet ordre international, le principe pacta sunt servanda ne repose pas, comme en droit interne, sur une norme supérieure; c’est lui-même qui est la norme supérieure ».

Pour citer cet article

Nouazi Kemkeng, Carole Valérie. 2019. À propos de la crise des critères de définition de l’État en droit international contemporain. ADILAAKU. Droit, politique et société en Afrique, 1(1), 9-38. DOI : 10.46711/adilaaku.2019.1.1.2

Licence

La revue Adilaaku. Droit, politique et société en Afrique est sous licence Creative Commons CC BY-SA 4.0, disponible en ligne, en format PDF et, dans certains contextes, en version imprimée.

Digital Object Identifier (DOI)

https://dx.doi.org/10.46711/adilaaku.2019.1.1.2

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